Afin de mieux comprendre la nature révolutionnaire du municipalisme libertaire ainsi que sa place dans le répertoire des pratiques anti-étatistes, il convient de le situer dans la perspective globale de l’histoire de l’humanité. La commune, la ville, le village ou, plus généralement, la municipalité ne sont pas seulement des « espaces » où se concentre une certaine densité de population. Par son influence civilisatrice sur le développement de l’humanité, la municipalité fait partie intégrante du processus par lequel celle-ci a entrepris d’abandonner les rapports sociaux fondés sur des liens du sang plus ou moins fictifs ainsi que sur leur corollaire, la xénophobie I. Bien que très lentement et partiellement, la municipalité a créé les conditions nécessaires à des formes d’organisation s’appuyant sur le discours rationnel, des intérêts partagés et une culture laïque. Que des personnes aient pu se réunir en assemblées locales, débattre et échanger des idées de façon créative et sans hostilité ni suspicion malgré des origines ethniques, linguistiques et nationales différentes est une superbe réussite historique de la civilisation. Il a fallu des siècles d’efforts douloureux pour remplacer ces archaïsmes par la raison, le savoir et la conscience de plus en plus vive d’appartenir à une humanité commune.
Afin de mieux comprendre la nature révolutionnaire du municipalisme libertaire ainsi que sa place dans le répertoire des pratiques anti-étatistes, il convient de le situer dans la perspective globale de l’histoire de l’humanité.
Je ne prétends pas que le processus civilisateur (adjectif qui a la même racine latine que « cité II » et « citoyenneté ») soit complètement achevé. Loin s’en faut : sans une organisation sociale rationnelle, une municipalité court le risque de dégénérer en une mégapole où la communauté disparaît au profit d’une collection d’individus isolés et soumis à une organisation que son échelle inhumaine met hors de portée de leur compréhension – le ferment idéal pour les conflits de classe, de race, de religion et autres sursauts irrationnels. On constate pourtant que, malgré ce risque, la structuration de la société en cité a été et est toujours une condition nécessaire – bien que loin d’être pleinement accomplie III – à la réalisation des potentialités humaines.
La municipalité constitue donc potentiellement l’espace dans lequel atteindre ce noble objectif : transformer des personnes bornées en êtres humains universels et inscrits dans une humanitas libérée des déterminations pesantes et grossières du monde primitif. La municipalité, où tout être humain peut accéder à la citoyenneté quelles que soient ses origines ethniques et ses convictions idéologiques, est le véritable creuset de la société communiste libertaire. En d’autres termes, la municipalité est non seulement souhaitable pour les êtres humains rationnels – car, sans elle, une société libre est impossible –, mais elle incarne l’avenir de l’humanité rationnelle, l’espace indispensable à la réalisation des potentialités humaines de liberté et de conscience de soi.
Je ne prétends pas qu’une confédération de municipalités libertaires – une Commune des communes – ait jamais existé par le passé. Pourtant, j’ai beau démentir l’existence de tout « modèle » ou « paradigme » historique de municipalité libertaire, on ne cesse de me reprocher les nombreuses carences sociétales de l’Athènes antique, des villes révolutionnaires de la Nouvelle-Angleterre et ainsi de suite, comme si elles étaient conformes à mon « idéal ». Aucune ville, cité ou alliance de cités ne représente pour moi la pleine réalisation du municipalisme libertaire, encore moins son « modèle » ou son « paradigme » exhaustif ; ni l’Athènes de la période classique, ni les villes libres du monde médiéval, ni les town meetings de la révolution américaine IV, ni les sections de la Révolution française, ni les collectifs anarcho-syndicalistes qui ont émergé pendant la révolution espagnole V.
Malgré leurs inévitables failles, ces municipalités et les fédérations qu’elles ont constituées présentent néanmoins des caractéristiques qui nous intéressent au premier chef, ne serait-ce que par la façon dont elles ont appliqué certains principes démocratiques. Nous pouvons ainsi incorporer le meilleur de leurs institutions dans nos pratiques présentes et à venir, analyser leurs défauts et trouver, dans leur existence même et leur longévité, de quoi encourager et inspirer notre propre démarche.
Précisons bien que notre projet politique ne se limite pas à une quelconque stratégie pour créer une sphère publique. Nous essayons avant tout d’inventer une nouvelle culture politique qui non seulement serait cohérente avec les objectifs du communisme libertaire, mais inclurait aussi des propositions concrètes pour atteindre ces objectifs, en ayant conscience des difficultés et des conséquences révolutionnaires pour les années à venir.
Ainsi, le « quartier » est bien davantage qu’un lieu où les personnes fondent un foyer, élèvent leurs enfants et font leurs courses. Dans une optique plus politique, un quartier peut très bien proposer des lieux où tout le monde se réunit pour débattre de questions politiques et sociales. En effet, c’est la liberté d’intervention dans les questions publiques qui définit véritablement le quartier comme un espace politique et de pouvoir important.
(…) le « quartier » est bien davantage qu’un lieu où les personnes fondent un foyer, élèvent leurs enfants et font leurs courses. Dans une optique plus politique, un quartier peut très bien proposer des lieux où tout le monde se réunit pour débattre de questions politiques et sociales.
J’entends par là non seulement une assemblée où les citoyens et les citoyennes délibèrent et préparent leurs arguments pour défendre telle ou telle mesure politique, mais un centre urbain où ils se réunissent en masse pour échanger leurs opinions et donner une expression publique à leurs décisions politiques. C’était par exemple la fonction de l’agora dans l’Athènes de l’Antiquité classique, ainsi que des places au Moyen Âge. Si les lieux de vie politiques sont multiples, ils sont en général spécifiques et définis ; ils ne sont ni aléatoires ni improvisés.
Ce type d’organisation de quartier, essentiellement politique, apparaît souvent en période de troubles, quand un grand nombre de personnes occupent spontanément des espaces pour y débattre, comme dans l’agora grecque. Au cours de ma jeunesse new-yorkaise, j’ai connu de tels moments à Union Square et à Crotona Park, où des centaines voire des milliers d’hommes et de femmes venaient toutes les semaines débattre des questions du moment. Hyde Park à Londres en est un autre exemple, tout comme le Palais-Royal à Paris, qui fut le terreau d’où ont germé la Révolution française en 1789 et les Trois Glorieuses en 1830.
Lors de la révolution de février 1848 à Paris, des dizaines voire des centaines de salles accueillirent des assemblées de quartier sous la forme de clubs ou de forums, ce qui aurait pu à terme ressusciter les sections de 1793. On estime que, sur environ un million de Parisiennes et de Parisiens, il n’y eut pas plus de 70 000 personnes inscrites dans les clubs ; toutefois, si ce mouvement avait été coordonné par une organisation révolutionnaire active et politiquement cohérente, il aurait pu devenir une force redoutable pendant les semaines de crise qui ont conduit à l’insurrection des ouvriers parisiens lors des Journées de juin VI.
En principe, rien n’empêche que de tels espaces, s’ils sont occupés régulièrement, se constituent en assemblées citoyennes. Comme certaines sections sous la Révolution française, ils pourraient même jouer un rôle de premier plan dans le déclenchement et l’accompagnement d’une révolution, et ce jusqu’à sa conclusion logique.
