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9 – 10 décembre 2023

JOURNÉES D’ACTION CONTRE LAFARGE ET LE MONDE DU BÉTON

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Le moment me parait opportun de partager le sens du mot « Désarmement ».

En 1975, le dynamitage de la pompe du circuit hydraulique de la centrale de Fessenheim alors en construction, mené entre autres par la pionnière écoféministe Françoise d’Eaubonne, marque l’irruption du sabotage dès les prémices du mouvement écologiste en France.

La même année paraît, de l’autre côté de l’Atlantique, Le Gang de la clé à molette d’Edward Abbey. Ce roman initiatique narre comment un groupe d’américain·es insoupçonnables, amoureux·ses de leurs grands espaces, s’organisent discrètement pour détruire des bulldozers ou faire sauter un barrage. Par‑delà certains penchants politiques douteux, il ouvre la voie à la pratique aussi populaire que malicieuse de l’écosabotage, dont les mille et une techniques seront synthétisées dix ans plus tard dans le fameux guide Ecodefense .

Depuis lors, en petits groupes nocturnes ou en foules diurnes, dans les champs d’OGM et les ZAD, des élans d’arrachage, déboulonnage, crevaisons et autres feux de joie ont toujours accompagné les grandes mobilisations écologistes. L’efficacité immédiate de ces multiples gestes leur a valu d’être la cible de constants efforts de criminalisation et d’une labellisation au forceps dans la catégorie des actions « violentes » et pourquoi pas « terroristes ».

Alors qu’à l’aube des années 2020, de nouvelles formes de résistance se cherchent dans le sillage des marches pour le climat, le sabotage pâtit d’une réputation sulfureuse, aussi risquée que marginale. Et les premières actions de Youth For Climate ou d’Extinction Rebellion s’orientent souvent vers des démarches plus symboliques ou se contentent de blocages temporaires, censés leur assurer un appui plus sûr dans l’opinion publique. Pourtant, l’urgence climatique d’un côté, et de l’autre, la capacité de multinationales comme Lafarge à étouffer les occupations successives de leurs sites, pousse à intensifier la pression.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle génération de militant·es, faute d’avoir été prise en compte par leurs gouvernements, se penche avec attention sur les propositions du géographe suédois Andreas Malm, dans son bréviaire Comment saboter un pipeline 1 : « Une raffinerie privée d’électricité, une excavatrice en pièces : saborder des biens n’est pas impossible après tout. La propriété n’est pas au‑ dessus de la terre : il n’y a pas de loi technique, naturelle ou divine qui la rende inviolable dans la situation actuelle. »

Le mardi 29 juin 2021, le terme de « désarmement » est revendiqué à l’issue d’une occupation simultanée de quatre cimenteries Lafarge lancée par les Soulèvements de la Terre et Extinction Rebellion. Des centaines d’occupant·es ne se sont pas contenté·es de bloquer le site mais revendiquent cette fois avoir neutralisé les matériaux, inondé ou bétonné des machines, ensablé des réservoirs d’engins afin de maintenir les sites à l’arrêt après leur départ : « Lafarge et ses complices n’entendent rien à la colère des générations qu’ils laissent sans avenir dans un monde ravagé par leurs méfaits. Leurs silos et malaxeuses sont des armes qui nous tuent. Ils ne cesseront pas sans qu’on les y force. Nous allons donc continuer à démanteler ces infrastructures du désastre nous‑ mêmes. Nous appelons toutes celles et ceux qui se soulèvent pour la terre à occuper, bloquer et désarmer le béton. »

Par rapport au terme de « sabotage », celui de « désarmement » offre l’avantage d’expliciter directement la portée éthique du geste et la nature des cibles, de relier la fin et les moyens. Tandis que le sabotage renvoie dans le Code pénal à la « destruction d’infra structures vitales pour le pays », le désarmement vise des infrastructures toxiques et destructrices. Il relève de la légitime défense, d’une nécessité vitale face à la catastrophe.

Quelques mois plus tard, le porte‑ parole de Bassines Non Merci annonce au milieu d’un chantier à côté d’un tractopelle démembré que « pour une bassine de construite, il y en aura trois de détruites ». Cet appel sera immédiatement suivi de faits. Dans sa forme la plus collective, avec 3 000 personnes qui découpent peu après une bassine à coups de cutter tandis que la Confédération paysanne en démonte la pompe. En catimini, par des groupes aux noms fleuris comme le Gang du cutter à roulettes ou les Fremens du Marais poitevin, qui désarmeront douze autres bassines avec tuto vidéo à l’appui. Tou·tes font ainsi monter d’un bon cran la pression sur les irrigants, les coûts de sécurisation et les doutes sur la viabilité de ces infrastructures.

Tandis que le « désarmement » est désormais fréquemment invoqué pour caractériser des interventions sur diverses autres cibles, les renseignements généraux s’affolent du rôle joué par les Soulèvements de la Terre dans la « diffusion et l’acceptation de modes opératoires plus offensifs » et dans la bascule de « militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile vers la résistance civile ». La procédure de dissolution vient alors tenter d’endiguer une hypothèse politique qui menace de se concrétiser : le désarmement sera aux révoltes écologistes du xxi e  siècle ce que le sabotage, théorisé par Pouget, fut à certaines grandes grèves ouvrières du début du xx e , un prérequis autant qu’une colonne vertébrale.

Lotta Nouqui

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