Catégorie : L’écologie sociale
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Murray Bookchin (1921-2006) fut un penseur et militant américain majeur, dont les idées ont profondément influencé le mouvement écologiste, anarchiste et socialiste. Issu d’un background marqué par l’engagement politique, Bookchin a évolué au sein de différentes tendances de la gauche radicale, développant tout au long de sa vie une pensée originale et novatrice qui a façonné de nombreux débats contemporains sur la politique, l’écologie et la société.
L’ouvrage « Au-delà de la rareté – L’anarchisme dans une société d’abondance », édité par les éditions Ecosociété en 2016, offre une compilation d’essais et de textes sélectionnés de Bookchin, dans lesquels il explore les implications de ses idées anarchistes et écologistes dans le contexte d’une société moderne caractérisée par l’abondance matérielle.
Dans cet ouvrage, Bookchin poursuit sa réflexion sur la question de la liberté individuelle et collective, en mettant en lumière les défis posés par la société de consommation et l’exploitation sans limites des ressources naturelles. Il critique vigoureusement le capitalisme et la logique de la croissance économique infinie, soulignant les conséquences néfastes de cette orientation sur l’environnement et les relations sociales.
Au cœur de sa pensée se trouve l’idée d’une société écologique et égalitaire, où les besoins fondamentaux de chacun sont satisfaits sans pour autant épuiser les ressources de la planète. Bookchin propose ainsi une vision alternative de l’organisation sociale, basée sur la coopération, la solidarité et la gestion démocratique des biens communs.
L’un des concepts clés développés dans l’ouvrage est celui de « l’économie politique de l’anarchisme », qui vise à démontrer la viabilité d’une économie décentralisée et autogérée, fondée sur des principes de mutualisme et d’échange équitable. Bookchin insiste sur l’importance de repenser fondamentalement nos modes de production et de consommation afin de garantir la soutenabilité à long terme de la société.
En somme, « Au-delà de la rareté – L’anarchisme dans une société d’abondance » constitue une lecture essentielle pour ceux et celles qui s’intéressent aux alternatives au modèle économique dominant et aux enjeux contemporains de l’écologie politique. L’ouvrage offre une analyse perspicace et stimulante, tout en proposant des pistes concrètes pour une transformation radicale de la société vers un avenir plus juste et soutenable.
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Théoricien de l’écologie sociale, Murray Bookchin est l’un des plus célèbres écologistes des Etats-Unis. Né en 1921 au sein d’une famille russe de New York, il fut ouvrier avant de devenir enseignant et philosophe, sans même avoir fréquenté l’école. Erudit, excellent orateur, il fut une figure de proue de l’anarchisme et du courant écologiste aux Etats-Unis. Fondateur de l’Institut d’écologie sociale, il est l’auteur de 27 essais.
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« Une société à refaire – Vers une écologie de la liberté » de Murray Bookchin, publié en 2010 aux éditions écosociété, représente un essai majeur dans le domaine de la pensée politique et écologique. Ce livre propose une vision radicale et libératrice de la société, articulant les principes de l’écologie sociale et de la démocratie directe pour créer un modèle de communautés interdépendantes, durables et égalitaires.
Bookchin commence par critiquer sévèrement le modèle capitaliste actuel, qu’il considère comme un système intrinsèquement destructeur de l’environnement et de la démocratie. Il plaide en faveur d’une révolution sociale et écologique qui transcende les structures de pouvoir oppressives et exploiteuses. Selon lui, la crise écologique contemporaine est le résultat direct d’une logique de domination et d’exploitation qui caractérise le capitalisme et les autres formes de hiérarchie sociale. D’autres formes de hiérarchisations et de dominations dont le capitalisme est à l’origine ou dont il s’est emparé pour en tirer avantage.
L’une des principales contributions de Bookchin réside dans sa proposition d’une alternative concrète : l’écologie sociale accompagnée de son organe politique qu’il désignera lui-même sous le nom de communalisme dans les dernières années de sa vie. Il s’agit d’un modèle politique qui vise à réorganiser la société autour de principes d’autogestion, de coopération, d’interdépendance et d’un habiter en harmonie avec les écosystèmes environnants. Bookchin insiste sur l’importance de la démocratie directe, où les citoyens prennent des décisions politiques de manière collective et participative, sans l’intermédiaire de représentants élus.
L’écologie sociale se base sur la conviction que la quasi-totalité des problèmes écologiques actuels s’enracinent dans des problèmes sociaux de fond.
L’auteur explore également la notion d’écologie de la liberté, qui englobe à la fois la liberté individuelle et la responsabilité collective envers la communauté et l’environnement. Pour Bookchin, la véritable liberté ne peut être réalisée que dans le contexte d’une société égalitaire et durable, où chacun a accès aux ressources nécessaires pour s’épanouir pleinement.
Cependant, malgré la richesse des idées présentées, certaines critiques peuvent être formulées à l’égard de l’ouvrage de Bookchin. Certains estiment que ses propositions sont idéalistes et difficiles à mettre en œuvre dans la pratique. De plus, certains critiques soulignent le manque de prise en compte des réalités économiques et politiques contemporaines, ainsi que des obstacles structurels à la mise en place d’une société basée sur les principes de l’écologie sociale.
En conclusion, « Une société à refaire – Vers une écologie de la liberté » de Murray Bookchin offre une analyse stimulante et visionnaire des défis auxquels notre société est confrontée ainsi que l’ampleur de la tâche qui nous revient comme êtres doués « a priori » d’une conscience. Son plaidoyer en faveur d’une révolution sociale et écologique reste pertinent aujourd’hui, incitant les lecteurs à repenser fondamentalement notre rapport à la nature (première et seconde nature), à la politique et à la notion de communauté (interdépendantes et confédérées). Bien que ses propositions puissent susciter des débats et des critiques, l’œuvre de Bookchin demeure une contribution significative à la réflexion sur les alternatives possibles au système mortifère actuel.Il nous appartient donc de penser avec Bookchin aujourd’hui, d’ouvrir des brèches et d’exprimenter ici et maintenant, puis …
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«C’est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l’espoir nous est donné.» – Walter Benjamin1
Le mal-être actuel n’est pas un phénomène cyclique issu d’une crise habituelle du capitalisme, comme certains l’avancent. Nous ne pouvons plus nier que la trajectoire historique de l’humanité désormais prise en main par un capitalisme de plus en plus débridé est parvenue à un point limite proche du non-retour. Nous ne pouvons plus récuser qu’au-delà de la crise de la démocratie et de l’expansion tous azimuts du numérique comme instrument de désinformation et de contrôle, nous nous trouvons désormais sous la menace imminente d’un triple effondrement : climatique, énergétique et sociétal (société thermo-industrielle).
Dans un présent obscurci par les prévisions de catastrophe écologique, le grand défi actuel consiste à imaginer un futur qui ne soit pas une contre-utopie du genre transhumaniste. Nous oublions souvent que le présent est aussi l’avenir que nous sommes capables d’imaginer, et que relier passé et futur constitue le moyen de redonner un sens au temps présent. Comment sortir de ce que les zapatistes appellent le « présent perpétuel » ? Un « présent sans présence », comme le signale Jérôme Baschet2, où le moment vécu disparaît « sous la domination du futur immédiat. La tyrannie de l’urgence qui y règne est, en fait,la tyrannie de l’instant d’après »3. Finalement, épuisé en lui-même, le présent devient insupportable.