La théorie communiste libertaire souffre d’un angle mort : elle ne voit pas qu’il existe une sphère politique distincte de l’État, potentiellement libertaire, et dont le pouvoir émancipateur doit être reconnu et exploré. On ne peut se contenter de cette analyse grossière qui divise la société en deux blocs : d’un côté, le monde banal de la vie quotidienne – celui que j’appelle le « domaine social », où nous reproduisons les conditions de notre existence individuelle au travail, à la maison, avec nos proches, etc. –, et de l’autre, évidemment, l’État, qui nous réduit au mieux à des observateurs dociles qui laissent des professionnels se charger des affaires municipales et nationales. Entre ces deux mondes, il en existe un autre, le domaine du politique, dans lequel nos ancêtres ont pu, en certains lieux et à certains moments, exercer un contrôle sur leur commune et la confédération à laquelle elle se rattachait.
La théorie communiste libertaire souffre d’un angle mort : elle ne voit pas qu’il existe une sphère politique distincte de l’État, potentiellement libertaire, et dont le pouvoir émancipateur doit être reconnu et exploré.
C’est une faille de la théorie communiste libertaire que d’avoir confondu le politique et l’État, effaçant ainsi la distinction fondamentale entre une sphère politique, dans laquelle des personnes ont pu exercer, à des degrés divers, un pouvoir sur leur environnement civique, souvent par le biais d’assemblées directes, et l’État, dans lequel la plupart des gens n’ont aucun contrôle direct, voire aucun contrôle du tout.
Dénaturer la notion de politique au point de l’identifier à une technique d’État et à la manipulation du peuple par ses soi-disant représentants VII, c’est effacer opportunément de l’histoire une modalité qui s’est exprimée dans l’ekklesia de la Grèce antique, les assemblées populaires civiles de l’époque médiévale, les town meetings et les assemblées des sections révolutionnaires de Paris. Toutes les institutions qui permettent de gérer une municipalité se trouvent ainsi réduites aux faits et gestes de parlementaires cyniques, voire pire. Assimiler le politique à la technique d’État est une simplification grossière du développement historique et du monde dans lequel nous vivons. De même que la tribu est apparue bien avant la ville, la ville est apparue bien avant l’État, et s’est même souvent opposée à l’essor de ce dernier. Les cités mésopotamiennes qui sont apparues entre le Tigre et l’Euphrate il y a environ six mille ans ont été vraisemblablement gérées par des assemblées populaires, avant que les conflits entre cités ne les forcent à adopter des institutions de type étatique, puis impérial et despotique. C’est dans ces premières villes qu’est né le politique, à savoir les techniques populaires de gestion de la cité. Les institutions de l’État ne se sont imposées que plus tard, bien souvent au terme de luttes sans merci contre tous ceux et celles qui tentaient de restaurer le contrôle populaire sur les affaires civiles.
Dénaturer la notion de politique au point de l’identifier à une technique d’État et à la manipulation du peuple par ses soi-disant représentants VII, c’est effacer opportunément de l’histoire une modalité qui s’est exprimée dans l’ekklesia de la Grèce antique, les assemblées populaires civiles de l’époque médiévale, les town meetings et les assemblées des sections révolutionnaires de Paris.
Ce même conflit entre politique et État a divisé Athènes et probablement d’autres cités grecques à l’époque classique bien avant que l’État ait atteint un niveau de développement relativement avancé. On peut citer d’autres exemples : la Rome républicaine, dans le conflit qui a opposé les Gracques VIII et les assemblées du peuple aux aristocrates du Sénat ; ou encore les villes médiévales, longtemps avant l’essor des aristocraties du haut Moyen Âge et des monarchies des xvie et xviie siècles. Kropotkine ne se trompait pas en rappelant que les villes libres d’Europe étaient remarquables non pour leurs États mais, justement, pour l’absence de ces derniers IX.
Par ailleurs, il faut admettre que l’État lui-même est le résultat d’un processus de développement et de différenciation : à certaines époques, ce n’était qu’un système de coercition assez lâche, somme toute minimal, et à d’autres, au contraire, un appareil en constante expansion ; pour finir, il est parvenu, notamment au cours de ce siècle, à exercer un contrôle totalitaire sur tous les aspects de l’existence humaine, devenant un dispositif que les peuples d’Asie et même de l’Amérique précolombienne n’ont que trop bien connu il y a quelques milliers d’années. L’État de l’Athènes classique n’était que partiellement étatique : il était constitué d’une fraternité de quelques citoyens privilégiés qui, malgré les conflits de classe qui les déchiraient, s’entendaient entre eux pour opprimer les esclaves, les femmes et même les résidents étrangers. L’État médiéval a souvent exercé un contrôle bien plus lâche que celui de la Rome impériale, par exemple. À de multiples reprises au cours de l’histoire (par exemple à l’époque des comuneros en Espagne, ou sous la Révolution française, dans les sections parisiennes), l’État s’est même complètement effondré tandis que des démocraties directes, fondées sur des principes politiques communalistes, jouaient un rôle hégémonique pour l’organisation sociale.
Le municipalisme libertaire s’intéresse au domaine du politique, y compris aux aspects les plus fondamentaux de la vie civique, comme l’économie. Il ne dresse pas de frontière stricte entre politique et économie au point de les opposer l’un à l’autre. Ainsi, il appelle à la municipalisation de l’économie, et à la gestion confédérale des questions économiques quand elles impliquent plusieurs communautés.
Le municipalisme libertaire s’intéresse au domaine du politique, y compris aux aspects les plus fondamentaux de la vie civique, comme l’économie. Il ne dresse pas de frontière stricte entre politique et économie au point de les opposer l’un à l’autre.
Le municipalisme libertaire n’est pas non plus indifférent aux multiples facteurs culturels qui entrent en jeu dans la formation de véritables citoyens et citoyennes – d’êtres humains accomplis. Ne ramenons pas cependant tous les besoins culturels à la seule sphère sociale – comme si la municipalité était réductible à une famille – en niant leur implication dans le politique. Nous risquerions de perdre notre capacité à distinguer ces besoins les uns des autres, noyant ainsi leurs identités singulières dans un monde post-structurel et homogénéisé où elles perdraient quasiment tout sens et deviendraient en fait potentiellement totalitaires.
Certes, le municipalisme libertaire ouvre un espace qui pourrait ainsi jouer le rôle d’école pour sa jeunesse ainsi que pour ses citoyens et citoyennes plus âgées ; néanmoins, sa destination première, surtout à l’heure actuelle, est de constituer une sphère de rapports de pouvoir qui doit mobiliser contre le capitalisme, le marché, les puissances de destruction écologique et l’État. Sans un mouvement conscient de cet impératif, le municipalisme libertaire risquerait fort de dégénérer, en ces temps de spécialisation académique, en un cursus diplômant de plus.
Certes, le municipalisme libertaire ouvre un espace qui pourrait ainsi jouer le rôle d’école pour sa jeunesse ainsi que pour ses citoyens et citoyennes plus âgées ; néanmoins, sa destination première, surtout à l’heure actuelle, est de constituer une sphère de rapports de pouvoir qui doit mobiliser contre le capitalisme, le marché, les puissances de destruction écologique et l’État.
