Nous sommes ravis de vous annoncer l’ouverture officielle du site internet « Atelier d’Écologie Sociale et Communalisme ». Conçu et réalisé par une équipe passionnée de compagnons communalistes, ce site est une plateforme dédiée à la diffusion de connaissances et à l’exploration des idées en lien avec l’écologie sociale et le communalisme.
Ce projet est le fruit d’une collaboration entre plusieurs individus engagés dans la promotion d’un mode de vie plus soutenable et équitable. Parmi nous se trouve Floréal M. Romero, auteur de « Agir ici et maintenant – Penser l’écologie sociale de Murray Bookchin », paru aux éditions du commun en 2019. Se trouve également Steka probablement plus connu pour ces publications sur des sites de critiques littéraires, cinématographiques, etc… Leur expertise et leur passion pour les principes et valeurs portés par l’écologie sociale ont été des éléments clés dans la création de ce site.
L’Atelier d’Écologie Sociale et Communalisme vise à être un lieu d’échange, de réflexion et d’action pour tous ceux qui s’intéressent à la construction d’un monde plus juste et respectueux du vivant. À travers des articles, des recensions, des entrevues et d’autres contenus…, nous souhaitons partager des idées inspirantes, des analyses approfondies et des propositions pratiques pour refaire société et se préparer dans la dignité au post-capitalisme.
Que vous soyez déjà initié aux concepts de l’écologie sociale et du communalisme, ou que vous souhaitiez simplement en apprendre davantage, notre site est conçu pour vous accompagner dans votre parcours intellectuel et citoyen (au sens ancien et noble du terme). Nous croyons fermement en la capacité de chacun à contribuer au changement et nous sommes convaincus que l’information et la discussion sont des outils puissants pour y parvenir.
Nous vous invitons donc à explorer notre site, à participer aux discussions et à partager vos propres idées et expériences. Ensemble, construisons un avenir soutenable, plus solidaire et plus respectueux des êtres vivants et des équilibles écosystèmiques.
«C’est seulement à cause de ceux qui sont sans espoir que l’espoir nous est donné.» – Walter Benjamin1
Le mal-être actuel n’est pas un phénomène cyclique issu d’une crise habituelle du capitalisme, comme certains l’avancent. Nous ne pouvons plus nier que la trajectoire historique de l’humanité désormais prise en main par un capitalisme de plus en plus débridé est parvenue à un point limite proche du non-retour. Nous ne pouvons plus récuser qu’au-delà de la crise de la démocratie et de l’expansion tous azimuts du numérique comme instrument de désinformation et de contrôle, nous nous trouvons désormais sous la menace imminente d’un triple effondrement : climatique, énergétique et sociétal (société thermo-industrielle).
Dans un présent obscurci par les prévisions de catastrophe écologique, le grand défi actuel consiste à imaginer un futur qui ne soit pas une contre-utopie du genre transhumaniste. Nous oublions souvent que le présent est aussi l’avenir que nous sommes capables d’imaginer, et que relier passé et futur constitue le moyen de redonner un sens au temps présent.Comment sortir de ce que les zapatistes appellent le « présent perpétuel » ? Un « présent sans présence », comme le signale Jérôme Baschet2, où le moment vécu disparaît « sous la domination du futur immédiat. La tyrannie de l’urgence qui y règne est, en fait,la tyrannie de l’instant d’après »3. Finalement, épuisé en lui-même, le présent devient insupportable.
Répondre à ce mal-être existentiel, c’est aussi relever un défi sans précédent. Nous avons la nécessité vitale de redonner un sens au rôle de l’humanité sur cette planète. Renouer avec le fil des grands récits émancipateurs ne peut découler d’une curiosité purement intellectuelle, pas plus que d’une nostalgie romantique passéiste et paralysante. Au-delà d’un acte de reconnaissance de nos potentialités, de nos capacités créatives intrinsèques en tant qu’humanité, renouer avec nos racines et incorporer la sève de ce legs dans nos pratiques actuelles, dans notre présent vécu, nous redonne dignité et confiance et, par là même, efficience. Il est vrai que tout au long de ce parcours émancipateur le sang a coulé, mais ce ne sera pas en vain si nous sommes en mesure d’en tirer des leçons, non seulement des mérites mais aussi des erreurs. Ce sont les graines de cet héritage qui nous permettent à présent de semer des utopies tangibles, autant au coeur du chaos des «périphéries »4 du capitalisme que dans cet authentique « désert de spi-ritualité politique »5 qui est le nôtre, dans sa « zone piétonne »6 (centre du capitalisme). Mais s’il est vrai que l’épopée de nos prédécesseurs et de nos penseurs révolutionnaires nous apporte des éléments précieux et indispensables pour notre projet émancipateur, elle est loin de nous apporter les réponses à cet actuel défi d’un monde capitaliste qui évolue et se complexifie de plus en plus et de plus en plus vite. Le défi reste entier, mais déjà des utopies tentent de fleurir, là-bas dans la périphérie, au Chiapas et au Rojava, et des germes se développent dans d’autres pays tout comme ici, dans cette zone piétonne du capitalisme. Dans nos contrées du centre, où le cancer de la métropolisation des villes dévore toujours plus de nature et de culture, où la massification et l’atomisation qui s’ensuivent écartent nos concitoyens de l’accès à la terre nourricière et détruisent leurs liens élémentaires, une autre trajectoire sociale et politique se dessine, une autre approche de la nature s’affirme. Mais comment les développer, faire en sorte qu’elles s’installent et perdurent en submergeant ce vieux monde à l’agonie ? Comment faire émerger toute leur puissance créatrice, afin que vive la vie dans toute sa plénitude et sa diversité ? Comment repérer les failles dans ce tissu social chaotique où s’entremêlent tellement d’éléments contradictoires, afin d’y faire ger-mer ces graines de sens et d’utopies ?
«Premièrement, nous devons nous efforcer de comprendre cette situation intellectuelle radicalement nouvelle. Deuxièmement, nous devons comprendre que le monde est confronté à un défi moral fondamental. Le chaos ne durera pas toujours. Nous arriverons à un point où un ou deux nouveaux systèmes mondiaux émergeront : un qui reproduira les pires caractéristiques du capitalisme (hiérarchie, exploitation et polarisation) sous une nouvelle forme non capitaliste ou un qui,pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, sera relativement démocratique et égalitaire. Il n’y a pas de sortie intermédiaire. Troisièmement, une fois que nous avons fait notre choix moral, nous devons définir la stratégie politique qui nous aide à réussir. Je pense que cela devrait impliquer une large coalition des forces de la gauche mondiale. J’espère que nous pourrons mener à bien ces trois tâches interdépendantes : la probité analytique, le choix moral et une stratégie politique efficace. »7
Pour relever ce nouveau défi mondial qui nous oblige à choisir des stratégies déterminantes, nous rependrons cette attitude que les Grecs anciens nommaient « attitude tragique ». Une attitude mettant dos à dos le pessimisme et l’optimisme, le premier nous menant à la défaite certaine et l’autre à des erreurs de calcul qui nous seront fatales. Tout doit être désespérément mis en æuvre pour bien analyser la situation, en comprendre les enjeux vitaux et avancer sur des bases les plus sûres possible. C’est en accumulant de petites victoires dans nos luttes et en recueillant progressivement les fruits de nos expérimentations alternatives collectives que nous pourrons alimenter un projet émancipateur. Ce dernier sera capable de conjuguer, au plus près, présent et futur et de relier, de la façon la plus cohérente possible, les moyens et les fins.