Répondre à ce mal-être existentiel, c’est aussi relever un défi sans précédent. Nous avons la nécessité vitale de redonner un sens au rôle de l’humanité sur cette planète. Renouer avec le fil des grands récits émancipateurs ne peut découler d’une curiosité purement intellectuelle, pas plus que d’une nostalgie romantique passéiste et paralysante. Au-delà d’un acte de reconnaissance de nos potentialités, de nos capacités créatives intrinsèques en tant qu’humanité, renouer avec nos racines et incorporer la sève de ce legs dans nos pratiques actuelles, dans notre présent vécu, nous redonne dignité et confiance et, par là même, efficience. Il est vrai que tout au long de ce parcours émancipateur le sang a coulé, mais ce ne sera pas en vain si nous sommes en mesure d’en tirer des leçons, non seulement des mérites mais aussi des erreurs. Ce sont les graines de cet héritage qui nous permettent à présent de semer des utopies tangibles, autant au coeur du chaos des «périphéries »4 du capitalisme que dans cet authentique « désert de spi-ritualité politique »5 qui est le nôtre, dans sa « zone piétonne »6 (centre du capitalisme). Mais s’il est vrai que l’épopée de nos prédécesseurs et de nos penseurs révolutionnaires nous apporte des éléments précieux et indispensables pour notre projet émancipateur, elle est loin de nous apporter les réponses à cet actuel défi d’un monde capitaliste qui évolue et se complexifie de plus en plus et de plus en plus vite. Le défi reste entier, mais déjà des utopies tentent de fleurir, là-bas dans la périphérie, au Chiapas et au Rojava, et des germes se développent dans d’autres pays tout comme ici, dans cette zone piétonne du capitalisme. Dans nos contrées du centre, où le cancer de la métropolisation des villes dévore toujours plus de nature et de culture, où la massification et l’atomisation qui s’ensuivent écartent nos concitoyens de l’accès à la terre nourricière et détruisent leurs liens élémentaires, une autre trajectoire sociale et politique se dessine, une autre approche de la nature s’affirme. Mais comment les développer, faire en sorte qu’elles s’installent et perdurent en submergeant ce vieux monde à l’agonie ? Comment faire émerger toute leur puissance créatrice, afin que vive la vie dans toute sa plénitude et sa diversité ? Comment repérer les failles dans ce tissu social chaotique où s’entremêlent tellement d’éléments contradictoires, afin d’y faire ger-mer ces graines de sens et d’utopies ?
«Premièrement, nous devons nous efforcer de comprendre cette situation intellectuelle radicalement nouvelle. Deuxièmement, nous devons comprendre que le monde est confronté à un défi moral fondamental. Le chaos ne durera pas toujours. Nous arriverons à un point où un ou deux nouveaux systèmes mondiaux émergeront : un qui reproduira les pires caractéristiques du capitalisme (hiérarchie, exploitation et polarisation) sous une nouvelle forme non capitaliste ou un qui,pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, sera relativement démocratique et égalitaire. Il n’y a pas de sortie intermédiaire. Troisièmement, une fois que nous avons fait notre choix moral, nous devons définir la stratégie politique qui nous aide à réussir. Je pense que cela devrait impliquer une large coalition des forces de la gauche mondiale. J’espère que nous pourrons mener à bien ces trois tâches interdépendantes : la probité analytique, le choix moral et une stratégie politique efficace. »7
Pour relever ce nouveau défi mondial qui nous oblige à choisir des stratégies déterminantes, nous rependrons cette attitude que les Grecs anciens nommaient « attitude tragique ». Une attitude mettant dos à dos le pessimisme et l’optimisme, le premier nous menant à la défaite certaine et l’autre à des erreurs de calcul qui nous seront fatales. Tout doit être désespérément mis en æuvre pour bien analyser la situation, en comprendre les enjeux vitaux et avancer sur des bases les plus sûres possible. C’est en accumulant de petites victoires dans nos luttes et en recueillant progressivement les fruits de nos expérimentations alternatives collectives que nous pourrons alimenter un projet émancipateur. Ce dernier sera capable de conjuguer, au plus près, présent et futur et de relier, de la façon la plus cohérente possible, les moyens et les fins.
- Cette sitation de Walter Benjamin clôt le livre de Herbert Marcuse sans qu’il ne signale d’où il la puise : L’homme unidimentionnel. Ediditions de minuit. 1968. p. 281. ↩︎
- Défaire la tyrannie du présent. Temporalités, emmergences et futurs inédits. Jérôme Baschet. Paris. La découverte. 2018. ↩︎
- https://journals.openedition.org/temporalites/5067 ↩︎
- Sur la distinction entre le « centre » et les « périphéries », voir la théorie de la dépendance qu’Immanuel Wallerstein développe dans Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde. La découverte. 2006. Cette théorie, conçue dès les années 1950, montre que les pays les plus riches ont besoin des plus pauvres afin d’assurer la continuité de leur croissance. Wallerstein rejette complètement la notion de « Tiers-Monde » et estime que tous les pays étant globalisés, ils font partie d’un même « système-monde » capitaliste. Cependant loin d’être homogène, que ce soit culturellement, politiquement ou économiquement parlant, il y a une division du travail fondamentale et institutionnelle entre le coeur et la périphérie et leurs échanges économiques sont inégaux : tandis que le coeur constitué des grandes puissances de l’OCDE (les États-Unis en tête) a un niveau de développement technique de haut niveau et vend au prix fort ses produits manufacturés de haute complexité, le rôle de la périphérie, comprenant les pays en développement (Asie, Afrique, Amérique latine), se limite à fournir les matières premières, des produits agricoles et de la main-d’œuvre bon marché aux acteurs en croissance du centre. Cette inégalité, une fois établie, tend à se stabiliser en raison de contraintes quasi déterministes : en effet, pour les théoriciens de la dépendance, ces pays périphériques sont intégrés mais sont structurellement maintenus dans un état de subordination aux pays du centre, qui s’explique historiquement par la colonisation et diverses formes de néocolonialisme. ↩︎
- Voir Un monde sans esprit : la fabrique des terrorismes.op. cit. ↩︎
- « Remarques sur la contestation de la modernité capitaliste» extrait de La commune du Rojava, l’alternative kurde face à l’État-nation. Immanuel Wallerstein. Éditions Syllepse. 2017.pp. 33-34. ↩︎
- Idem. ↩︎
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Cet extrait est l’introduction de la deuxième partie d’ » AGIR ICI ET MAINTENANT – Penser l’écologie sociale de Murray » de Floréal M. Romero (2019). Les chapitres qui suivent sont autant d’analyses et de propositions que je vous invite vivement à découvrir via la lecture de cet ouvrage et/ou en entrant directement en contact avec les membres du Réseau E.S.C. : Ecologie Sociale et Communalisme ( echoreclus@riseup.net ou resc@riseup.net ).
Vous pouvez également lire la feuille de route du Réseau ESC ( pdf téléchargable en anglais ou en français) en suivant ce lien : https://observatoiresituationniste.com/2022/05/21/roadmap-for-the-social-ecology-and-communalism-sec-network-feuille-de-route-du-reseau-ecologie-sociale-et-communalisme/
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Résumé
Agir ici et maintenant est un essai autant qu’un manifeste, une analyse personnelle de la pensée de Murray Bookchin. En guise d’amorce, Floréal Roméro dresse le portrait du fondateur de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Il en fait son histoire, son évolution politique, pour la mettre en miroir avec les enjeux écologiques, sociaux et économiques actuels. De l’Espagne au Rojava, en passant par le Chiapas, à partir d’exemples concrets, l’auteur lance un appel à la convergence des luttes et un cri d’espoir.