Enfin, le projet politique du municipalisme libertaire s’appuie aujourd’hui sur le rôle historique de la cité dans son opposition à l’État, et surtout sur la persistance des institutions civiques qui, pour dénaturées ou entravées qu’elles paraissent, peuvent être étendues et radicalisées afin d’éliminer l’État. Si les conseils municipaux n’ont plus guère de pouvoir, ils sont toujours une survivance des communes dont ils sont issus, en particulier celles de la Révolution française et de la Commune de Paris en 1871. Il est encore possible d’instaurer une démocratie proche de celle des sections parisiennes, sous une forme légale ou extralégale. N’oublions pas que les sections révolutionnaires françaises n’avaient aucune tradition sur laquelle appuyer leur légitimité : elles étaient nées des districts qui, créés en 1789 par la monarchie pour l’élection des députés parisiens aux États généraux, refusèrent de se dissoudre après avoir rempli leur rôle et veillèrent au bon déroulement des États généraux.
Si les conseils municipaux n’ont plus guère de pouvoir, ils sont toujours une survivance des communes dont ils sont issus, en particulier celles de la Révolution française et de la Commune de Paris en 1871. Il est encore possible d’instaurer une démocratie proche de celle des sections parisiennes, sous une forme légale ou extralégale.
Notre tâche consiste maintenant à restructurer et à étendre les institutions municipales démocratiques qui subsistent, aussi affaiblies soient-elles ; pour cela, nous partirons des assemblées populaires existantes, ou d’autres qu’il faudra créer ; en somme, nous devons mettre en place de nouvelles institutions populaires et démocratiques légales ou extralégales là où il n’y a plus trace de démocratie civile. Pour ce faire, nous avons cruellement besoin d’un mouvement – une organisation responsable, structurée et dotée d’un programme cohérent – capable de fournir les ressources éducatives, les moyens de mobilisation et les idées qui nous permettront d’atteindre nos objectifs à la fois communistes libertaires et municipalistes.
Notre programme doit être souplement articulé : il commencera par un programme minimal de revendications, à définir en fonction du degré de complexité politique de la communauté dans laquelle nous allons œuvrer. Pour éviter toute dérive réformiste, nous concevrons ces revendications comme un tremplin pour des revendications transitoires, et ce jusqu’à l’objectif final : l’organisation communiste libertaire de la société.
La décentralisation structurelle des immenses zones urbaines, un objectif utopique en apparence, est tout aussi essentielle. Les agglomérations à l’échelle de New York, de Londres et de Paris, sans parler de Mexico, Buenos Aires, Bombay, etc. doivent être divisées en villes plus petites et décentralisées jusqu’à redevenir des communautés à taille humaine. Le point de départ immédiat du municipalisme libertaire se situe dans la réalité concrète et quotidienne de la vie urbaine. Or la plupart de ces réalités sont structurellement hors de portée des personnes qui habitent les villes. Le municipalisme libertaire cherche donc toujours à subdiviser géographiquement et politiquement les grandes villes, jusqu’à la réalisation du grand objectif communiste libertaire et même marxiste : ramener toutes les villes à des dimensions humaines.
Le municipalisme libertaire cherche donc toujours à subdiviser géographiquement et politiquement les grandes villes, jusqu’à la réalisation du grand objectif communiste libertaire et même marxiste : ramener toutes les villes à des dimensions humaines.
Selon l’argument le plus souvent invoqué par les marxistes et les anarchistes, les villes d’aujourd’hui seraient bien trop grandes pour être organisées sur la base d’assemblées populaires. Certains critiques partent du principe que, pour avoir une véritable démocratie, il faudrait que tout le monde participe aux assemblées populaires, sans critère d’âge, de santé physique ou mentale, et même d’envie, et qu’en même temps ces assemblées ne dépassent pas le « groupe d’affinité X ». Comme les plus grandes villes du monde comptent plusieurs millions d’habitants et d’habitantes, il faudrait tenir plusieurs milliers d’assemblées dans chacune, ce qui supposerait une organisation bien trop lourde pour pouvoir fonctionner.
Je soutiens au contraire qu’une population urbaine importante n’est pas en soi un obstacle au municipalisme libertaire. En effet, selon ce mode de calcul, les quarante-huit sections parisiennes de 1793 auraient été complètement dysfonctionnelles, dans la mesure où le Paris d’alors comptait 500 000 à 600 000 personnes. Si tous les hommes, femmes et enfants avaient dû participer aux assemblées de section, et si chaque assemblée avait réuni au plus 40 personnes, il aurait fallu, selon mes calculs, entre 12 500 et 15 000 assemblées pour accueillir le peuple du Paris révolutionnaire. On se demande comment la Révolution française aurait pu advenir dans ces conditions.
Précisons d’abord que le principe de la démocratie populaire ne suppose pas que tout le monde participe aux assemblées ni que tout le monde le puisse ou même le veuille. De plus, pour quiconque se prétend anarchiste, l’idée de participation obligatoire devrait être impensable, car elle implique des mesures de coercition. Enfin, il est rare que toute la population d’un lieu (ou même seulement sa majorité) s’engage dans le processus révolutionnaire. De fait, à ma connaissance, cela ne s’est jamais produit. Lors d’une insurrection, ce sont les militantes et les militants qui, avec le soutien d’un petit nombre de personnes, se soulèvent et renversent l’ordre établi, tandis que la majorité reste en retrait.
Ayant scrupuleusement étudié le déroulement de presque toutes les grandes révolutions d’Europe et d’Amérique, je peux affirmer avec quelque certitude que, même au cours des révolutions les plus réussies, seule une minorité a participé aux réunions des assemblées qui prenaient des décisions importantes pour l’avenir de leur société. Dans la mesure où la conscience politique et sociale, les intérêts, l’éducation et les antécédents varient selon les individus, et ce d’autant plus dans une société capitaliste, on peut être sûr que le peuple ne viendra à la révolution que par vagues successives, si jamais il y vient. La première vague, la plus militante, est étonnamment peu fournie ; elle est suivie par d’autres, qui commencent par observer, avant de rejoindre la première vague si le soulèvement leur semble avoir des chances de réussir ; enfin, c’est seulement une fois que le soulèvement paraît proche de la victoire que les vagues les moins politisées le rejoignent, à différents niveaux. Même lorsque le succès est acquis, il faut un certain temps pour qu’une majorité substantielle participe activement au processus révolutionnaire, et encore, elle le fait plus souvent en prenant part aux grandes manifestations qu’en s’impliquant dans les institutions révolutionnaires.
Ainsi, lors de la révolution anglaise, les questions les plus démocratiques ont été principalement portées par l’armée puritaine, avec le soutien des levellers XI, ce qui ne représente qu’une faible part de la population civile. La révolution américaine a été soutenue par seulement un tiers de la population coloniale, et encore, de façon très peu active. La Révolution française, elle, s’est principalement appuyée sur la population parisienne et a été conduite par 48 sections, dont la plupart portaient les décisions d’assemblées faiblement fréquentées – sauf lorsque des décisions capitales enflammaient les quartiers les plus révolutionnaires.
En réalité, le sort de la plupart des révolutions a moins tenu à l’importance du soutien militant dont elles disposaient qu’au niveau de résistance qu’elles rencontraient. Ce ne sont certainement pas les Parisiennes qui ont forcé Louis XVI et sa famille à quitter Versailles pour Paris le 6 octobre 1789 – d’autant que seules quelques milliers d’entre elles ont participé à la Marche sur Versailles –, mais l’incapacité du roi à mobiliser des troupes suffisamment nombreuses et fiables pour leur résister. La révolution russe de février 1917 à Petrograd, que nombre d’historiens et d’historiennes considèrent comme le « modèle » de la révolution spontanée de masse (et qui fut un soulèvement beaucoup plus complexe que ne le laissent entendre la plupart des récits), a réussi car, sans parler des Cosaques, autrefois indéfectibles soutiens de l’autocratie, la garde personnelle du tsar elle-même n’était pas disposée à défendre la monarchie. De même, en 1936 à Barcelone, la résistance aux forces de Franco fut déclenchée par seulement quelques milliers d’anarcho-syndicalistes – avec l’aide, il est vrai, des gardes d’assaut dont la discipline, les armes et l’entraînement ont été indispensables pour stopper et finalement écraser le soulèvement de l’armée régulière.