Cette sitation de Walter Benjamin clôt le livre de Herbert Marcuse sans qu’il ne signale d’où il la puise : L’homme unidimentionnel. Ediditions de minuit. 1968. p. 281. ↩︎
Défaire la tyrannie du présent. Temporalités, emmergences et futurs inédits. Jérôme Baschet. Paris. La découverte. 2018. ↩︎
Sur la distinction entre le « centre » et les « périphéries », voir la théorie de la dépendance qu’Immanuel Wallerstein développe dans Comprendre le monde. Introduction à l’analyse des systèmes-monde. La découverte. 2006. Cette théorie, conçue dès les années 1950, montre que les pays les plus riches ont besoin des plus pauvres afin d’assurer la continuité de leur croissance. Wallerstein rejette complètement la notion de « Tiers-Monde » et estime que tous les pays étant globalisés, ils font partie d’un même « système-monde » capitaliste. Cependant loin d’être homogène, que ce soit culturellement, politiquement ou économiquement parlant, il y a une division du travail fondamentale et institutionnelle entre le coeur et la périphérie et leurs échanges économiques sont inégaux : tandis que le coeur constitué des grandes puissances de l’OCDE (les États-Unis en tête) a un niveau de développement technique de haut niveau et vend au prix fort ses produits manufacturés de haute complexité, le rôle de la périphérie, comprenant les pays en développement (Asie, Afrique, Amérique latine), se limite à fournir les matières premières, des produits agricoles et de la main-d’œuvre bon marché aux acteurs en croissance du centre. Cette inégalité, une fois établie, tend à se stabiliser en raison de contraintes quasi déterministes : en effet, pour les théoriciens de la dépendance, ces pays périphériques sont intégrés mais sont structurellement maintenus dans un état de subordination aux pays du centre, qui s’explique historiquement par la colonisation et diverses formes de néocolonialisme. ↩︎
Voir Un monde sans esprit : la fabrique des terrorismes.op. cit. ↩︎
« Remarques sur la contestation de la modernité capitaliste» extrait de La commune du Rojava, l’alternative kurde face à l’État-nation. Immanuel Wallerstein. Éditions Syllepse. 2017.pp. 33-34. ↩︎
Cet extrait est l’introduction de la deuxième partie d’ » AGIR ICI ET MAINTENANT – Penser l’écologie sociale de Murray » de Floréal M. Romero (2019). Les chapitres qui suivent sont autant d’analyses et de propositions que je vous invite vivement à découvrir via la lecture de cet ouvrage et/ou en entrant directement en contact avec les membres du Réseau E.S.C. : Ecologie Sociale et Communalisme ( echoreclus@riseup.net ou resc@riseup.net ).
Agir ici et maintenant est un essai autant qu’un manifeste, une analyse personnelle de la pensée de Murray Bookchin. En guise d’amorce, Floréal Roméro dresse le portrait du fondateur de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire. Il en fait son histoire, son évolution politique, pour la mettre en miroir avec les enjeux écologiques, sociaux et économiques actuels. De l’Espagne au Rojava, en passant par le Chiapas, à partir d’exemples concrets, l’auteur lance un appel à la convergence des luttes et un cri d’espoir. Ce livre nous apporte des conseils pratiques pour sortir du capitalisme et ne pas se résigner face à l’effondrement qui vient.
– Depuis les dernières élections municipales, plusieurs listes affichant une volonté d’établir un nouveau rapport à la démocratie locale sont arrivées au pouvoir, à Strasbourg, Bordeaux ou Marseille. Quel crédit accordes-tu à ces promesses ?
Avec l´irruption de 400 listes citoyennes participatives dans la dernière campagne des élections municipales de 2020 en France et 66 à être arrivées en têtes, nombre de chercheurs en science politique, en sont venu à parler de « la fin d´un cycle de la démocratie électorale », voire de « Révolution démocratique ». « Ainsi, Martial Foucault, directeur du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po)1 affirme qu’il faut relier ce phénomène à l’émergence du mouvement des gilets jaunes en novembre 2018. Ces listes constituent une autre forme expérimentale de la démocratie. C’est à dire qu’un unique rendez-vous tous les 6 ans ne suffit pas, et que les enjeux démocratiques ne doivent plus être traités par le haut, qu’il soit national ou supranational. En ce sens, il n’y a pas de désenchantement ou d’épuisement de la politique, mais un ré-enchantement. » Mais peut-on parler de ré-enchantement de la politique avec un taux d´abstention de 58,4% ?
Malgré cette exaltation feinte ou réelle, le désenchantement général vis-à-vis de la politique persiste. Le citoyen reste assimilé à celui ou celle qui vote pour son représentant, tous les quatre ou six ans, en lui déléguant les affaires le ou la concernant. Grosso modo, tout comme pour les élections aux autres niveaux politiques, il y a les bons et les mauvais représentants, lesquels ne sont pas élus pour leur programme mais contre celui dont on ne veut pas ou plus. Et, comme le signalait déjà Guy Debord en 1971 : « c’est justement parce qu’il est l’électeur, celui qui assume, pour un bref instant, le rôle abstrait qui est précisément destiné à l’empêcher d’être par lui-même. » Ainsi la politique, pour l´électeur n´est plus qu´une coquille vide et reste confinée à la société du spectacle, même au niveau local et même si, le nombre d´acteurs augmente et que les couleurs des participants sont plus vives et variées.
Beaucoup d´analystes et politologues cernent assez bien les enjeux de cette course électorale au pouvoir local. Ainsi les expressions « Citoyen-washing », de « Listes cosmétiques », « Marketing politique », sont assez parlantes quant aux limites de la supposée indépendance de ces listes vis-à-vis des partis et de leur autonomie. Dans de nombreux cas, les membres de ces listes citoyennes sont encartés dans des partis de gauche, qui s’offrent ainsi une virginité politique. En tout cas peut-on parler d´un changement de paradigme si dans « environ 50% des cas », la victoire électorale de la liste citoyenne n’a pu être possible que grâce à un jeu d’alliance avec les partis ? Et les partis quels qu´ils soient, ne voient-ils pas les municipales, uniquement comme consolidation régionale puis nationale de leur force de frappe ? Dans le fond, les partis ne sont que de petites machines de guerre pour la conquête suprême, celle de l´État et sont structurés verticalement, comme ce dernier.