Ce livre nous apporte des conseils pratiques pour sortir du capitalisme et ne pas se résigner face à l’effondrement qui vient. -
Préface d’ « AGIR ICI ET MAINTENANT – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin » de Floréal M. Romero
Résumé
Agir ici et maintenant est un essai autant qu’un manifeste, une analyse personnelle de la pensée de Murray Bookchin. En guise d’amorce, Floréal Roméro dresse le portrait du fondateur de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Il en fait son histoire, son évolution politique, pour la mettre en miroir avec les enjeux écologiques, sociaux et économiques actuels. De l’Espagne au Rojava, en passant par le Chiapas, à partir d’exemples concrets, l’auteur lance un appel à la convergence des luttes et un cri d’espoir.
Ce livre nous apporte des conseils pratiques pour sortir du capitalisme et ne pas se résigner face à l’effondrement qui vient.Biographie de Floréal Romero
Floréal M Romero est issu de la tradition anarchosyndicaliste espagnole par son père. Il adhère aux thèses de Bookchin et en devient un des principaux promoteurs en Espagne, mais aussi en France à travers des rencontres, des publications et des articles. Il vit en Andalousie où il est producteur d’avocats et travaille uniquement en lien avec des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP)
Juste après l’apparition, en France, de l’Écologie ou catastropbe1, voici une nouvelle publication autour de la pensée de Murray Bookchin, deses sources d’in-fuences historiques et de ses échos contemporains. Le milieu éditorial français est réputé pour son retard dans la publication d’ceuvres, d’écrivains et de courants qui n’entrent pas dans une certaine rationalité. Bookchin ne fait pas défaut. À l’exception de deux petites publications qui sont restées dans l’ombre2, Bookchin était jusque-làinconnu du lectorat français. Mais depuis 2018, on le lit enfin, on entend son nom dans les journaux, revues,conférences, séminaires, rencontres. Pourquoi mainte-nant? Pourquoi ce changement ?
L’intérêt actuel pour les critiques et propositions de Murray Bookchin n’est pas un hasard. Il y a plusieurs raisons sociopolitiques. Mais d’abord écologiques. Le monde brûle par le réchauffement climatique, par la capacité de destruction et de contrôle des nouvelles technologies utilisées par les dominants, utilisées sans pitié, tous les jours, toutes les minutes. Le navire prend l’eau : la catastrophe écologique, annoncée par Bookchin il y a plus de 50 ans, se rapproche à grands pas : «Cette réalitéexige une inversion totale » selon Floréal Romero. La crise permanente du système capitaliste, au niveau mon-dial, détruit tout ce qui est en dehors du marché : le ciel s’assombrit chaque jour un peu plus. Même en France,un des pays parmi les plus riches de la planète, nous assistons à une déclaration de guerre sociale et politique. Celles et ceux qui veulent sortir de ce jeu se confrontent à une brutalité grossière de l’État. La destruction violente des communs de la Zad de Notre-Dame-des-Landes n’est qu’un exemple parmi d’autres. Pourtant les tentatives de création nourries par les débats continuent, et cela,malgré les violences économiques et politiques. Il faut souligner que ces créations sont liées aux questionnements radicaux renforcés par la déception des révolutions. Les graines semées dans les luttes incessantes, depuis de longues années, ont germées. Fleuries. Celles et ceux qui luttent pour un monde joyeux, libre et juste, ont donc beaucoup plus de ressources par rapport aux années 1980. Fini l’époque des doctrines, des prophètes, des théories parfaites. Les sources d’influences théoriques de l’espace des luttes sociales se sont multipliées. Le murissement des analyses critiques découle également des expériences de luttes contre les multiples facettes des systèmes de domination, mais aussi des recherches qui, en outrepassant l’universalisme, adoptent une approche multisituée, pour contextualiser et historiser les structures de pouvoir, les expériences d’oppression et d’exploitation ainsi que les pratiques de résistance.
Cette intelligence collective nous permet de voir que la frontière entre volonté d’intégrité théorique et dogmatisme inflexible est étroite; elle permet également de mieux comprendre les logiques communes, les liens idéologiques et conceptuels de différents systèmes de domination. La civilisation humaine fonctionne avec le postulat de rationalité qui lui donne la légitimité de remettre en « ordre » tout ce qui serait chaotique, marginal et extérieur à elle-même: le désordre, la marginalité et l’altérité doivent être normalisés. La domination de l’Orient par l’Occident, le racisme, l’intervention dans les cultures dites « primitive », le contrôle de la folie, I’homophobie, l’exclusion des enfants de toute sorte de décision, les rapport de la classe, s’appuient sur le même postulat. La psychiatrie et la psychologie servent à contrôler l’ingouvernable « nature intérieure » de l’humanité. Le mâle qui s’est approprié cette mission a réduit la nature en servante de l’être masculin. Dans le système patriarcal, tous les êtres dominés sont assimilés à la nature et tout ce qui se rapporte à la nature se dote de caractéristiques féminines. C’est là que la théorie de l’écologie sociale devient intéressante, car elle interroge toute la civilisation humaine qui imagine une nature dans la limite de sa pensée et ce faisant catégorise le monde par ce modèle. En France, cette interrogation se propage de plus en plus, dans une période de revitalisation politique des luttes antihiérarchiques qui portent les liens forts et transnationaux des pensées utopiques.
En suivant cette interrogation, Floréal Romero, qui écrit, intervient et milite depuis longtemps autour de cette cause, va un peu plus loin : il essaie de repenser l’histoire sous le prisme de l’écologie sociale et de faire dialoguer la pensée de Murray Bookchin avec d’autres analyses et expériences libertaires. Il pose, de façon très honnête, la question : est-ce que cette pensée peut être utile ? Pour ce faire, il questionne ses sources d’influences théoriques et pratiques. Il constate que c’est le caractère anarchiste et antiautoritaire de Bookchin qui le rend intéressant aujourd’hui.
Je trouve séduisant ce dialogue de Floréal Romero,anarchiste franco-espagnol, qui s’est baigné dans les récits des expériences magiques réprimées en Espagne, avec Murray Bookchin, penseur radical juif franco-russe, anarchiste, communaliste, fondateur de l’écologie sociale. Romero lit Bookchin à travers son propre témoignage et sa propre expérience. Il nous montre comment, après la Commune de Paris, la courte révolution espagnole a mis en place une étrange, voire une impossible aventure. Il existe déjà beaucoup de travaux relatant cette expérience d’une forme politique, distincte du modèle de l’État moderne, bureaucratique, telle que l’avait présentée Max Weber. De son côté Floréal Romero se focalise plus particulièrement sur les projets d’urbanisme social, l’équilibre entre la ville et la campagne durant cette révolution. Il pointe du doigt que les luttes anarchistes se distinguaient des luttes marxistes dans le sens où elles englobaient des questionnements, des revendications et des actions sur l’urbanisme, sur les rapports avec l’écosystème, sur l’organisation sociale, sur l’urbanisme écologique. « Retourner aux racines c’est retrouver le fil de la riche histoire de notre épopée révolutionnaire»3, dit-il. S’il faut éviter de construire des mémoires sacrées à travers lesquelles le pouvoir se matérialise et limite notre force critique et créative, Romero analyse,avec clarté, une expérience qui a été considérée très dangereuse par les dominants et qui fut réprimée, bétonnée, effacée par le fascisme, puis de nouveau par ses héritiers. Floréal Romero veut comprendre et changer le monde. Il mène, sans fermer les portes, une discussion au sein de la pensée anarchiste. Il s’engage à approfondir cette pensée, à l’actualiser. La vocation de créer un monde fondé à la fois sur la justice et sur la liberté, s’ils sont efficaces, est un exercice difficile ! « Changer, oui, mais changer comment ? »4 Comment dépasser les hiérarchies politiques, l’économie productiviste ou la centralisation du pouvoir ?Comment vivre ? Comment s’organiser? Comment produire ? Comment cultiver? Comment habiter ? Comment décider ? Comment partager ?