C’est la manière dont ces constellations de forces interagissent qui explique le succès ou l’échec d’une insurrection. Ce n’est jamais parce que « tout le monde », ni même la majorité d’une population, participe activement au renversement du régime oppresseur que la révolution réussit, mais parce que les forces armées du régime en place, ainsi que la population dans son ensemble, ne sont plus disposées à le défendre contre une minorité militante et résolue.
Ce n’est jamais parce que « tout le monde », ni même la majorité d’une population, participe activement au renversement du régime oppresseur que la révolution réussit, mais parce que les forces armées du régime en place, ainsi que la population dans son ensemble, ne sont plus disposées à le défendre contre une minorité militante et résolue.
De plus, quand bien même ce serait souhaitable, il est improbable qu’à la suite d’une insurrection réussie la majorité d’une population, même après avoir été opprimée par le régime précédent, participe personnellement à la transformation révolutionnaire de la société. La plupart des gens préfèrent retourner là où ils ont leurs vies, car c’est là que les problèmes du quotidien les affectent le plus évidemment. Ces lieux, où ils vivent et travaillent, sont de toute sorte : quartiers résidentiels ou professionnels de grandes villes, villages ou hameaux, habitats dispersés loin du centre d’une ville ou d’une région.
Non, je ne pense pas que l’immensité des villes modernes soit un obstacle insurmontable à l’instauration d’un mouvement d’assemblées de quartier. Certes, les assemblées doivent toujours rester ouvertes à quiconque vit dans le quartier. Cependant, il se peut que des individus moins conscients politiquement choisissent de ne pas y participer, et ils ou elles ne devraient pas y être obligées. Quelle que soit leur taille, les assemblées auront suffisamment de difficultés à traiter pour ne pas avoir à s’embarrasser de badauds indifférents. L’important, c’est que ces assemblées restent ouvertes à toutes celles et ceux qui veulent y participer, car là réside leur essence authentiquement démocratique.
Un autre argument opposé au municipalisme libertaire est la possible manipulation des foules par des factions ou des tribuns. Or cela vaut pour n’importe quelle institution démocratique, de la grande assemblée au petit comité, en passant par le congrès, le meeting ou même le groupe d’affinité. Peu importe la taille : les dynamiques tyranniques sont souvent à l’œuvre dans de tout petits groupes, où une ou deux figures écrasantes peuvent totalement dominer les autres.
Si cette critique n’est donc pas fondée, elle soulève néanmoins une question rarement posée et bien plus intéressante : indépendamment de la taille d’une assemblée populaire, comment empêcher des individus d’en prendre le contrôle par la démagogie ? Selon moi, la seule parade, c’est la présence d’un groupe révolutionnaire organisé – oui, une faction – engagé dans la recherche de la vérité, l’exercice de la rationalité et la promotion d’une éthique de responsabilité publique. Ce type d’organisation est à mon avis nécessaire, non seulement avant et pendant la révolution, mais surtout après cette dernière, quand l’heure est à la difficile création d’institutions démocratiques stables, durables et éducatives.
S’organiser ainsi sera nécessaire notamment durant la période de reconstruction sociale, où l’on s’efforcera de mettre le municipalisme libertaire en pratique. Ce n’est pas parce que nous proposons d’organiser des assemblées de quartier que nous serons toujours – ni même souvent – majoritaires dans les institutions que nous aurons contribué à créer. En réalité, nous devons nous attendre à être minoritaires, jusqu’à ce que les circonstances et l’instabilité sociale rendent notre message enfin crédible auprès d’une majorité de citoyens.
En réalité, nous devons nous attendre à être minoritaires, jusqu’à ce que les circonstances et l’instabilité sociale rendent notre message enfin crédible auprès d’une majorité de citoyens.
En effet, chaque fois qu’une assemblée populaire verra le jour, avec ou sans légitimité juridique, elle sera forcément aux prises avec des conflits d’intérêts de classe. Soulignons ici que le municipalisme libertaire ne cherche ni à éviter ni à nier la réalité de tels conflits ; il cherche au contraire, entre autres choses, à reconnaître la lutte des classes, jusque dans ses dimensions citoyennes. Les conflits modernes entre les classes ne se sont jamais limités au lieu de travail ; ils ont pris également une forme urbaine, comme dans le Paris révolutionnaire, « Petrograd la Rouge » et la Barcelone anarcho-syndicaliste. Comme le révèle toute étude des grandes révolutions, la lutte entre classes a toujours été une lutte entre les différentes couches économiques de la société, mais aussi entre des quartiers et au sein de ceux-ci.
En outre, le quartier, la ville ou le village sont aussi le théâtre de conflits qui dépassent les clivages de classes. Les questions qu’ils soulèvent impliquent à la fois le monde ouvrier (le prolétariat industriel historique, dont le nombre se réduit comme peau de chagrin en Europe et aux États-Unis, et qui mène un combat d’arrière-garde contre le capital), les couches de la classe moyenne (qui n’ont pas conscience d’être des travailleurs), la grande armée des fonctionnaires (une immense strate professionnelle et technique qui ne se reconnaîtra sans doute jamais dans le prolétariat), et un sous-prolétariat démoralisé et impuissant.
Inutile de se masquer la réalité : le capitalisme a changé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ; il a modifié la trame même de la vie sociale de la grande majorité des Européens et des États-Uniens, tant sur le plan des mentalités que celui de l’emploi ; les changements qu’il va provoquer dans les prochaines décennies seront encore plus profonds et plus rapides, accélérés encore par les progrès de l’automatisation et par l’avènement de ressources, de techniques et de produits nouveaux qui remplaceront ceux qui semblent si hégémoniques aujourd’hui.
Aucun mouvement révolutionnaire ne peut se permettre d’ignorer les problèmes que le capitalisme va vraisemblablement causer dans les années à venir, notamment en raison des effets considérables qu’aura le capital sur la société et l’environnement. Le syndicalisme a perdu toute efficacité aujourd’hui parce qu’il s’obstine à vouloir résoudre les problèmes engendrés par l’ancienne révolution industrielle, qui plus est dans le contexte social qui leur donnait du sens pendant la première moitié du xxe siècle. Les possibilités de l’alternative syndicaliste sont historiquement épuisées parce que le prolétariat industriel est partout voué, en raison des progrès technologiques, à ne plus représenter qu’une infime partie de la population. Il est vain de chercher à fabriquer un « prolétariat » théorique avec les « ouvriers » et les « ouvrières » qualifiées de l’administration ou des services qui, pour la plupart, n’auront jamais la conscience de classe qui a fait l’identité et la stature historique du prolétariat.
Aucun mouvement révolutionnaire ne peut se permettre d’ignorer les problèmes que le capitalisme va vraisemblablement causer dans les années à venir, notamment en raison des effets considérables qu’aura le capital sur la société et l’environnement.