La Gauche en général, en pensant pouvoir s´appuyer sur l´État, a commis une erreur d´analyse fondamentale. Les effets historiques de cette erreur se sont incarnés, parfois de façon dramatique, tout au long de l´histoire des luttes sociales et politiques et des révolutions, étendant leur ombre jusque dans le présent, au point de renoncer au socialisme et se résoudre à une meilleure gestion du Capital. Les écologistes parlementaires n´ont fait que leur emboîter le pas. Ces partis s´accordent bien sur le fait que l´État actuel sert de bras armé au Capital et à la classe qui le représente. Mais tous sont intimement convaincus qu´en leur main, ce même État, pourrait être mis au service du peuple et même qu´il nous sauvera du désastre écologique. Or, comme instance surplombant la société, l´État, loin d´être un outil neutre au service de qui s´en empare, est au contraire, un rouage essentiel de l´exploitation capitaliste. Il est le garant d´une des bases structurelles essentielles de ce dernier : la propriété privée des moyens de production à l´origine des conflits de classe. De là son rôle crucial, destiné coûte que coûte, par la carotte ou le bâton, à maintenir la paix sociale : celle de la domination de la classe des possédants sur celle des dépossédés. En revanche, l´État doit son existence au bon fonctionnement du marché et à la valorisation de la valeur que créent les entreprises dans une recherche constante de la baisse des coûts de production pour être compétitifs sur le marché. C´est cette valorisation de la valeur, obtenue qui lui permet de maintenir à flot la reproduction sociale. Lui et le marché, constituent donc les deux pôles inséparables du capitalisme. C´est pourquoi les appellations : « État démocratique » tout comme « Démocratie représentative » ne sont que des oxymores et en ce sens font toutes deux office de décors du règne de l´argent et du mythe de la liberté. Et lorsque l´État fait tomber son masque il n´hésite pas à se montrer tel qu´il est, et sans équivoque : le bras armé absolu du capital. La Chine restant le modèle et l´aspiration de bien de ces « sous-officiers » du capitalisme.
On ne peut néanmoins balayer d´un revers de manche la volonté réelle d´une partie de la population, à se détourner de cette logique de partis, et de sa ferme résolution à reprendre en main son pouvoir de décision sur leur vie et la politique locale. Le mouvement des gilets jaunes a eu effectivement un rôle déterminant dans cette défiance envers les partis et cette volonté de souveraineté politique, en exprimant sa « rage contre le règne de l´argent »2 et la verticalité du pouvoir, Toutefois cette volonté à elle seule est loin de garantir un renouvellement du politique et encore moins celle d´une « révolution démocratique ».
Les Listes citoyennes, déjà présentes en 2014, en France, se constituent en partie en réaction à ces politiques politiciennes ne débouchant sur rien, si ce n´est reproduire les mêmes impasses. Ainsi elles aspirent à un partage plus équitable du pouvoir municipal et articulent la question sociale avec la question démocratique, voire écologique. Mais derrière ces aspirations au changement, quelle est la marge de manœuvre ? De l´aveu même du directeur du Cevipof: «Elles sont corsetées, avec un cadre qui empêche le maire de légiférer pour les grandes transformations écologiques et sociales». Quoi de plus logique ? N´agissent-elles pas, elles aussi dans le carcan de l´État ? L´Institution municipale dans un régime étatique ne peut qu´être au service de l´État. Elle en constitue la première cellule structurelle de base, elle le nourrit et, comme extrémité de son système nerveux, c´est elle qui transmet ses ordres. Et que dire de ces Listes se présentant dans le gigantisme de ces mégapoles, comme Barcelone, Grenoble, comme autant de pôles stratégiques de la finance en compétition entre elles ?
La bonne volonté et la sincérité ne suffisent donc pas tant que notre analyse reste superficielle voir confuse. Nous continuerons à nous bercer d´illusion, convaincus «des chances des candidats sincères de percuter le système à travers les urnes et ses règles du jeu édictées par les pouvoirs dominants.»3 Or ces candidats sincères, membres d´un parti ou pas, ou comme candidature élargie, (Listes citoyennes), loin de «percuter le système», ne pourront au mieux que s´adonner à meilleure gestion de l´entreprise municipale, afin d´assurer sa solvabilité. Au final, cette bagarre électorale autour des municipales aura eu pour effet, de désenchanter le politique et décourager la mise en place d´une véritable démarche collective radicale et émancipatrice.
– Dans la plupart des cas, ces listes n’affichent pas une affiliation directe au citoyennisme, au municipalisme ou au communalisme. Comment expliques-tu cette confusion ambiante ?
La confusion ambiante règne en effet et désormais à tous les niveaux concernant nos vies. Voulue ou pas, elle arrange bien les gardiens du temple, mais confond assurément tout projet émancipateur.
A ce stade de Capitalisme avancé nous conduit là où il devait assurément le faire, par la logique même de sa nature profonde de “croître tous azimuts ou mourir” comme l´avaient déjà prévu certains visionnaires comme Bookchin et plus précisément, pour ce qui est de l´actualité, Guy Debord en 1971: “Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade.»4 Des lors, comment donner crédit à ces « sous-officiers » du capital qui, soudainement, semblent s´être épris mondialement du peuple de préférence à la marche de l’accumulation du capital?
Ainsi, dans cette société malade, agitant la sacro-sainte Santé, telle une icône prophylactique (toutefois en version rentable et donc, à l´opposé-même de l´art de vivre favorisant les vrais facteurs de santé) et sous prétexte de nous épargner le chaos, cet épisode dont on ignore la durée, pourrait bien augurer la dystopie du contrôle total par objets interconnectés qui éclipseront nos relations humaines. Ces dernières étant remplacées par des relations virtuelles entre porteurs de données.
Mais comment s´y retrouver ? Comment voir clair dans ce brouillage de pistes ? Le déficit informationnel, nous a pendant longtemps empêché d´agir efficacement et souvent, même conduit à l´inhibition de l´action. Actuellement le bombardement d’informations subit et que, de surcroît, nous croyons générer nous-même via les réseaux sociaux, nous dirige tout autant vers une l’inefficacité de l’action. Vérités, demies vérités, mensonges, publicités, slogans nous inondant perpétuellement, il nous est ainsi impossible de les sélectionner, de les classer, de les situer dans les niveaux d’organisation qui les englobent (et qu’elles englobent en retour). Tout ceci finissant par provoquer aussi un véritable sentiment d´impuissance et de mal-être. Alors, il devient plus aisé de fuir la réalité, de se laisser guider par les « tutos » et se laisser distraire par des séries et des apéros WhatsApp. Vivant pour la plupart hors sol, nous sommes dépossédés de nos moyens de subsistance et désormais détournés des activités de la vie première, celles des relations de proximité, d´échange, de transmissions de savoirs, de l´agriculture, de la santé, du soin des enfants et des personnes âgées, des récits, de l´artisanat, de l´art en général et de notre histoire. Ainsi, réduits à subir et choisir à l´étalage, il devient plus aisé de payer pour tout laisser aux mains de spécialistes, à commencer par les politiciens professionnels, suivis des « comités scientifiques » veillés par des « commissions d’éthique », tutelles de l´Etat.