Romero questionne avec Bookchin le refus essentialiste du pouvoir, le dogmatisme, l’individualisme et l’aventurisme par manque d’une véritable réflexion stratégique. À la lumière de ces questionnements, il fait une petite histoire des luttes et des pensées anarchistes / libertaires / antiautoritaires. Ces différents groupcs ont contribué à nourrir la littérature, à travers des réflexions sur l’urbanisme, les rapports aux animaux, la notion de nature, l’éducation, la folie, les corps, le système de santé…
Il explique la construction sociale de la théorie de l’écologie sociale. Dans la première partie de ce livre, on suit le parcours de Murray Bookchin, son enfance à New York, l’évolution de son quartier, son engagement politique dès le plus jeune âge, son militantisme. On continue de le suivre, à travers l’analyse de Romero, passant d’un anarchosyndicalisme à un engagement plus complexe articulant action militante et réflexion poussée sur les multiples rapports de dominations… Même si l’anarchisme est la condition préalable à l’application des principes écologistes, nous voyons que, dans les années 1970-80, il n’était pas si évident de lier les deux.
Les années ne se sont pas écoulées en vain: les graines semées ont poussé, fleuri… Aujourd’hui nous voyons qu’avec toute leur diversité, les groupes libertaires sont des forces, des piliers, pour ne pas dire des colonnes vertébrales, de la plupart des luttes contre les projets inutiles et imposés. Partout en France, les communes, grandes et petites, deviennent la base de multiples organisations politiques. Cette situation pousse l’auteur à poser la question essentielle : en quoi la pensée de Murray Bookchin peut nous inspirer ?
N’oublions pas que, comme plusieurs penseurs en avance sur leur temps, Bookchin n’arrive à concrétiser que peu de choses. Oui il y a des idées, mais il y a aussi la vie : sa biographie écrite par sa compagne Janet Biehl le montre bien5. Le cercle ne s’élargit pas. Durant ses dernières années, l’âge et la maladie le conduisent à travers plusieurs ruptures politiques brutales, vers l’isolement. Par amertume et incapacité à convaincre, il se met en retrait. Janet Biehl, qui s’enferme avec lui dans cette amertume, revient à ses convictions politiques antérieures, la sociale démocratie. Comme elle le précise dans son épilogue, elle met tout son espoir dans le mouvement kurde. Tant que l’écart entre notre utopie et notre réalité grandit, il n’est pas facile de trou-ver ou de retrouver de l’énergie pour créer. C’est ainsi, mais Bookchin a osé développer une pensée politique originale qui refuse les hiérarchies entre les différents rapports de domination et qui fouille tous les détails sans jamais perdre de vue les points d’interrogation. Nous ne sommes pas face à une doctrine, nous parlons d’inspiration. À travers cet ouvrage, Floréal Romero nous explique justement comment il se l’approprie et met l’accent sur la souplesse de la réflexion de Bookchin qui permet d’appréhender les racines de l’ordre social et celles de la création d’un nouveau modèle de vie. Cette réflexion est nourrie principalement par la pensée libertaire antiautoritaire. Elle problématise les rapports cherchant les issues pour s’en sortir. Un chemin fait de solidarité, coopération et liberté et non plus de domination, de compétition ou d’exploitation.
Agir ici et maintenant est une critique du capitalisme. Il décrit comment la crise permanente de ce systeme, au niveau mondial, détruit tout ce qui est en dehors du marché. Il parle du spectacle de la démocratie. Comme le faisaint les situationnistes, il propose d’inverser le processus, le jeu, le spectacle. Quand on finit ce livre, on aperçoit les fleurs sortir du béton. Est-ce que ces fleurs pourront transformer le béton en terre ? Pas évident, mais pas impossible non plus.
Le réalisme veut nous soumettre au reality sbow ! Dès que nous fuyons la scène, c’est-à-dire lorsque nous nous écartons du spectacle, nous sentons l’odeur de la terre. Et si nous nous baignons à la fois dans le féminisme, le situationnisme et l’écologie sociale, nous sentons l’alchimie se propager en nous. Tout devient possible.
Sommes-nous des Doña et des Don Quichotte ? Un peu. Nous partageons en quelque sorte la même folie. Quoique légèrement différente : une folie qui ne domine pas les chevaux, qui ne met pas des vêtements militaires, qui n’utilise pas l’épée et qui ne reproduit pas la culture genrée. Une autre différence et de taille : nous n’agissons pas seuls. Nous sommes des folles et des fous agissant collectivement. Des milliers de sorcières autour d’une marmite. Pour un monde magique.
Avec Floréal Romero, je vous propose d’ajouter la pensée de Bookchin à notre marmite.
Pinar Selek
- Biographie de Murray Bookchin écrite par Janet Biehl : Ecologie ou catastrophe. Editions L’Armourier. 2018. ↩︎
- Merci à l’Atelier de création libertaire qui a publié ces deux livres en France : Murray Bookchin, Une société à refaire. 1992. et qu’est-ce que l’Écologie sociale ? 2012. ↩︎
- op. cit. p. 20. ↩︎
- Murray Bookchin et l’écologie sociale. Vincent Gerber. Écosociété. 2013. p. 18. ↩︎
- Écologie ou catastrophe op. cit. ↩︎
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Publié le 18/12/2020 sur https://www.ecologiesociale.ch/
Interview inédite, transmise par Floréal Romero.
– Depuis les dernières élections municipales, plusieurs listes affichant une volonté d’établir un nouveau rapport à la démocratie locale sont arrivées au pouvoir, à Strasbourg, Bordeaux ou Marseille. Quel crédit accordes-tu à ces promesses ?
Avec l´irruption de 400 listes citoyennes participatives dans la dernière campagne des élections municipales de 2020 en France et 66 à être arrivées en têtes, nombre de chercheurs en science politique, en sont venu à parler de « la fin d´un cycle de la démocratie électorale », voire de « Révolution démocratique ». « Ainsi, Martial Foucault, directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po)1 affirme qu’il faut relier ce phénomène à l’émergence du mouvement des gilets jaunes en novembre 2018. Ces listes constituent une autre forme expérimentale de la démocratie. C’est à dire qu’un unique rendez-vous tous les 6 ans ne suffit pas, et que les enjeux démocratiques ne doivent plus être traités par le haut, qu’il soit national ou supranational. En ce sens, il n’y a pas de désenchantement ou d’épuisement de la politique, mais un ré-enchantement. » Mais peut-on parler de ré-enchantement de la politique avec un taux d´abstention de 58,4% ?
Malgré cette exaltation feinte ou réelle, le désenchantement général vis-à-vis de la politique persiste. Le citoyen reste assimilé à celui ou celle qui vote pour son représentant, tous les quatre ou six ans, en lui déléguant les affaires le ou la concernant. Grosso modo, tout comme pour les élections aux autres niveaux politiques, il y a les bons et les mauvais représentants, lesquels ne sont pas élus pour leur programme mais contre celui dont on ne veut pas ou plus. Et, comme le signalait déjà Guy Debord en 1971 : « c’est justement parce qu’il est l’électeur, celui qui assume, pour un bref instant, le rôle abstrait qui est précisément destiné à l’empêcher d’être par lui-même. » Ainsi la politique, pour l´électeur n´est plus qu´une coquille vide et reste confinée à la société du spectacle, même au niveau local et même si, le nombre d´acteurs augmente et que les couleurs des participants sont plus vives et variées.