Il est néanmoins possible d’amener ces couches de la population – qui font souvent partie des plus exploitées et des plus opprimées – à soutenir nos idéaux communistes libertaires, et cela en les sensibilisant sur leur environnement direct et sur la question de leur souveraineté. Ce qui peut les inciter à soutenir nos idéaux communistes libertaires, c’est la sensation qu’elles ont de perdre le contrôle sur leurs vies face au pouvoir centralisé des entreprises et de l’État. Indéniablement, les difficultés économiques que rencontrent certaines personnes pourraient suffire à les dresser contre le capital. Cependant, leur perspective de quasi-classe moyenne, si ce n’est leur position sociale, affaiblit leur capacité à percevoir les maux du capitalisme dans une optique exclusivement économique.
Nous vivons une ère de révolution industrielle permanente. En réaction à la rapidité extrême et à l’ampleur de ces transformations, certains se réfugient dans un mysticisme qui exprime la perte de leur pouvoir sur leurs vies, ou se replient sur leur sphère privée, ce qui traduit leur incapacité à faire face aux transformations en cours. Le capitalisme n’est pourtant ni en « phase avancée » ni « moribond », loin s’en faut. Il continue de se développer et d’étendre son emprise, si bien que les plus folles spéculations sont permises pour imaginer ce à quoi il ressemblera dans cinquante ou cent ans.
Par conséquent, tout mouvement révolutionnaire et communiste libertaire doit comprendre aujourd’hui plus que jamais que c’est dans la municipalité que se jouent les nouveaux problèmes transclasses. La détérioration de l’environnement d’une communauté est un problème concret qui affecte tous ses membres, de même que les inégalités économiques et sociales qui la traversent ; les problèmes de santé, d’éducation, les questions sanitaires et le cauchemar qui consiste à « grandir dans l’absurde », pour reprendre un titre de Paul Goodman 3 – ces fléaux qui s’abattent sur tous les membres d’une communauté – sont bien plus graves encore qu’ils ne l’étaient dans les années 1960. Plutôt que de ramener ces questions transverses à la seule lutte entre salariat et capital, il faut s’en emparer afin de rassembler les travailleuses et les travailleurs de toutes catégories dans un effort commun pour qu’ils reprennent leur pouvoir.
Par conséquent, tout mouvement révolutionnaire et communiste libertaire doit comprendre aujourd’hui plus que jamais que c’est dans la municipalité que se jouent les nouveaux problèmes transclasses.
Les ouvrières et les ouvriers ne sont pas non plus réductibles à de simples « moteurs » de l’histoire, contrairement à ce que voudrait nous faire croire le marxiste moyen (et, à demi-mot, les syndicalistes) : ils et elles vivent dans des villes ou des villages, ont certes une identité de classe, mais ont surtout une identité civique. Ce sont des pères, des mères, des frères, des sœurs, des amis, et les questions environnementales ne les concernent pas moins que leurs pendants écologistes de la petite bourgeoisie. Comme tout parent, comme tout jeune, ils et elles se soucient d’acquérir une formation, de choisir un métier, etc. Le délabrement des infrastructures urbaines, la diminution du nombre de logements financièrement abordables, les questions de sécurité et d’esthétique urbaine les accablent tout autant. Leur horizon s’étend bien au-delà du domaine de l’usine ou du bureau, il porte jusqu’au monde résidentiel et urbain où ils et elles vivent avec leurs familles. Après des années passées à l’usine, je n’ai pas été surpris de constater qu’il m’était plus facile d’entrer en relation avec mes collègues ouvriers et ouvrières, et même des personnes de la classe moyenne, en discutant de questions liées à leur environnement direct – leur ville et leur quartier – plutôt qu’à leur lieu de travail.
Aujourd’hui plus que jamais, la mondialisation du capital pose cette question épineuse : comment les communautés locales peuvent-elles maintenir leurs ressources productives dans les limites qui leur sont propres sans handicaper le libre développement technologique des peuples de ce qu’on appelle le « tiers-monde » – un développement qui corresponde à leurs besoins, bien sûr. Ce dilemme ne peut être résolu ni par la législation ni par des réformes économiques. En effet, le capitalisme est le système de l’expansion compulsive. Une entreprise est obligée de croître pour ne pas mourir, tel est l’impératif de l’économie de marché ; et rien ne peut empêcher le capitalisme d’industrialiser – ou plus précisément de s’étendre sans fin sur toute la surface de la planète dès qu’il le souhaite. Seule une totale reconstruction de la société et de l’économie pourra mettre fin aux dilemmes dans lesquels nous enferme la mondialisation – l’exploitation de la classe ouvrière et un pouvoir des entreprises tellement démesuré qu’il menace la stabilité, voire la survie de la planète.
Quitte à me répéter, je soutiens que seule une politique économique ancrée localement et fondée sur un mouvement et un programme municipaliste libertaire peut constituer une alternative majeure – celle que tant de gens appellent de leurs vœux aujourd’hui –, capable de mettre un terme aux effets néfastes de la mondialisation. Il n’y a pas de solution mondiale au problème de la mondialisation. Le capital mondialisé, précisément du fait de son immensité, ne peut être vaincu que si une résistance municipaliste libertaire ancrée au cœur de la société s’attaque partout à ses racines. Ce travail de sape doit être accompli par les millions et les millions de personnes qui, en s’engageant dans des mouvements de terrain, peuvent contester l’emprise du capital sur leurs vies et multiplier des alternatives économiques locales et régionales à ses activités industrielles. Pour développer cette résistance, il faudrait financer des industries et des commerces de détail directement contrôlés par la municipalité et exploiter les ressources locales que le capital ne juge pas rentables. Peu importe le temps que cela prendra, quand l’économie sera municipalisée, elle sera devenue une économie éthique – une économie essentiellement soucieuse de la qualité de ses produits et de leurs coûts de production. Elle pourra alors espérer renverser l’économie d’entreprise, dont le succès se mesure à l’aune de ses profits au lieu de refléter la qualité de ses marchandises.
Lorsque je parle d’économie éthique, je ne défends pas le genre d’économie communautaire ou coopérative dans laquelle de petits profiteurs, malgré leurs bonnes intentions, peuvent devenir de parfaits petits capitalistes « autogérés ». Dans ma propre communauté, j’ai vu une entreprise estampillée « éthique » – Ben and Jerry’s Ice Cream – passer, selon le modèle typiquement capitaliste, de la petite entreprise de dimension familiale et prétendument « concernée », à la multinationale avide de profit bien que prête à entretenir le mythe du « capitalisme vertueux ». Les coopératives qui mettent en avant leurs intentions morales n’ont pas encore réussi à remplacer le grand capital, ni même à survivre sans adopter des méthodes capitalistes et des objectifs de profit.
Il faut enfin dissiper le mythe proudhonien selon lequel de petites associations de producteurs – par opposition aux tentatives authentiquement socialistes ou communistes libertaires – pourraient petit à petit supplanter le capitalisme. Malheureusement, ces chimères généralement vouées à l’échec sont encore promues aussi bien par la gauche libérale et les anarchistes que par les universitaires. En réalité, soit des entreprises municipalisées et contrôlées par des assemblées citoyennes reprendront l’économie à leur compte, soit le capitalisme continuera de prévaloir dans ce domaine de la vie, avec une vigueur que nulle rhétorique ne pourra tempérer.
En réalité, soit des entreprises municipalisées et contrôlées par des assemblées citoyennes reprendront l’économie à leur compte, soit le capitalisme continuera de prévaloir dans ce domaine de la vie, avec une vigueur que nulle rhétorique ne pourra tempérer.