Et pourtant ce sont les boucles de rétroaction de l’action sur le milieu qui permettent de maintenir le bien-être de notre organisme et ainsi de préserver sa structure. C’est ce que Claude Bernard appelait « le rétablissement de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur », ce que Walter Cannon a nommé « homéostasie » et ce que Sigmund Freud a désigné par « principe de plaisir ».
Dans ces conditions, et étant donné le peu de différence séparant les programmes du « politiquement correct » situé sur le vecteur de la démocratie représentative, obligatoirement inféodée aux Etats, et l´imaginaire politique s´y recroquevillant, comment s´étonner que l´on ignore tout, ou presque, de l´origine et la nature de nos filiations politiques ? Par ailleurs, le confusionnisme, devenu une stratégie sciemment entretenu se situe dorénavant à tous les niveaux idéologiques afin de « noyer le poisson » et le ferrer, ainsi, plus facilement. Pour exemple, Alain Soral édite une œuvre de l´anarchiste Pierre Kropotkine, auteur de « Paroles d´un révolté ». De la même façon, Alain de Benoît, idéologue de la droite extrême, se pare des habits de la critique de la valeur et de Marx. Enfin, Ada Colau quant à elle, surfant sur la puissante histoire de l´anarchisme espagnol, se revendique simultanément de deux de ses activistes les plus en vue : Federica Montseny et Murray Bookchin. Ainsi tout comme Soral peut conjuguer, en même temps, entraide et « guerre des races » en oubliant le communisme libertaire de Kropotkine, il devient possible d’en arriver à penser en même temps, communautés libertaires et survivalistes d´extrême droite pour « certains » collapsologues. Pourtant, faire passer Bookchin pour un simple adepte des élections municipales, devient une réelle trahison lorsque l´on feint d’oublier plus ou moins sciemment sa radicalité et toute l´étendue, la complexité de son œuvre et de ses propositions communalistes.
Plus que jamais d´actualité, reprenons à notre compte l´urgence de Guy Debord: «Et jamais la conscience historique n’a eu autant besoin de dominer de toute urgence son monde, car l’ennemi qui est à sa porte n’est plus l’illusion, mais sa mort.»
Existe-t-il aujourd’hui des bastions du municipalisme libertaire en France ?
D´un point de vue strictement politique, il est certain que les petites municipalités offrent un cadre plus adéquat pour des expérimentations de municipalisme libertaire ou communalisme. Le fait de se présenter aux élections municipales, pour ce dernier n´est pas synonyme de prendre les rênes de la Mairie, loin s’en faut ! Le but est fondamentalement de faire connaître les propositions communalistes et de constituer des contre-pouvoirs basés sur des assemblées de démocratie directe en tension avec les Institutions de l´Etat. Dans le cadre rural actuel où le pouvoir est surtout aux mains du préfet, considérée jusqu’ici comme simple courroie de transmission de l’exécutif, l’échelle communale, ne pourrait-elle pas ainsi être retournée et transformée en espace d´apprentissage en vue d´une émancipation politique et sociale ?
Il en est ainsi du petit village de Ménil La Horgne, près de Commercy dans la Meuse, et héritier direct de la lutte des Gilets jaunes du coin, également porteurs du projet de « Commune des communes ». Loin d´être un bastion du communalisme, et pourtant gagnée à sa cause, cette municipalité devient un lieu et où l´on va s´exercer aux vertus civiques et éducatives (au sens de la paideia grecque) de la pratique politique en assemblée.
Pas question pour autant de pratiquer du localisme. Certaines dimensions (par exemple, la question énergétique, les échanges, la gestion des déchets.) excèdent l’échelon communal.
Il ne s´agit pas non plus de créer des lieux exemplaires, emblématiques qui comme Marinaleda, Saillans et bien d´autre finissent par s´éteindre ou, s´ils vont trop loin, s´affrontent directement aux forces répressives de l´État. L’exemple de Notre Dame des Landes, entre autres, montre suffisamment que ce dernier ne compte accepter aucune forme organisationnelle qui lui soit extérieure ; qu’il fera tout pour réduire ces expériences dès qu’elles commenceront réellement à se concrétiser sur le territoire. Ces tentatives, assez nombreuses en effet, ne peuvent donc actuellement exister que sur un mode discret. Toutefois elles se multiplient et tentent de prendre leçon de leurs expériences respectives.
L’option communaliste qui est la nôtre se pose clairement dans un dépassement de ces structures, dans un « work in progress » qui ne peut s’élaborer actuellement que dans les marges à travers les pratiques, en des territoires restreints, de groupes humains cherchant à reprendre le contrôle de leurs vies. L´urgence étant, des lors, de multiplier des échanges entre ces espaces, de créer des liens de solidarité, sachant de la sorte qu´aucun projet alternatif ne sera réellement abouti sans le développement d´un mouvement qui regroupe tant les luttes pour la dignité que les alternatives en vue de sortir du capitalisme.
Tu as évoqué dans d’autres papiers les renoncements du municipalisme à Barcelone, d’Ada Colau et de son réseau des « Fearless cities », auquel la ville de Grenoble est affiliée. Quel jugement portes-tu sur l’action de la municipalité grenobloise ?
Dire qu´à Barcelone, il y a eu « renoncements », de la part d´Ada Colau, au Municipalisme libertaire n´a jamais été mon propos. J´aurais pu l´affirmer si, dès le départ, son parti « Barcelona en Comú », avait adopté, non seulement le nom en entier mais également les thèses du municipalisme libertaire, proposé par Murray Bookchin. La confusion s´installe surtout lorsque ce parti, tout comme son « internationale » se revendiquent de la pensée de ce dernier. Un simple regard suffit pour s´apercevoir que cette filiation affichée, n’est, en fait, qu´une opération de marketing. Celle-ci est encore plus ridicule concernant la version de réseau international « Fearless cities », pire encore quand des métropoles en arrivent à s´autoproclamer « villes rebelles » voire « villes révolutionnaires ». Comme je l´affirme dans mon livre « Agir Ici et Maintenant » publié en Octobre 2109, il s´agissait bien plus de promouvoir une tactique électorale populiste ayant pour leader charismatique Ada Colau, elle-même. C´est cette dernière opération qui lui ouvrit les portes de la Mairie de Barcelone en 2015, en surfant sur les mouvements sociaux de Barcelone majoritairement de tendance libertaire. En 2019, ce seront les votes de Manuel Valls qui lui permettront de garder son poste ! Après environ cinq ans de gouvernance nous pouvons affirmer que le municipalisme en général, et celui de Barcelone en particulier, ne sont en fait qu´une vaste opération d´enfumage, et ce, malgré la bonne volonté de nombreux activistes s´y étant impliqué avec enthousiasme.