Beaucoup d´analystes et politologues cernent assez bien les enjeux de cette course électorale au pouvoir local. Ainsi les expressions « Citoyen-washing », de « Listes cosmétiques », « Marketing politique », sont assez parlantes quant aux limites de la supposée indépendance de ces listes vis-à-vis des partis et de leur autonomie. Dans de nombreux cas, les membres de ces listes citoyennes sont encartés dans des partis de gauche, qui s’offrent ainsi une virginité politique. En tout cas peut-on parler d´un changement de paradigme si dans « environ 50% des cas », la victoire électorale de la liste citoyenne n’a pu être possible que grâce à un jeu d’alliance avec les partis ? Et les partis quels qu´ils soient, ne voient-ils pas les municipales, uniquement comme consolidation régionale puis nationale de leur force de frappe ? Dans le fond, les partis ne sont que de petites machines de guerre pour la conquête suprême, celle de l´État et sont structurés verticalement, comme ce dernier.
La Gauche en général, en pensant pouvoir s´appuyer sur l´État, a commis une erreur d´analyse fondamentale. Les effets historiques de cette erreur se sont incarnés, parfois de façon dramatique, tout au long de l´histoire des luttes sociales et politiques et des révolutions, étendant leur ombre jusque dans le présent, au point de renoncer au socialisme et se résoudre à une meilleure gestion du Capital. Les écologistes parlementaires n´ont fait que leur emboîter le pas. Ces partis s´accordent bien sur le fait que l´État actuel sert de bras armé au Capital et à la classe qui le représente. Mais tous sont intimement convaincus qu´en leur main, ce même État, pourrait être mis au service du peuple et même qu´il nous sauvera du désastre écologique. Or, comme instance surplombant la société, l´État, loin d´être un outil neutre au service de qui s´en empare, est au contraire, un rouage essentiel de l´exploitation capitaliste. Il est le garant d´une des bases structurelles essentielles de ce dernier : la propriété privée des moyens de production à l´origine des conflits de classe. De là son rôle crucial, destiné coûte que coûte, par la carotte ou le bâton, à maintenir la paix sociale : celle de la domination de la classe des possédants sur celle des dépossédés. En revanche, l´État doit son existence au bon fonctionnement du marché et à la valorisation de la valeur que créent les entreprises dans une recherche constante de la baisse des coûts de production pour être compétitifs sur le marché. C´est cette valorisation de la valeur, obtenue qui lui permet de maintenir à flot la reproduction sociale. Lui et le marché, constituent donc les deux pôles inséparables du capitalisme. C´est pourquoi les appellations : « État démocratique » tout comme « Démocratie représentative » ne sont que des oxymores et en ce sens font toutes deux office de décors du règne de l´argent et du mythe de la liberté. Et lorsque l´État fait tomber son masque il n´hésite pas à se montrer tel qu´il est, et sans équivoque : le bras armé absolu du capital. La Chine restant le modèle et l´aspiration de bien de ces « sous-officiers » du capitalisme.
On ne peut néanmoins balayer d´un revers de manche la volonté réelle d´une partie de la population, à se détourner de cette logique de partis, et de sa ferme résolution à reprendre en main son pouvoir de décision sur leur vie et la politique locale. Le mouvement des gilets jaunes a eu effectivement un rôle déterminant dans cette défiance envers les partis et cette volonté de souveraineté politique, en exprimant sa « rage contre le règne de l´argent »2 et la verticalité du pouvoir, Toutefois cette volonté à elle seule est loin de garantir un renouvellement du politique et encore moins celle d´une « révolution démocratique ».
Les Listes citoyennes, déjà présentes en 2014, en France, se constituent en partie en réaction à ces politiques politiciennes ne débouchant sur rien, si ce n´est reproduire les mêmes impasses. Ainsi elles aspirent à un partage plus équitable du pouvoir municipal et articulent la question sociale avec la question démocratique, voire écologique. Mais derrière ces aspirations au changement, quelle est la marge de manœuvre ? De l´aveu même du directeur du Cevipof: «Elles sont corsetées, avec un cadre qui empêche le maire de légiférer pour les grandes transformations écologiques et sociales». Quoi de plus logique ? N´agissent-elles pas, elles aussi dans le carcan de l´État ? L´Institution municipale dans un régime étatique ne peut qu´être au service de l´État. Elle en constitue la première cellule structurelle de base, elle le nourrit et, comme extrémité de son système nerveux, c´est elle qui transmet ses ordres. Et que dire de ces Listes se présentant dans le gigantisme de ces mégapoles, comme Barcelone, Grenoble, comme autant de pôles stratégiques de la finance en compétition entre elles ?
La bonne volonté et la sincérité ne suffisent donc pas tant que notre analyse reste superficielle voir confuse. Nous continuerons à nous bercer d´illusion, convaincus «des chances des candidats sincères de percuter le système à travers les urnes et ses règles du jeu édictées par les pouvoirs dominants.»3 Or ces candidats sincères, membres d´un parti ou pas, ou comme candidature élargie, (Listes citoyennes), loin de «percuter le système», ne pourront au mieux que s´adonner à meilleure gestion de l´entreprise municipale, afin d´assurer sa solvabilité. Au final, cette bagarre électorale autour des municipales aura eu pour effet, de désenchanter le politique et décourager la mise en place d´une véritable démarche collective radicale et émancipatrice.
– Dans la plupart des cas, ces listes n’affichent pas une affiliation directe au citoyennisme, au municipalisme ou au communalisme. Comment expliques-tu cette confusion ambiante ?
La confusion ambiante règne en effet et désormais à tous les niveaux concernant nos vies. Voulue ou pas, elle arrange bien les gardiens du temple, mais confond assurément tout projet émancipateur.
A ce stade de Capitalisme avancé nous conduit là où il devait assurément le faire, par la logique même de sa nature profonde de “croître tous azimuts ou mourir” comme l´avaient déjà prévu certains visionnaires comme Bookchin et plus précisément, pour ce qui est de l´actualité, Guy Debord en 1971: “Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade.»4 Des lors, comment donner crédit à ces « sous-officiers » du capital qui, soudainement, semblent s´être épris mondialement du peuple de préférence à la marche de l’accumulation du capital?
Ainsi, dans cette société malade, agitant la sacro-sainte Santé, telle une icône prophylactique (toutefois en version rentable et donc, à l´opposé-même de l´art de vivre favorisant les vrais facteurs de santé) et sous prétexte de nous épargner le chaos, cet épisode dont on ignore la durée, pourrait bien augurer la dystopie du contrôle total par objets interconnectés qui éclipseront nos relations humaines. Ces dernières étant remplacées par des relations virtuelles entre porteurs de données.
Mais comment s´y retrouver ? Comment voir clair dans ce brouillage de pistes ? Le déficit informationnel, nous a pendant longtemps empêché d´agir efficacement et souvent, même conduit à l´inhibition de l´action. Actuellement le bombardement d’informations subit et que, de surcroît, nous croyons générer nous-même via les réseaux sociaux, nous dirige tout autant vers une l’inefficacité de l’action. Vérités, demies vérités, mensonges, publicités, slogans nous inondant perpétuellement, il nous est ainsi impossible de les sélectionner, de les classer, de les situer dans les niveaux d’organisation qui les englobent (et qu’elles englobent en retour). Tout ceci finissant par provoquer aussi un véritable sentiment d´impuissance et de mal-être. Alors, il devient plus aisé de fuir la réalité, de se laisser guider par les « tutos » et se laisser distraire par des séries et des apéros WhatsApp. Vivant pour la plupart hors sol, nous sommes dépossédés de nos moyens de subsistance et désormais détournés des activités de la vie première, celles des relations de proximité, d´échange, de transmissions de savoirs, de l´agriculture, de la santé, du soin des enfants et des personnes âgées, des récits, de l´artisanat, de l´art en général et de notre histoire. Ainsi, réduits à subir et choisir à l´étalage, il devient plus aisé de payer pour tout laisser aux mains de spécialistes, à commencer par les politiciens professionnels, suivis des « comités scientifiques » veillés par des « commissions d’éthique », tutelles de l´Etat.