Le capitalisme a des effets non seulement sur les rapports économiques et sociaux, mais aussi sur les idées, l’histoire intellectuelle et même l’histoire en général : il les fragmente au point que la connaissance, le débat et même la réalité se brouillent, perdant toute nuance, toute spécificité et toute organisation. La culture qui promeut cette célébration du diffus et de la fragmentation – et qui s’est répandue comme une peste sur les campus américains – s’appelle poststructuralisme ou, plus communément, postmodernisme. Les principes corrosifs de la vision postmoderne du monde le conduisent à niveler et à homogénéiser tout ce qui est singulier ou spécifique pour le dissoudre dans le plus petit commun dénominateur des idées.
Les principes corrosifs de la vision postmoderne du monde le conduisent à niveler et à homogénéiser tout ce qui est singulier ou spécifique pour le dissoudre dans le plus petit commun dénominateur des idées.
Prenons par exemple l’expression obscurantiste de « citoyenneté de la Terre ». En étendant voire en bradant la « citoyenneté » à l’ensemble des animaux, des plantes, des pierres, des montagnes, de la planète et même du cosmos, cette expression dissout dans une catégorie floue cette notion très complexe, qui présuppose une paideia, c’est-à-dire l’éducation permanente des citoyens et des citoyennes à la pratique civique de l’autogestion. En apposant sur toutes les relations l’étiquette purement métaphorique de « communauté de la Terre », on fait disparaître la singularité historique et contemporaine de la cité. De plus, par sa portée et son ampleur, cette étiquette prétend préempter toute autre forme de communauté. De telles métaphores finissent par tout niveler en une « Unicité » universelle qui, au nom de la « sagesse écologique », interdit de définir des concepts et des réalités cruciales du fait de l’ubiquité de l’« Un ».
Si tout ce qui existe est « citoyen », et si tout rapport, en ce monde apparemment « vert », relève de la « communauté », alors plus rien n’est ni citoyen ni communauté. Comme il suffit d’exister pour entrer dans la catégorie logique de l’« Être », Être et « Rien » ne peuvent être qu’interchangeables ; de même, les termes « citoyen » et « communauté » deviennent des passeports universels pour la vacuité et cessent de renvoyer aux conditions civiles singulières qui ont pris forme et se sont différenciées dialectiquement durant les millénaires qui séparent l’Antiquité du monde moderne, en passant par le Moyen Âge. Réduire ces notions à une « communauté » abstraite, c’est en fin de compte nier les innombrables formes qu’elles ont prises au fil des siècles, et notamment toutes les subtiles nuances avec lesquelles elles ont révélé la liberté humaine.
Il faut voir le municipalisme libertaire comme un processus, une pratique patiente dont le succès est encore limité à des domaines qui lui permettent au mieux de fournir des exemples de ce qu’il serait possible de faire si on l’appliquait à grande échelle. En cette ère contre-révolutionnaire, nous ne bâtirons pas une société municipaliste libertaire en un jour. Nous devons nous attendre à subir plus de défaites que de victoires. L’engagement et la patience étaient des qualités assidûment cultivées par les révolutionnaires du passé ; aujourd’hui, hélas, dans une société de consumérisme effréné, où toute envie doit être aussitôt satisfaite, nous attendons de la politique qu’elle ait des effets immédiats. Or le véritable enjeu est de savoir si le municipalisme libertaire peut nous mener à l’accomplissement rationnel de l’humanité, pas de nous demander s’il peut servir de pansement provisoire à tel ou tel problème social du moment.
Il faut voir le municipalisme libertaire comme un processus, une pratique patiente dont le succès est encore limité à des domaines qui lui permettent au mieux de fournir des exemples de ce qu’il serait possible de faire si on l’appliquait à grande échelle.
Nous devons apprendre à composer sans toutefois laisser nos principes de base sombrer dans le bourbier postmoderne des opinions opportunistes et versatiles. Par exemple, si la participation populaire à de grandes assemblées citoyennes ne peut se faire que par des moyens électroniques, alors utilisons-les ; mais il ne faut le faire que si c’est inévitable, et seulement pour la durée nécessaire. Le même raisonnement s’applique à la centralisation : nous pouvons mettre en place certaines mesures même si elles nécessitent un degré de centralisation, à condition de pouvoir les suspendre à tout moment. Cependant, comme dans le cas précédent, nous ne devrons tolérer ces pratiques que tant qu’elles sont inévitables, mais pas une seconde de plus. Dans de telles situations, ce sont toujours nos principes de base qui doivent nous guider : nous restons attachés à une démocratie directe en face à face, et à une organisation sociale coordonnée, confédérale, mais décentralisée.
Pour la prise de décision, nous ne devons pas non plus révérer le consensus au détriment de la démocratie. Le consensus, comme je l’ai défendu ailleurs, ne peut être pratiqué qu’au sein de très petits groupes (les groupes d’affinité) où les personnes se connaissent très bien. Dans des groupes plus grands, il devient tyrannique parce qu’il permet à une petite minorité de déterminer l’action d’une majorité, même large. Les minorités et leurs factions sont bien sûr le levain indispensable à la maturation d’idées nouvelles – et presque toutes les idées nouvelles émergent de minorités. Mais dans un groupe libertaire, la « tyrannie » de la majorité sur une minorité n’est qu’un mythe ; personne n’attend d’une minorité qu’elle renonce à ses convictions parce qu’elles sont minoritaires ni qu’elle abdique son droit à défendre ses idées ; mais elle doit faire preuve de patience et permettre la mise en œuvre des décisions majoritaires. Ce sont l’expérience de cette mise en œuvre et les débats qu’elle aura suscités qui devraient inciter un groupe ou une assemblée à reconsidérer sa décision et à adopter le point de vue jusque-là minoritaire. Devenu majoritaire, ce point de vue fera à son tour émerger d’autres minorités qui inventeront des pratiques et des idées nouvelles. La prise de décision par consensus, au contraire, risque de produire une homogénéisation et une paralysie intellectuelle et politique si elle contraint une majorité à renoncer à une politique spécifique afin de ne pas froisser une minorité.
Je ne développerai pas ici la distinction que j’établis entre une décision politique et sa mise en application XII. Je soulignerai seulement que si le Congrès des États-Unis – constitué majoritairement de juristes – peut prendre des décisions sur des sujets aussi fondamentaux que les infrastructures du pays, la guerre, l’éducation, la politique étrangère, etc., sans avoir une connaissance approfondie dans ces domaines et en confiant à d’autres l’exécution de leurs décisions, alors je ne vois pas pourquoi une assemblée citoyenne ne serait pas capable de prendre des décisions politiques sur des sujets souvent de moindre portée, et confier, sous étroite surveillance bien sûr, leur mise en application à des experts des domaines concernés.
Parmi les autres questions qu’il nous faudra aborder, il y a le rôle de la loi (nomos en grec)dans une société municipaliste libertaire, ainsi que la constitution, qui définit les principes fondamentaux du droit, de la justice et de la liberté. Sommes-nous censés fonder la perpétuation de nos principes directeurs sur la tradition aveugle ou sur la générosité de nos semblables – abandonnant ainsi une large place à l’arbitraire ? Pendant des siècles, les peuples opprimés ont réclamé des lois fondamentales écrites qui les protègent de l’arbitraire de la noblesse. Cette propension à l’arbitraire ne s’évanouira pas avec l’émergence d’une société communiste libertaire. La question n’est pas de savoir si les lois et les constitutions sont par essence contraires à l’anarchisme, mais si elles sont rationnelles, modifiables, laïques et restrictives uniquement dans le sens où elles interdisent l’abus de pouvoir. Nous devons, je crois, nous libérer des obsessions nées de polémiques anciennes avec des tendances autoritaires, car ces obsessions ont mené bon nombre de communistes libertaires à adopter des positions tranchées qui, ne souffrant aucune réflexion, ressemblent davantage à des dogmes qu’à des théories rationnelles.