Voici ce qu´en dit l´anthropologue Manuel Delgado Ruiz dans une étude de 2018 : « …l’accès apparent au pouvoir municipal des militants et des théoriciens du mouvement anti-mondialisation, de la lutte pour un logement décent et des campements indignés implique le démantèlement de ce qui étaient des mouvements sociaux, dont on pourrait bien dire qu’ils ont cessé d’exister à Barcelone, c’est-à-dire d´être actifs. Et ce malgré le fait que les injustices dans la ville soient les mêmes, sous Ada Colau. » (Le nouveau municipalisme et l´assaut des citoyens sur la ville. Le cas de la « Barcelone post-modèle)5. Et de conclure : « …la grande dynamique de rentabilité capitaliste de l’espace…qui, face à sa décrépitude, est rajeunie grâce au « nouveau municipalisme », dont la caractéristique est sa capacité d´enfariner le pillage et la tristesse des villes avec des invocations mélodieuses à la mystique des droits et des opportunités. »
Comme mégapole appartenant au réseau des “Fearless cities”, Barcelone partage bien des similitudes avec Grenoble. Le maillon le plus visible étant cette aspiration incantatoire à devenir les meilleures technopoles sur le marché. Toujours selon Manuel Delgado: “Barcelone a continué à s’offrir au monde en tant que capitale des « villes intelligentes », avec la célébration, en 2016 et 2017, du congrès mondial Smart City Expo, qui a été utilisé… à dynamiser et à internationaliser l’écosystème novateur de Barcelone et à favoriser les opportunités commerciales que génère la transformation numérique des villes »…. « Dans le même sens d’exaltation des nouvelles technologies, en ignorant leur impact social négatif, Barcelone a continué à accueillir le Mobile World Congress, qui avait été tellement répudié par ces mêmes mouvements sociaux dont est issue la nouvelle maire, Ada Colau.»6
Rattraper Grenoble comme « ville intelligente » et interconnectée est un pari difficile à tenir car si la Mairie de Barcelone se situe bien dans la continuité d´une « grande dynamique de rentabilité de l´espace », Grenoble quant à elle, hérite d´une indubitable tradition technologique réputée « écolo-compatible ». C´est précisément cette symbiose qui est la caractéristique de Grenoble en tant que technopole, bien plus que son allégeance municipaliste. Eric Piolle l´exprime d’ailleurs ainsi : « Du fait de ma carrière de cadre dirigeant dans l’industrie, je sais qu’innover au bon moment est la clé de la réussite économique. […] De la révolution numérique aux recherches sur l’infiniment petit, à chaque fois Grenoble est en avance… c’est dans son ADN ! […] Tout le bassin de vie accueillerait décideurs et investisseurs internationaux pour accélérer nos projets […] »7. C´est ainsi que Piolle se situe lui aussi dans la tradition des maires techno-progressistes de Grenoble depuis des dizaines d´années. Ainsi du Rose nous sommes passés au vert pâle, et donc, sans rien changer de fondamental. C´est ce qu´un politicien français bien connu nomma un jour le “Changement dans la continuité”.
Ainsi, Grenoble, ville connectée, est devenue une smart city à vitesse accélérée sous la direction des Verts. Encore plus qu´à Barcelone, l´écocitoyenneté est assistée par ordinateur. Tous les citoyens peuvent prendre leur bus avec leur smartphone. Ils sont filmés et captés sur la voie de covoiturage pour s´assurer qu´ils en roulent pas seuls dans leur voiture. Pourtant Eric Piolle, comme vous le signalez vous-mêmes, dans le numéro de Politis nº 1120, consacrée aux dévots de la tech, est bien signataire avec d´autres personnalités politiques, d´une tribune plaidant pour un moratoire sur le déploiement de la 5G ! C’est pourtant encore lui qui se félicitait, à l’occasion du salon SemiCon Europe 2016 consacré à l’Internet des objets (IoT ou « Internet Of Things »), que Grenoble ait : « l’histoire et les savoir-faire pour permettre à l’Europe de capter la valeur de ces nouveaux marchés, pour rassembler IoT et semi-conducteurs ». D´ailleurs dans le cadre ces règles du jeu bien acceptées, comment résister réellement à la compétition de la mise en place partout ailleurs de la 5G ?
Le Dauphiné Libéré annonce le 9 Octobre la nomination de Grenoble comme « Capitale Verte 2022 » au grand dam de Dijon. (Concurrence oblige !) S´il restait un doute quant au projet des administrateurs de la technopole, la déclaration suivante d’Éric Piolle, lors de l´annonce de la Communauté européenne, le dissipe aisément : « parce que d’abord, c’est une victoire. Ensuite parce qu’il s’agit d’un très bon projet sociétal et économique. (…) Le monde économique travaille avec l’image de sa ville ; or en termes de marketing territorial, ce titre élimine le bashing, créera du business et nous positionne en avance”8.
Ainsi donc, comme je l´ai écrit par ailleurs9: «Barcelona en Comú» avec l´extension de l´usage du numérique pour « les prises de décision en commun»5, tout comme celui de Grenoble, est tout à fait soluble dans le capitalisme moderne du Green New Deal, tel que le propose par exemple Rifkin : «La gouvernance de la ville multipolaire est complexe. Il s’agit maintenant de gouverner à distance, d’influencer plutôt que diriger (Epstein, 2005). Le pouvoir y est distribué entre au moins quatre types d’acteurs : les décideurs centraux (de niveau étatique ou territorial), les décideurs locaux (élus), les acteurs associatifs, et les acteurs privés détenteurs de capitaux ». Finalement à toute chose, malheur est bon. Que soit donc bénie la pandémie qui vient tombée du ciel, pour booster ce divin progrès !
Après ce constat accablant, tournons le dos à ces formes de social-démocratie renouvelée en démocratie radicale, en révolution municipale verte10. Cessons d´écouter les cantiques, les mots magiques sans aucun ancrage dans la réalité concrète : « participation », « transparence », « gestion efficace », « honnêteté », « démocratie territoriale », « décentralisation », « droit à la ville », « écologie », « ville intelligente ». Cessons de croire que ces incantations puissent être autre chose qu’un vernis inodore, incolore et sans saveur réelle.
« Soit un mouvement capable de pousser l’humanité se fera jour, soit la dernière grande opportunité historique d’accéder à une émancipation complète de l’humanité périra dans une autodestruction sans frein. » Murray Bookchin.