Et pourtant ce sont les boucles de rétroaction de l’action sur le milieu qui permettent de maintenir le bien-être de notre organisme et ainsi de préserver sa structure. C’est ce que Claude Bernard appelait « le rétablissement de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur », ce que Walter Cannon a nommé « homéostasie » et ce que Sigmund Freud a désigné par « principe de plaisir ».
Dans ces conditions, et étant donné le peu de différence séparant les programmes du « politiquement correct » situé sur le vecteur de la démocratie représentative, obligatoirement inféodée aux Etats, et l´imaginaire politique s´y recroquevillant, comment s´étonner que l´on ignore tout, ou presque, de l´origine et la nature de nos filiations politiques ? Par ailleurs, le confusionnisme, devenu une stratégie sciemment entretenu se situe dorénavant à tous les niveaux idéologiques afin de « noyer le poisson » et le ferrer, ainsi, plus facilement. Pour exemple, Alain Soral édite une œuvre de l´anarchiste Pierre Kropotkine, auteur de « Paroles d´un révolté ». De la même façon, Alain de Benoît, idéologue de la droite extrême, se pare des habits de la critique de la valeur et de Marx. Enfin, Ada Colau quant à elle, surfant sur la puissante histoire de l´anarchisme espagnol, se revendique simultanément de deux de ses activistes les plus en vue : Federica Montseny et Murray Bookchin. Ainsi tout comme Soral peut conjuguer, en même temps, entraide et « guerre des races » en oubliant le communisme libertaire de Kropotkine, il devient possible d’en arriver à penser en même temps, communautés libertaires et survivalistes d´extrême droite pour « certains » collapsologues. Pourtant, faire passer Bookchin pour un simple adepte des élections municipales, devient une réelle trahison lorsque l´on feint d’oublier plus ou moins sciemment sa radicalité et toute l´étendue, la complexité de son œuvre et de ses propositions communalistes.
Plus que jamais d´actualité, reprenons à notre compte l´urgence de Guy Debord: «Et jamais la conscience historique n’a eu autant besoin de dominer de toute urgence son monde, car l’ennemi qui est à sa porte n’est plus l’illusion, mais sa mort.»
Existe-t-il aujourd’hui des bastions du municipalisme libertaire en France ?
D´un point de vue strictement politique, il est certain que les petites municipalités offrent un cadre plus adéquat pour des expérimentations de municipalisme libertaire ou communalisme. Le fait de se présenter aux élections municipales, pour ce dernier n´est pas synonyme de prendre les rênes de la Mairie, loin s’en faut ! Le but est fondamentalement de faire connaître les propositions communalistes et de constituer des contre-pouvoirs basés sur des assemblées de démocratie directe en tension avec les Institutions de l´Etat. Dans le cadre rural actuel où le pouvoir est surtout aux mains du préfet, considérée jusqu’ici comme simple courroie de transmission de l’exécutif, l’échelle communale, ne pourrait-elle pas ainsi être retournée et transformée en espace d´apprentissage en vue d´une émancipation politique et sociale ?
Il en est ainsi du petit village de Ménil La Horgne, près de Commercy dans la Meuse, et héritier direct de la lutte des Gilets jaunes du coin, également porteurs du projet de « Commune des communes ». Loin d´être un bastion du communalisme, et pourtant gagnée à sa cause, cette municipalité devient un lieu et où l´on va s´exercer aux vertus civiques et éducatives (au sens de la paideia grecque) de la pratique politique en assemblée.
Pas question pour autant de pratiquer du localisme. Certaines dimensions (par exemple, la question énergétique, les échanges, la gestion des déchets.) excèdent l’échelon communal.
Il ne s´agit pas non plus de créer des lieux exemplaires, emblématiques qui comme Marinaleda, Saillans et bien d´autre finissent par s´éteindre ou, s´ils vont trop loin, s´affrontent directement aux forces répressives de l´État. L’exemple de Notre Dame des Landes, entre autres, montre suffisamment que ce dernier ne compte accepter aucune forme organisationnelle qui lui soit extérieure ; qu’il fera tout pour réduire ces expériences dès qu’elles commenceront réellement à se concrétiser sur le territoire. Ces tentatives, assez nombreuses en effet, ne peuvent donc actuellement exister que sur un mode discret. Toutefois elles se multiplient et tentent de prendre leçon de leurs expériences respectives.
L’option communaliste qui est la nôtre se pose clairement dans un dépassement de ces structures, dans un « work in progress » qui ne peut s’élaborer actuellement que dans les marges à travers les pratiques, en des territoires restreints, de groupes humains cherchant à reprendre le contrôle de leurs vies. L´urgence étant, des lors, de multiplier des échanges entre ces espaces, de créer des liens de solidarité, sachant de la sorte qu´aucun projet alternatif ne sera réellement abouti sans le développement d´un mouvement qui regroupe tant les luttes pour la dignité que les alternatives en vue de sortir du capitalisme.
Tu as évoqué dans d’autres papiers les renoncements du municipalisme à Barcelone, d’Ada Colau et de son réseau des « Fearless cities », auquel la ville de Grenoble est affiliée. Quel jugement portes-tu sur l’action de la municipalité grenobloise ?
Dire qu´à Barcelone, il y a eu « renoncements », de la part d´Ada Colau, au Municipalisme libertaire n´a jamais été mon propos. J´aurais pu l´affirmer si, dès le départ, son parti « Barcelona en Comú », avait adopté, non seulement le nom en entier mais également les thèses du municipalisme libertaire, proposé par Murray Bookchin. La confusion s´installe surtout lorsque ce parti, tout comme son « internationale » se revendiquent de la pensée de ce dernier. Un simple regard suffit pour s´apercevoir que cette filiation affichée, n’est, en fait, qu´une opération de marketing. Celle-ci est encore plus ridicule concernant la version de réseau international « Fearless cities », pire encore quand des métropoles en arrivent à s´autoproclamer « villes rebelles » voire « villes révolutionnaires ». Comme je l´affirme dans mon livre « Agir Ici et Maintenant » publié en Octobre 2109, il s´agissait bien plus de promouvoir une tactique électorale populiste ayant pour leader charismatique Ada Colau, elle-même. C´est cette dernière opération qui lui ouvrit les portes de la Mairie de Barcelone en 2015, en surfant sur les mouvements sociaux de Barcelone majoritairement de tendance libertaire. En 2019, ce seront les votes de Manuel Valls qui lui permettront de garder son poste ! Après environ cinq ans de gouvernance nous pouvons affirmer que le municipalisme en général, et celui de Barcelone en particulier, ne sont en fait qu´une vaste opération d´enfumage, et ce, malgré la bonne volonté de nombreux activistes s´y étant impliqué avec enthousiasme.