Certes, la période actuelle n’est pas des plus favorables aux mouvements et aux idées de l’anticapitalisme ou de l’anarchisme social. Cependant, si nous ne voulons pas laisser le cancer capitaliste s’étendre à toute la planète jusqu’à absorber le monde naturel dans l’économie, les communistes libertaires doivent développer une théorie et une pratique qui leur permettront d’investir l’espace public – une théorie et une pratique, je tiens à le souligner, qui correspondent à leur objectif de société rationnelle et communiste libertaire.
(…) si nous ne voulons pas laisser le cancer capitaliste s’étendre à toute la planète jusqu’à absorber le monde naturel dans l’économie, les communistes libertaires doivent développer une théorie et une pratique qui leur permettront d’investir l’espace public – une théorie et une pratique, je tiens à le souligner, qui correspondent à leur objectif de société rationnelle et communiste libertaire.
Enfin, nous devons affirmer le droit historique qu’a la raison spéculative – en se fondant sur ce que l’humanité passée et présente a révélé de ses potentialités réelles – de se projeter au-delà de notre environnement immédiat pour soutenir que la société irrationnelle actuelle n’est pas un accomplissement (une « réalité ») à la hauteur de la condition humaine. Elle a beau l’emporter aujourd’hui – et sembler éternelle à bon nombre de personnes –, elle a abandonné le projet de plein épanouissement de la potentialité humaine de liberté et de conscience. Elle est par conséquent irréelle, dans le sens où elle trahit les plus grandes qualités de l’humanité, à savoir ses capacités de raison et d’inventivité.
De même, le vaste corpus d’idées que nous appelons « anarchisme » se trouve désormais à la croisée des chemins. D’un côté, l’anarchisme social souhaite concentrer ses efforts sur le renversement de la société hiérarchique et de classe, de l’autre les anarchistes individualistes ne conçoivent le progrès social qu’en termes d’expression personnelle et délaissent toute théorie sérieuse au profit de fantasmes mystiques 4.
Je ne crois pas que l’anarchisme puisse devenir un mouvement populaire s’il ne formule pas un projet politique ouvert à l’intervention sociale, un projet qui le propulse dans l’espace public en tant que mouvement organisé, capable de croître, de penser rationnellement, de mobiliser les gens et de chercher activement à changer le monde. Au cours de l’histoire, les sociaux-démocrates n’ont fait que proposer des réformes parlementaires, une pratique dont les conséquences ont été désastreusement incapacitantes – la vie publique, en particulier, s’est complètement atrophiée, laissant toute latitude à un consumérisme irresponsable et au repliement sur la sphère privée. Bien que les staliniens, en tant qu’architectes de l’État totalitaire, aient quasiment disparu de la scène publique, ceux qui restent parasitent tout mouvement radical qui pourrait émerger parmi les peuples opprimés. Quant au fascisme et à ses formes mutantes, il s’efforce d’occuper l’espace laissé par une politique de déresponsabilisation dénuée de dimension humaine – avec les résultats que l’on sait.
En tant que communistes libertaires, nous devons nous demander comment investir l’espace public en restant cohérents avec notre conception de l’émancipation et de l’autonomisation des personnes. Si notre idéal est la Commune des communes, alors j’affirme que la seule façon d’y accéder et de s’épanouir socialement, c’est de s’engager dans une politique communaliste associée à une praxis municipaliste libertaire ; c’est-à-dire un mouvement et un programme qui émergent sur la scène politique locale pour promouvoir des assemblées populaires de ville et de quartier ainsi que le développement d’une économie municipalisée. Je ne connais pas d’autre solution pour qui refuse d’abdiquer devant la société actuelle.
Le municipalisme libertaire n’est pas une nouvelle version du réformisme de type « possibilisme » de Paul Brousse XIII. Pour être exact, c’est même plutôt le vieil idéal anarchiste et social de la Fédération de communes, ou « Commune des communes » – mais réactualisé : un idéal de municipalités communistes libertaires liées entre elles en une confédération, organisées au moyen d’assemblées populaires en démocratie directe, et où la « propriété » ou le contrôle des biens socialement importants serait collectif. Le municipalisme libertaire ne fait aucun compromis ni avec le parlementarisme, ni avec les tentatives réformistes qui prétendent « améliorer » le capitalisme, ni avec la propriété privée. En limitant strictement l’activité politique à la municipalité – et ce contrairement aux gouvernements représentant la région, le Land ou l’État, sans parler des gouvernements nationaux ou supranationaux, bien sûr –, le municipalisme libertaire est profondément révolutionnaire en ce qu’il cherche à exacerber la tension latente mais bien réelle entre municipalité et État, et à étendre les institutions démocratiques communales qui subsistent encore, aux dépens des institutions étatiques. Il oppose la Confédération à l’État-nation, et le communisme libertaire aux systèmes actuels de propriété privée ou nationalisée.
Le municipalisme libertaire n’est pas une nouvelle version du réformisme de type « possibilisme » de Paul Brousse XIII. Pour être exact, c’est même plutôt le vieil idéal anarchiste et social de la Fédération de communes, ou « Commune des communes » – mais réactualisé : un idéal de municipalités communistes libertaires liées entre elles en une confédération, organisées au moyen d’assemblées populaires en démocratie directe, et où la « propriété » ou le contrôle des biens socialement importants serait collectif.
Quand la plupart des communistes libertaires d’autrefois pensaient la Fédération de communes comme un idéal à atteindre à la suite d’une insurrection, les municipalistes libertaires voient aujourd’hui la fédération (ou confédération) de communes comme une pratique politique qui peut se développer, au moins partiellement, avant la confrontation révolutionnaire directe avec l’État – confrontation selon moi inévitable, mais qu’il faut néanmoins encourager en attisant les tensions entre l’État et les fédérations de municipalités. Concrètement, le municipalisme libertaire est une mise en pratique du communalisme qui vise à construire une culture révolutionnaire et à amener des changements révolutionnaires conformes à ses objectifs du communisme libertaire.
Il conjugue ainsi la pratique et l’idéal en une seule approche qui met en cohérence les moyens et les fins en vue d’amorcer une organisation sociale communiste libertaire sans disjonction aucune entre la stratégie pour atteindre une telle société et la société elle-même. Le municipalisme libertaire ne se berce pas non plus d’illusions sur les oppositions qu’il va rencontrer : la bourgeoisie et l’État ne laisseront pas ce processus se mettre en place sans le combattre.