Prêtons plutôt attention aux suggestions discrètes mais chargées d´espoir et de bon sens (sentido común en espagnol) de Pascal Nicolas-Le Strat, tirées de son ouvrage « Le travail du commun » : « Qu’est-ce qui se produit quand les laissés-pour-compte entrent en mouvement et prennent la parole ? Est-ce inéluctable que leur parole se délite progressivement, faute de cadres institutionnels capables de l’accueillir durablement et de lui permettre de s’élaborer, ou se corrompt dans la concurrence électorale ou la « publicité » médiatique qui caractérise l’espace public institutionnalisé ? Les paroles rebelles doivent inventer leurs propres dispositifs institutionnels afin de pouvoir s’exprimer avec force et authenticité. » Propos qui nous ouvrent la porte à la dernière question.
On a évoqué dans notre entretien le livre de Laval et Dardot sur le Commun. De quelle manière la notion des communs, pourrait s’appliquer à la gouvernance d’une métropole ? L’échelle de ces villes n’est-elle pas déjà trop large ?
Les lutte conjointes contre les mégaprojets et pour le droit au logement mettent le doigt sur l’un des maillons constitutifs de la logique capitaliste d´accumulation et de sa concentration accélérée dans les mégapoles : celle qui part de la propriété privée des moyens de production portée jusqu’à sa sacralisation. Dans ce contexte, la notion du commun, le poids de son histoire et ce qu´il en reste s’acharnent et résistent au diktat capitaliste, ne serait-ce qu’au fond de nos imaginaires, de nos inconscients et ce, depuis des siècles.
Ce qui complique la reconnexion avec cet héritage, c´est qu´historiquement, il se produit, d’abord, un violent changement dans le régime des communs ruraux pourvoyant à nos besoins basiques : la confiscation au nom d´une gouvernance populaire de type autogestionnaire. Nous passons, de fait, à des espaces publics qui ne pourvoient plus désormais aux besoins de base autrefois satisfaits par le régime de biens communs. Ce glissement de l’administration des communs par l’État pour le compte de la collectivité, nous mène à la « propriété publique », Il existe encore un autre glissement qui finit de corrompre les communs et la vision historique à laquelle nous pourrions tenter de nous relier. L’État étant devenu lui-même une entreprise dans le grand tout du marché globalisé, le domaine public cesse d’être inaliénable comme il le fut, par exemple, au temps de l’Empire romain. La propriété publique devient une marchandise quantifiable et, comme telle, elle est privatisable par l’État lui-même. Ainsi l’économie des biens publics entre dans une relation de miroir avec celle des biens privés. »….
« Si la globalisation est l’enclosure ultime des communs – notre eau, notre biodiversité, notre nourriture, notre culture, notre santé, notre éducation –, récupérer les communs est le devoir politique, économique et écologique de notre temps », nous dit Vandana Shiva
C´est bien la raison pour laquelle : « dans le contexte social qui est le nôtre, nous devons nous appuyer sur cette force que représente ce qui reste des communs. Celle-ci nous offre encore la possibilité de dépasser l’opposition entre la propriété privée et la propriété publique. En effet, cette force des communs réside en ce qu’elle nous ouvre un ensemble de riches perspectives pour l’imaginaire en général mais aussi pour notre projet politique plus immédiat. »
Et c’est là que notre proposition communaliste trouve sa place car c’est le principe même du commun qui en émane. Le communalisme se définit tout d’abord comme une politique faisant du commun le principe de la transformation sociale, de façon à faire converger les activités les plus diverses dans la direction du commun. Mais le communalisme ne se décrète pas, il est en premier lieu un processus de délibération, une mise en commun des paroles et des pensées par laquelle des femmes et des hommes réfléchissent et s’efforcent de déterminer leur action politique. Cette action commune tire toute sa force des émotions partagées lors des luttes sociales, la construction d’alternatives ou la défense d’un territoire, mais aussi de l’engagement et de la détermination politiques à la recherche du bien commun. L’action commune devient ainsi prioritaire devant même le bien commun en soi, car il le précède et constitue sa source vive.
C’est ainsi que l’institutionnalisation du commun possède en elle-même toute la potentialité pour faire émerger les institutions du communalisme partant de la pratique commune. Une fois la propriété privée des moyens de production et celle de l’État reprise par la commune, elles sont instituées comme propriété d’usage et allouées par les assemblées décisionnelles, autant à des personnes qu’à des collectifs dans le but de réaliser le bien commun. Contrairement aux institutions de l’État, ces auto-institutions sont éminemment vivantes. C’est la pratique qui les soutient dans le temps et les autorisent à modifier les règles qu’elles ont établies au départ en fonction de leur maturité, de l’évolution des rapports internes quand bien même ils seraient de nature conflictuelle. C’est cette pratique de gouvernement du commun par les collectifs qui donne vie à ce que Dardot et Laval nomment « praxis instituante ».11
Bien entendu, nous ne pouvons éluder la question de poids posée au départ, concernant la gouvernance communaliste d´une métropole, et constituant sans doute une de nos plus grands défis. Le communalisme, stipulant une souveraineté quant à nos besoins primaires et une démocratie directe de face à face, les métropoles, comme tous les gigantismes et les projets démentiels inutiles, conséquence de la logique d´accumulation capitaliste, sont voués au démantèlement. Mais ce démantèlement et cette décentralisation se construisent et requièrent donc du dévouement et du temps. Partant de la base, des rues même, il nous faudra commencer par diviser politiquement la ville en quartiers afin que puissent se prendre des décisions, en démocratie directe et face à face, lors de nos assemblées décisionnelles. Mais ce sera une conséquence, le résultat de tout un mouvement qu´il nous faut mettre en place également par ailleurs, hors de métropoles, dans les espaces ruraux. Ces actions se mèneront en concert et nous en avons déjà des ébauches dans les réalisations alternatives, tout autant à la campagne que dans les villes. Ainsi par exemple ces liens villes-campagnes créés par les AMAPs, ou les tentatives de recréer des communs où que l´on se trouve. Ainsi sont mises sur pied des formules juridiques de façon à exclure la propriété privée et éviter la spéculation et ne retenir que la propriété d´usage en se dotant de formes juridiques comme les « fonds de dotation ». Nous en avons des exemples tout autant dans les villes, par exemple à Nancy ou Marseille pour le foncier, tout comme à la campagne comme à NDDL. Reste à unir politiquement toutes ces initiatives dans un mouvement comprenant les luttes pour la dignité contre toute domination, la verticalité et la confiscation du pouvoir, soutenus par le règne de l´argent. Ce qui constitue le premier pas pour le communalisme.
Nous avons ouvert la parenthèse des communs pour en arriver au commun et au communalisme avec Pascal Nicolas-Le Strat et c´est avec lui que nous pouvons la refermer et clore cette entrevue : « Mais qu’il relève d’un « commun naturel » ou d’un « commun produit », ce commun ne prend véritablement sens que s’il est constitué et administré sur un mode radicalement démocratique, en commun pour le commun. « Commun » est donc fondamentalement le nom d’une passion pour le faire ensemble et d’un projet de démocratie radicale. » Ce qui ne fait qu´entériner le projet communaliste, à l´image de ce que nous offre l´expérience zapatiste et ce, depuis 1994, sur un territoire grand comme la Belgique.