Voici ce qu´en dit l´anthropologue Manuel Delgado Ruiz dans une étude de 2018 : « …l’accès apparent au pouvoir municipal des militants et des théoriciens du mouvement anti-mondialisation, de la lutte pour un logement décent et des campements indignés implique le démantèlement de ce qui étaient des mouvements sociaux, dont on pourrait bien dire qu’ils ont cessé d’exister à Barcelone, c’est-à-dire d´être actifs. Et ce malgré le fait que les injustices dans la ville soient les mêmes, sous Ada Colau. » (Le nouveau municipalisme et l´assaut des citoyens sur la ville. Le cas de la « Barcelone post-modèle)5. Et de conclure : « …la grande dynamique de rentabilité capitaliste de l’espace…qui, face à sa décrépitude, est rajeunie grâce au « nouveau municipalisme », dont la caractéristique est sa capacité d´enfariner le pillage et la tristesse des villes avec des invocations mélodieuses à la mystique des droits et des opportunités. »
Comme mégapole appartenant au réseau des “Fearless cities”, Barcelone partage bien des similitudes avec Grenoble. Le maillon le plus visible étant cette aspiration incantatoire à devenir les meilleures technopoles sur le marché. Toujours selon Manuel Delgado: “Barcelone a continué à s’offrir au monde en tant que capitale des « villes intelligentes », avec la célébration, en 2016 et 2017, du congrès mondial Smart City Expo, qui a été utilisé… à dynamiser et à internationaliser l’écosystème novateur de Barcelone et à favoriser les opportunités commerciales que génère la transformation numérique des villes »…. « Dans le même sens d’exaltation des nouvelles technologies, en ignorant leur impact social négatif, Barcelone a continué à accueillir le Mobile World Congress, qui avait été tellement répudié par ces mêmes mouvements sociaux dont est issue la nouvelle maire, Ada Colau.»6
Rattraper Grenoble comme « ville intelligente » et interconnectée est un pari difficile à tenir car si la Mairie de Barcelone se situe bien dans la continuité d´une « grande dynamique de rentabilité de l´espace », Grenoble quant à elle, hérite d´une indubitable tradition technologique réputée « écolo-compatible ». C´est précisément cette symbiose qui est la caractéristique de Grenoble en tant que technopole, bien plus que son allégeance municipaliste. Eric Piolle l´exprime d’ailleurs ainsi : « Du fait de ma carrière de cadre dirigeant dans l’industrie, je sais qu’innover au bon moment est la clé de la réussite économique. […] De la révolution numérique aux recherches sur l’infiniment petit, à chaque fois Grenoble est en avance… c’est dans son ADN ! […] Tout le bassin de vie accueillerait décideurs et investisseurs internationaux pour accélérer nos projets […] »7. C´est ainsi que Piolle se situe lui aussi dans la tradition des maires techno-progressistes de Grenoble depuis des dizaines d´années. Ainsi du Rose nous sommes passés au vert pâle, et donc, sans rien changer de fondamental. C´est ce qu´un politicien français bien connu nomma un jour le “Changement dans la continuité”.
Ainsi, Grenoble, ville connectée, est devenue une smart city à vitesse accélérée sous la direction des Verts. Encore plus qu´à Barcelone, l´écocitoyenneté est assistée par ordinateur. Tous les citoyens peuvent prendre leur bus avec leur smartphone. Ils sont filmés et captés sur la voie de covoiturage pour s´assurer qu´ils en roulent pas seuls dans leur voiture. Pourtant Eric Piolle, comme vous le signalez vous-mêmes, dans le numéro de Politis nº 1120, consacrée aux dévots de la tech, est bien signataire avec d´autres personnalités politiques, d´une tribune plaidant pour un moratoire sur le déploiement de la 5G ! C’est pourtant encore lui qui se félicitait, à l’occasion du salon SemiCon Europe 2016 consacré à l’Internet des objets (IoT ou « Internet Of Things »), que Grenoble ait : « l’histoire et les savoir-faire pour permettre à l’Europe de capter la valeur de ces nouveaux marchés, pour rassembler IoT et semi-conducteurs ». D´ailleurs dans le cadre ces règles du jeu bien acceptées, comment résister réellement à la compétition de la mise en place partout ailleurs de la 5G ?
Le Dauphiné Libéré annonce le 9 Octobre la nomination de Grenoble comme « Capitale Verte 2022 » au grand dam de Dijon. (Concurrence oblige !) S´il restait un doute quant au projet des administrateurs de la technopole, la déclaration suivante d’Éric Piolle, lors de l´annonce de la Communauté européenne, le dissipe aisément : « parce que d’abord, c’est une victoire. Ensuite parce qu’il s’agit d’un très bon projet sociétal et économique. (…) Le monde économique travaille avec l’image de sa ville ; or en termes de marketing territorial, ce titre élimine le bashing, créera du business et nous positionne en avance”8.
Ainsi donc, comme je l´ai écrit par ailleurs9: «Barcelona en Comú» avec l´extension de l´usage du numérique pour « les prises de décision en commun»5, tout comme celui de Grenoble, est tout à fait soluble dans le capitalisme moderne du Green New Deal, tel que le propose par exemple Rifkin : «La gouvernance de la ville multipolaire est complexe. Il s’agit maintenant de gouverner à distance, d’influencer plutôt que diriger (Epstein, 2005). Le pouvoir y est distribué entre au moins quatre types d’acteurs : les décideurs centraux (de niveau étatique ou territorial), les décideurs locaux (élus), les acteurs associatifs, et les acteurs privés détenteurs de capitaux ». Finalement à toute chose, malheur est bon. Que soit donc bénie la pandémie qui vient tombée du ciel, pour booster ce divin progrès !
Après ce constat accablant, tournons le dos à ces formes de social-démocratie renouvelée en démocratie radicale, en révolution municipale verte10. Cessons d´écouter les cantiques, les mots magiques sans aucun ancrage dans la réalité concrète : « participation », « transparence », « gestion efficace », « honnêteté », « démocratie territoriale », « décentralisation », « droit à la ville », « écologie », « ville intelligente ». Cessons de croire que ces incantations puissent être autre chose qu’un vernis inodore, incolore et sans saveur réelle.
« Soit un mouvement capable de pousser l’humanité se fera jour, soit la dernière grande opportunité historique d’accéder à une émancipation complète de l’humanité périra dans une autodestruction sans frein. » Murray Bookchin.
Prêtons plutôt attention aux suggestions discrètes mais chargées d´espoir et de bon sens (sentido común en espagnol) de Pascal Nicolas-Le Strat, tirées de son ouvrage « Le travail du commun » : « Qu’est-ce qui se produit quand les laissés-pour-compte entrent en mouvement et prennent la parole ? Est-ce inéluctable que leur parole se délite progressivement, faute de cadres institutionnels capables de l’accueillir durablement et de lui permettre de s’élaborer, ou se corrompt dans la concurrence électorale ou la « publicité » médiatique qui caractérise l’espace public institutionnalisé ? Les paroles rebelles doivent inventer leurs propres dispositifs institutionnels afin de pouvoir s’exprimer avec force et authenticité. » Propos qui nous ouvrent la porte à la dernière question.
On a évoqué dans notre entretien le livre de Laval et Dardot sur le Commun. De quelle manière la notion des communs, pourrait s’appliquer à la gouvernance d’une métropole ? L’échelle de ces villes n’est-elle pas déjà trop large ?
Les lutte conjointes contre les mégaprojets et pour le droit au logement mettent le doigt sur l’un des maillons constitutifs de la logique capitaliste d´accumulation et de sa concentration accélérée dans les mégapoles : celle qui part de la propriété privée des moyens de production portée jusqu’à sa sacralisation. Dans ce contexte, la notion du commun, le poids de son histoire et ce qu´il en reste s’acharnent et résistent au diktat capitaliste, ne serait-ce qu’au fond de nos imaginaires, de nos inconscients et ce, depuis des siècles.