Je suis certain que si le municipalisme libertaire réussit un tant soit peu, il devra éviter de nombreux pièges, il courra le risque de se voir récupéré ou de dégénérer en une forme d’« anarchisme de caniveau », et sera confronté non seulement à des polémiques idéologiques au niveau municipal, mais aussi à des discordes internes à son cadre organisationnel ; il ouvrira un immense champ de conflictualité politique, avec tous les dangers et les incertitudes que cela implique. Néanmoins, à une époque où la vie sociale a été totalement dévalorisée, où l’on s’accommode si bien des valeurs et des modes de vie capitalistes, et où l’anarchisme et le socialisme sont perçus comme des « causes perdues » et obsolètes, on ne peut qu’espérer voir de telles polémiques devenir une réalité publique. En effet, jamais le triomphe de la médiocrité n’a été aussi complet qu’aujourd’hui, et jamais l’indifférence à l’égard des questions sociales et politiques n’a été aussi répandue.
Je ne crois pas qu’on puisse changer la société sans prendre de risques, sans s’ouvrir aux incertitudes et sans accepter la possibilité de l’échec. Si nous voulons avoir un quelconque effet sur la fossilisation de la vie publique – en supposant que la période actuelle comporte un peu de véritable vie publique –, il faut que l’histoire avance avec nous. Je suis bien trop âgé pour tenter de prévoir la suite des événements. Tout ce que je peux dire, c’est que le monde d’aujourd’hui sera à peine reconnaissable – en bien ou en mal – pour les générations qui atteindront l’âge adulte dans cinquante ans, tant les choses auront changé au cours du siècle à venir.
Là où il y a du changement, il y a des possibles. De même que l’évolution du monde ne peut être figée, aucune époque ne peut rester comme elle a toujours été. Ce que nous pouvons déjà espérer faire, c’est maintenir le fil de la rationalité, qui distingue la véritable civilisation de la barbarie – car un monde abandonné à son avenir sans la boussole de la rationalité ne pourrait que sombrer dans la barbarie.
De même que l’évolution du monde ne peut être figée, aucune époque ne peut rester comme elle a toujours été. Ce que nous pouvons déjà espérer faire, c’est maintenir le fil de la rationalité, qui distingue la véritable civilisation de la barbarie – car un monde abandonné à son avenir sans la boussole de la rationalité ne pourrait que sombrer dans la barbarie.
Août 1998
I. Lire infra l’« Aperçu historique », p. ⇒.
II. L’anglais city peut se traduire par « ville » ou « cité » quand le terme désigne une simple agglomération urbaine. Quand city est l’équivalent de polis, la « cité » athénienne, lieu fondamental d’exercice d’une forme démocratique pour Bookchin, nous le traduisons par « cité ». (Lire « Les villes, ou le déploiement de la raison dans l’histoire », p. ⇒.) [ndt]
III. « Actualiser », ou « actuel », ne doit pas être compris dans le sens de « mise à jour » (traduction d’update), mais dans le sens de « réalisation rationnelle du potentiel ». Bookchin lui-même précise cette notion qui pâtit, selon lui, d’une erreur de traduction : « Les traductions anglaises de Hegel choisissent souvent, de façon erronée, d’utiliser “réel” et “actuel” [real et actual] comme des synonymes, ce qui laisse croire que le “réel” chez Hegel puisse se concevoir comme l’actualisation du potentiel. […] Ainsi, j’ai utilisé le mot “réel” pour signifier simplement “ce qui est”, et non “ce qui est nécessairement latent dans le potentiel” 1. » [ndt]
IV. Les town meetings sont une forme de gouvernement local pratiquée dans certaines régions des États-Unis depuis au moins le xixe siècle (en particulier en Nouvelle-Angleterre). Les décisions y sont prises sur la base de discussions en assemblées et de démocratie directe. [nde]
V. Sur les sections sous la Révolution française, lire supra note ⇒, p. ⇒ ; et sur l’anarchisme pendant la révolution espagnole, infra p. ⇒.
VI. La révolution de février 1848 met fin au règne de Louis-Philippe et instaure la IIe République, divisée entre une tendance bourgeoise et une tendance plus sociale. À Paris, pour faire face au chômage, les tenants d’une « République sociale » instaurent les ateliers nationaux : l’État fournit du travail aux chômeurs moyennant une maigre rémunération. Alors que 115 000 personnes sont ainsi employées, l’État, sous la pression des classes dominantes, décide de dissoudre les ateliers nationaux le 21 juin. Dès le lendemain, les barricades se dressent partout dans Paris, mais l’insurrection est réprimée dans le sang et s’achève le 26 juin. Pour Marx, cette révolution est l’acte de naissance de l’indépendance du mouvement ouvrier (Les Luttes de classe en France, 1850). [nde]
VII. Sur la technique d’État, lire supra note ⇒, p. ⇒.
VIII. Lire supra, note ⇒, p. ⇒.
IX. En 1520 et 1521, une grave crise économique (provoquée par une série de mauvaises récoltes, famines, épidémies, etc.) et politique secoue l’Espagne, et surtout la Castille. L’augmentation des impôts directs et indirects, notamment pour assurer les frais du couronnement du roi Charles Quint, aux Pays-Bas qui plus est, le fait que le nouveau roi ne parle pas un mot d’espagnol et fasse venir des conseillers des Pays-Bas, mettent le feu aux poudres. En février 1520, une déclaration des moines de Salamanque donne son expression au mouvement de contestation, elle deviendra de fait la charte des comuneros. Le terme de comuneros, ou encore de comunidades, renvoie aux « collectivités locales (les municipalités), aux universités, aux grands corps de l’État chargés de veiller aux intérêts de la nation ; mais le mot a aussi une résonance sociale : el común, le peuple, la masse de la nation, abandonnée par ses élites, par l’aristocratie, les hauts fonctionnaires. […] Enfin, l’idée de communauté nationale, de bien commun, opposé aux intérêts dynastiques, du souverain 2 ». Une série d’émeutes éclate en mai 1520 à Tolède, Ségovie, Burgos, Guadalajara, etc. Elles rassemblent artisans, boutiquiers, ouvriers, moines, gagne-petit, et quelques hidalgos en rupture de ban. Durant l’été se réunit une assemblée révolutionnaire qui prétend se substituer au gouvernement du royaume. Les comuneros seront écrasés à Villalar le 23 avril 1521. [nde]
X. Lire supra, note ⇒, p. ⇒.
XI. Sur les levellers, lire supra note ⇒, p. ⇒.
XII. Lire infra, p. ⇒.
XIII. S’opposant à l’orientation marxiste prônée par Jules Guesde et Paul Lafargue au sein du Parti ouvrier, Paul Brousse (1844-1912) affirme la nécessité de « fractionner le but idéal en plusieurs étapes sérieuses, d’immédiatiser en quelque sorte quelques-unes de nos revendications pour les rendre enfin possibles », d’où le nom de « possibilisme ». En d’autres termes, la révolution peut se faire par évolution progressive du système économique et institutionnel. Avec Jules Joffrin et Jean Allemane, Brousse quitte le Parti ouvrier et fonde, en 1882, la Fédération des travailleurs socialistes de France, qui prône une stratégie de conquête des institutions et d’alliances temporaires avec les républicains radicaux. [nde]
1.Murray Bookchin, L’Écologie sociale. Penser la liberté au-delà de l’humain, Wildproject, Marseille, 2020, p. 181.
2.Joseph Pérez, « Les comunidades de Castille et leurs interprétations », Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, 1982, no 38, p. 16.
3.Growing Up Absurd est le titre d’un ouvrage de Paul Goodman publié en 1960, tr. fr., Direction absurde, Robert Morel, 1971.
4.Sur l’anarchisme mystique et irrationaliste aux États-Unis, lire Murray Bookchin, Changer sa vie sans changer le monde, op. cit., p. 50 et suiv.