Floréal M. Romero en collaboration avec Steka
David Pauget publié dans l´Express, le 14/02/2020. ↩︎
Je recommande la lecture de ce livre de John Holloway paru aux éditions Libertalia en septembre 2019 ↩︎
Corinne Morel Darleux, du Parti de Gauche et siégeant au Conseil Régional Rhône-Alpes. « Reporterre » du 15/02/2020. Elle est auteure du livre « Plutôt couler que flotter sans grâce » (Ed. Libertalia) et qui, en alliant anarchisme et politique politicienne, reflète assez bien le confusionnisme ambiant. ↩︎
Idem mais aussi : https://www.todoporhacer.org/asaltados-y-asaltantes/se référant à la participation citoyenne de l´aveu d´Ada Colau : « Et maintenant que davantage de citoyens sont mobilisés, il me suffit d’ouvrir le portail de participation citoyenne de mon conseil municipal, qui compte quelque 200 000 personnes, et de constater que les propositions n’atteignent même pas 400 voix » ↩︎
« Présence, magazine » de la Chambre de commerce et d´industrie, 11 Mars 2019 ↩︎
Voir article Floréal M. Romero: « Municipales, citoyennisme, munipalisme et communalisme » sur le site : http://institutecologiesociale.fr/ . Je recommande aussi la lecture de Guillaume Faburel: « Les métropoles barbares » Editions du Passager Clandestin 2019. ↩︎
C´est ce qui a poussé, dans une honnêteté tout à son honneur, l´ex députée de EELV, Isabelle Attard, à démissionner du parti et rejeter toute politique politicienne. Voir son livre : « Comment je suis devenue anarchiste » Editions Gallimard, Octobre 209. Elle a aussi rédigé la postface de mon livre. « Agir ici et maintenant ». ↩︎
Floréal M. Romero: « Agir Ici et maintenant. Penser l´écologie sociale de Murray Bookchin ». Editions du Commun. Oct. 2019 ↩︎
par le Réseau Ecologie Sociale et Communalisme (RESC).
Face au système politico-économique capitaliste hautement prédateur des environnements tant naturels que sociaux, Le Réseau d’Écologie Sociale et Communalisme (RESC) se propose d’élaborer une nouvelle organisation libertaire des sociétés humaines pour éviter un vide organisationnel qui plongerait une grande masse de gens dans des difficultés insoupçonnées.
L’Écologie Sociale propose comme horizon une décentralisation de la société et une réintégration des communautés humaines dans des activités ancrées localement, en équilibre dynamique avec les autres milieux naturels ; le Communalisme, outil politique, propose une organisation basé sur la démocratie directe garantissant la plus grande participation possible de la population de « la communauté » aux délibérations et aux décisions qui la concernent via des assemblées populaires permanentes et souveraines.
Le Réseau d’Écologie Sociale et Communalisme (RESC), en connivence avec d’autres initiatives (ZAD, Coopératives Intégrales, luttes paysannes, luttes féministes, luttes des migrants, …), propose de construire collectivement des chemins pour aller vers le communalisme en mobilisant l’éducation populaire, les alternatives de terrain, sans négliger la construction d’un rapport de force anti-capitaliste et tout en étant déjà dans la construction post-capitaliste.
Nous envisageons d’animer un atelier autour des grands axes qui composent l’Écologie sociale ainsi qu’un débat en vue de créer un mouvement communaliste comme proposition de cadre politique aux mouvements écologiques et sociaux actuels.
PEPS Sarthe diffuse l’invitation du R.E.S.C. en soutien à toutes les initiatives locales œuvrant pour l’écologie sociale et le communalisme.
30 septembre 1er octobre 2023
Vaour 81170 Salle des Fêtes
Le communalisme est un projet politique conçu par Murray Bookchin (1921-2006) , ce projet peut-être considéré comme l’aboutissement d’une vie consacrée au militantisme. Bookchin, écologiste et anarchiste américain a puisé dans les leçons de l’histoire pour former sa pensée, notamment dans la révolution libertaire espagnole de 1936 à 1939.
C’est suite à la publication du livre de Floréal Roméro « Agir Ici et Maintenant », qui a participé à faire redécouvrir en France la pensée politique de Murray Bookchin, que s’est constitué il y a 2 ans en France un réseau d’échange et de réflexion autour du projet Communaliste. Ce réseau organise ses Rencontres deux fois par an et cherche en ces occasions à alimenter les débats autour de la construction d’une société alternative au capitalisme destructeur. Face à l’écroulement sociétale et écologique en cours, la perspective communaliste n’est plus une sorte d’option utopique mais une forme organisationnelle dont il nous faut faire ressortir le réalisme et le sens pratique face à ce qui vient. Il ne se veut en aucun cas une idéologie de plus mais une construction en devenir qui doit se bâtir à partir d’un sens du commun retrouvé et d’un dialogue vivant et ouvert aux contradictions.
Abdullah Ocalan, leader du mouvement de libération kurde a échangé avec Murray Bookchin au début des années 2000 et a conçu un nouveau projet politique qui est actuellement appliqué au Rojava depuis 2014. Le mouvement démocratique kurde, dans lequel l’engagement des femmes est déterminant, comporte de nombreuses similitudes avec le zapatisme du Chiapas.
Après Florac, c’est à Vaour que vont se dérouler les prochaines rencontres, village où une liste participative a été élue aux dernières élections municipales.
Programme des Rencontres RESC Vaour 2023
Samedi 30 Septembre
Accueil : 9h00
9h30: Qu’est-ce que l’Écologie Sociale et le Communalisme ?
11h00: Présentation du Réseau organisateur des Rencontres Communalistes (RESC)
14h00: Parole à la municipalité de Vaour portée par une liste citoyenne, son organisation son schéma de gouvernance participative.
16h00: Le capitalisme et ses catégories, dynamique et son impact. État et démocratie. Enfer numérique, dominations et hiérarchies. Interventions puis : travail en petits groupes puis restitution en plénière
20h00: Concert de Chansons d’Echansonnes avec Guillaume Pelletier auteur compositeur (voix, guitare, violon, contrebasse) au Café Associatif l’Atmosphère de Vaour
Dimanche 1er Octobre
9h30: Les expériences communalistes, Rojava, jineologie, zapatisme
14h00: Propositions concrètes, stratégies de remplacement du capitalisme – brainstorming en petits groupes – restitution en plénière –
16h00: Bilan et prochaines rencontres Les Rencontres sont organisées par le RESC (Réseau Écologie Sociale et Communalisme) resc@riseup.net
Ouvert à tous et toutes, libre participation… Un terrain est mis à disposition pour planter sa tente, un grand dôme mis à disposition, restauration ambulante sur place.
L’effondrement de la biodiversité et l’intoxication des milieux auxquels nous assistons depuis quelques décennies font directement écho à l’appauvrissement des relations humaines dans leur diversité et de tout ce qui fait sens commun.
Tel est le triste aboutissement du capitalisme, grand ordonnateur du travail aliéné, de l’industrialisation agro-alimentaire et de la marchandisation mondialisée, ainsi que de la dévitalisation du politique.
Il a provoqué une économie de crise permanente, assortie de misères multiformes qui suscitent toujours plus d’indignation et de flambées émeutières à travers le monde. Ces colères légitimes risquent de se muer en haine de l’autre et d’alimenter la croyance illusoire dans des partis qui prônent l’État-Nation et confisquent la souveraineté populaire.
Loin de combattre le capitalisme, le régime des partis n’a qu’un objectif : la rivalité pour la conquête de l’État. Une fois aux commandes, ils entérinent la logique destructrice du capitalisme et nous dépossèdent de notre puissance collective.
La démocratie représentative, visage rassurant du système, se présente comme un horizon démocratique indépassable. Elle est pourtant à bout de souffle, comme en témoigne l’abstention récurrente aux élections. Les partis politiques ne font plus rêver, et heureusement. La gauche électoraliste ayant définitivement perdu son âme, deux grands courants traversent le paysage politico/médiatique : une technocratie néo-libérale tendant toujours plus vers l’autoritarisme et la surveillance généralisée ; et un bloc réactionnaire, identitaire et raciste, dont les idées n’ont jamais autant été banalisées par les médias de masse.
Ce désastre nous laisse face à un manque de perspectives, au vide politique que les illusions de la gauche ont laissé derrière elles quand il est devenu évident qu’elle était fascinée par les pratiques néo-libérales et ne prétendait qu’à les humaniser…
Dans le même temps, on voit pourtant se manifester un fort désir d’émancipation et d’alternatives dans lesquelles il serait possible de mener une vie qui ait du sens. Des réseaux associatifs naissent un peu partout, en ville comme à la campagne, et recréent du lien. On voit émerger des luttes qui articulent l’écologie et la question sociale (contre les projets inutiles, contre la disparition des services publics en milieu rural, contre l’agriculture industrielle, contre les politiques éducatives, énergétiques, de la santé, des transports, contre le patriarcat…). Elles sont nombreuses à prôner la fin du capitalisme. Mais comment vivra la majorité des gens si rien n’a été fait pour préparer le monde d’après le capitalisme ?
L´écologie sociale comme pas de côté
L’Écologie sociale est née de ce constat, considérant que les problèmes écologiques ont pour origine les injustices sociales et les logiques de domination qui les alimentent. C’est dans ce cadre que nous inscrivons nos champs d’intervention et nos principales perspectives. Tout en sortant progressivement des logiques capitalistes, l’Ecologie sociale propose comme horizon une décentralisation de la société et une réintégration des communautés humaines dans des activités ancrées localement, en équilibre dynamique avec les milieux naturels et reliées entre elles par des confédérations.
Le communalisme comme outil politique
De ce constat naît la nécessité de s’organiser de manière à susciter la plus grande participation possible de la population de la commune aux délibérations et aux décisions qui la concernent.
Nous appelons ce mode d’organisation politique “communalisme”, car il est fondé sur une confédération de communes libres.
Le projet communaliste, théorisé par Murray Bookchin s’est utilement inspiré de la longue et riche histoire des mouvements révolutionnaires qui ont visé l’émancipation populaire. Cette approche libertaire défend une société décentralisée, l’abolition de toutes formes de domination et d’exploitation et pense ses rapports avec les milieux naturels depuis une perspective locale, sans pour autant s’enfermer dans un localisme chauvin ni dans le survivalisme.
La question politique et sociale est ainsi indissociable de celle de l’écologie. L’option communaliste se pose clairement dans un dépassement des pratiques des partis et de la démocratie représentative par la démocratie directe, en tension avec les institutions étatiques. Elle s’affirme dans les marges, à travers les pratiques, sur des territoires restreints, dans les communes et partout où des groupes humains cherchent à reprendre le contrôle de leurs vies (logement, luttes paysannes, santé, production énergétique et de biens essentiels, vie artistique, etc.). Aucun projet alternatif en sera en mesure d’aboutir si, conjointement, on ne construit pas un mouvement regroupant les luttes contre les dominations et pour la dignité, mais aussi les alternatives concrètes qui cherchent consciemment à se projeter hors du capitalisme. Dès lors, il est nécessaire de multiplier les échanges entre ces espaces, de créer des liens de solidarité, dans et entre les communes, les régions et internationalement.
Fortes de cette culture et de ces pratiques communalistes, les nombreuses expériences en cours autour de la pédagogie sociale, les enseignements alternatifs, l’éducation populaire, les habitats et lieux partagés, les productions autogérées, les fermes collectives, les luttes anti-patriarcales, les luttes féministes, les solidarités actives avec les migrants, les ZAD, peuvent participer à enrichir cette dynamique politique consistant à partir du local pour se fédérer sur un territoire (ex : commune, quartier en ville, vallée ou bassin-versant en montagne…).
L´appel :
La construction de l’Écologie sociale et du Communalisme ne repose ni sur un décret ni sur une quelconque prise de pouvoir. Nous ne pouvons ni souhaitons attendre le Grand Soir. Nous devons dès maintenant œuvrer activement à la mise en relation d’une multitude d’initiatives collectives concrètes. C’est au tissage discret de ces liens sur les bases énoncées ci-dessus, à la croissance de ce mycélium que nous vous proposons de participer. Que vous soyez investi(e)s dans des syndicats, des associations, des collectifs informels, des Amap, des coopératives intégrales où simplement à titre individuel dans la lutte contre la domination marchande.
Partant de ces mouvements sociaux, nous ne voulons plus déléguer notre pouvoir politique mais nous en saisir directement à l’intérieur de nos assemblées populaires et décisionnelles. C’est sur ce processus que nous misons pour construire nos propres auto-institutions communales en tension avec l’État. C’est à partir de ces assemblées devenues des espaces de reconstruction et d’apprentissage de la communalité que nous pourrons identifier nos besoins réels. Il s’agira, dans un premier temps, d’y forger un contre-pouvoir capable de contraindre les pouvoirs municipaux actuels à mettre en place les propositions des assemblées communalistes. Car l’objectif est d’aller vers une démocratie directe et effective. C’est aussi de recréer une politique structurée par nos diversités et par nos liens avec les milieux naturels. Par cette démarche consciente et déterminée, nous voulons créer les conditions d’une sortie définitive du capitalisme et d’une écologie sociale. A nous toutes et tous de créer ce mouvement émancipateur porteur d´espoir, localement, puis à l’échelle des régions et au-delà.
Cette feuille de route ne constitue que le premier pas vers l´élaboration collective d’une stratégie qui continuera à s´élaborer au fur et à mesure de notre avancée. Le chemin se fait en marchant ; marchons en nous questionnant; transformons en nous transformant !