Ce qui complique la reconnexion avec cet héritage, c´est qu´historiquement, il se produit, d’abord, un violent changement dans le régime des communs ruraux pourvoyant à nos besoins basiques : la confiscation au nom d´une gouvernance populaire de type autogestionnaire. Nous passons, de fait, à des espaces publics qui ne pourvoient plus désormais aux besoins de base autrefois satisfaits par le régime de biens communs. Ce glissement de l’administration des communs par l’État pour le compte de la collectivité, nous mène à la « propriété publique », Il existe encore un autre glissement qui finit de corrompre les communs et la vision historique à laquelle nous pourrions tenter de nous relier. L’État étant devenu lui-même une entreprise dans le grand tout du marché globalisé, le domaine public cesse d’être inaliénable comme il le fut, par exemple, au temps de l’Empire romain. La propriété publique devient une marchandise quantifiable et, comme telle, elle est privatisable par l’État lui-même. Ainsi l’économie des biens publics entre dans une relation de miroir avec celle des biens privés. »….
« Si la globalisation est l’enclosure ultime des communs – notre eau, notre biodiversité, notre nourriture, notre culture, notre santé, notre éducation –, récupérer les communs est le devoir politique, économique et écologique de notre temps », nous dit Vandana Shiva
C´est bien la raison pour laquelle : « dans le contexte social qui est le nôtre, nous devons nous appuyer sur cette force que représente ce qui reste des communs. Celle-ci nous offre encore la possibilité de dépasser l’opposition entre la propriété privée et la propriété publique. En effet, cette force des communs réside en ce qu’elle nous ouvre un ensemble de riches perspectives pour l’imaginaire en général mais aussi pour notre projet politique plus immédiat. »
Et c’est là que notre proposition communaliste trouve sa place car c’est le principe même du commun qui en émane. Le communalisme se définit tout d’abord comme une politique faisant du commun le principe de la transformation sociale, de façon à faire converger les activités les plus diverses dans la direction du commun. Mais le communalisme ne se décrète pas, il est en premier lieu un processus de délibération, une mise en commun des paroles et des pensées par laquelle des femmes et des hommes réfléchissent et s’efforcent de déterminer leur action politique. Cette action commune tire toute sa force des émotions partagées lors des luttes sociales, la construction d’alternatives ou la défense d’un territoire, mais aussi de l’engagement et de la détermination politiques à la recherche du bien commun. L’action commune devient ainsi prioritaire devant même le bien commun en soi, car il le précède et constitue sa source vive.
C’est ainsi que l’institutionnalisation du commun possède en elle-même toute la potentialité pour faire émerger les institutions du communalisme partant de la pratique commune. Une fois la propriété privée des moyens de production et celle de l’État reprise par la commune, elles sont instituées comme propriété d’usage et allouées par les assemblées décisionnelles, autant à des personnes qu’à des collectifs dans le but de réaliser le bien commun. Contrairement aux institutions de l’État, ces auto-institutions sont éminemment vivantes. C’est la pratique qui les soutient dans le temps et les autorisent à modifier les règles qu’elles ont établies au départ en fonction de leur maturité, de l’évolution des rapports internes quand bien même ils seraient de nature conflictuelle. C’est cette pratique de gouvernement du commun par les collectifs qui donne vie à ce que Dardot et Laval nomment « praxis instituante ».11
Bien entendu, nous ne pouvons éluder la question de poids posée au départ, concernant la gouvernance communaliste d´une métropole, et constituant sans doute une de nos plus grands défis. Le communalisme, stipulant une souveraineté quant à nos besoins primaires et une démocratie directe de face à face, les métropoles, comme tous les gigantismes et les projets démentiels inutiles, conséquence de la logique d´accumulation capitaliste, sont voués au démantèlement. Mais ce démantèlement et cette décentralisation se construisent et requièrent donc du dévouement et du temps. Partant de la base, des rues même, il nous faudra commencer par diviser politiquement la ville en quartiers afin que puissent se prendre des décisions, en démocratie directe et face à face, lors de nos assemblées décisionnelles. Mais ce sera une conséquence, le résultat de tout un mouvement qu´il nous faut mettre en place également par ailleurs, hors de métropoles, dans les espaces ruraux. Ces actions se mèneront en concert et nous en avons déjà des ébauches dans les réalisations alternatives, tout autant à la campagne que dans les villes. Ainsi par exemple ces liens villes-campagnes créés par les AMAPs, ou les tentatives de recréer des communs où que l´on se trouve. Ainsi sont mises sur pied des formules juridiques de façon à exclure la propriété privée et éviter la spéculation et ne retenir que la propriété d´usage en se dotant de formes juridiques comme les « fonds de dotation ». Nous en avons des exemples tout autant dans les villes, par exemple à Nancy ou Marseille pour le foncier, tout comme à la campagne comme à NDDL. Reste à unir politiquement toutes ces initiatives dans un mouvement comprenant les luttes pour la dignité contre toute domination, la verticalité et la confiscation du pouvoir, soutenus par le règne de l´argent. Ce qui constitue le premier pas pour le communalisme.
Nous avons ouvert la parenthèse des communs pour en arriver au commun et au communalisme avec Pascal Nicolas-Le Strat et c´est avec lui que nous pouvons la refermer et clore cette entrevue : « Mais qu’il relève d’un « commun naturel » ou d’un « commun produit », ce commun ne prend véritablement sens que s’il est constitué et administré sur un mode radicalement démocratique, en commun pour le commun. « Commun » est donc fondamentalement le nom d’une passion pour le faire ensemble et d’un projet de démocratie radicale. » Ce qui ne fait qu´entériner le projet communaliste, à l´image de ce que nous offre l´expérience zapatiste et ce, depuis 1994, sur un territoire grand comme la Belgique.
Floréal M. Romero en collaboration avec Steka
- David Pauget publié dans l´Express, le 14/02/2020. ↩︎
- Je recommande la lecture de ce livre de John Holloway paru aux éditions Libertalia en septembre 2019 ↩︎
- Corinne Morel Darleux, du Parti de Gauche et siégeant au Conseil Régional Rhône-Alpes. « Reporterre » du 15/02/2020. Elle est auteure du livre « Plutôt couler que flotter sans grâce » (Ed. Libertalia) et qui, en alliant anarchisme et politique politicienne, reflète assez bien le confusionnisme ambiant. ↩︎
- Guy Debord : “La planète malade” ↩︎
- https://www.academia.edu/39644129/ ↩︎
- Idem mais aussi : https://www.todoporhacer.org/asaltados-y-asaltantes/se référant à la participation citoyenne de l´aveu d´Ada Colau : « Et maintenant que davantage de citoyens sont mobilisés, il me suffit d’ouvrir le portail de participation citoyenne de mon conseil municipal, qui compte quelque 200 000 personnes, et de constater que les propositions n’atteignent même pas 400 voix » ↩︎
- « Présence, magazine » de la Chambre de commerce et d´industrie, 11 Mars 2019 ↩︎
- Le Dauphiné Libéré du 9 Octobre 2020 ↩︎
- Voir article Floréal M. Romero: « Municipales, citoyennisme, munipalisme et communalisme » sur le site : http://institutecologiesociale.fr/ . Je recommande aussi la lecture de Guillaume Faburel: « Les métropoles barbares » Editions du Passager Clandestin 2019. ↩︎
- C´est ce qui a poussé, dans une honnêteté tout à son honneur, l´ex députée de EELV, Isabelle Attard, à démissionner du parti et rejeter toute politique politicienne. Voir son livre : « Comment je suis devenue anarchiste » Editions Gallimard, Octobre 209. Elle a aussi rédigé la postface de mon livre. « Agir ici et maintenant ». ↩︎
- Floréal M. Romero: « Agir Ici et maintenant. Penser l´écologie sociale de Murray Bookchin ». Editions du Commun. Oct. 2019 ↩︎
Ma prochaine lecture: