Un extrait édifiant de « Stratégies pour une révolution écologique et populaire » de Peter Gelderloos – p105-107.
En avril 2009, les représentants des 28 États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) se sont réunis à Strasbourg, en France, et juste de l’autre côté de la frontière à Kehl, en Allemagne. La plus grande alliance militaire de la planète avait le changement climatique à son ordre du jour, à un moment où les politiciens de la plupart des États membres étaient, au mieux, inactifs et, au pire, niaient activement la réalitéde la situation. Quelle solution ont-ils proposée au changement climatique ? Une augmentation de la « sécurité des frontières »,des identifications biométriques et de la surveillance de leurs populations nationales, et une réaffirmation de leur objectif consistant à normaliser l’utilisation nationale des forces militaires dans les environnements urbains d’ici 2020. Un document de stratégie publié avant le sommet énonce clairement que « les défis en matière de sécurité sont principalement de nature socio-économique, et non militaro-technique ». Le document poursuit en précisant que les menaces « socio-économiques » sont celles que posent les pauvres, les réfugiés climatiques et d’autres personnes en colère ou lésées par le statu quo, et qu’à ce titre, les États membres doivent continuer à travailler leur recours à l’action policière et militaire et être prêts à déployer l’armée sur leur territoire national.
Si vous êtes choqué par cette réponse ou que vous la considérez comme une sorte de non sequitur, c’est que vous n’avez pas réussi à saisir la véritable nature ou la portée de la crise écologique. Les gouvernements mondiaux, en particulier ceux du Nord économique, appréhendent la crise comme un problème de sécurité. Ils savent que le problème est réel, et que l’expansion des déserts et l’élévation du niveau des mers forceront des centaines de millions de personnes à quitter leur foyer afin de survivre. Leur solution consiste à militariser davantage les frontières – ces frontières de la forteresse Europe et du Sud-Ouest américain qui sont très certainement « conçues pour tuer » – afin que les personnes fuyant pour leur vie soient dissuadées par la possibilité très réelle de mourir au cours de leur voyage.
En gros, les principales organisations militaires du monde qui comptent déjà parmi les plus grands producteurs de déchets toxiques et de gaz à effet de serre, proposent de tuer encore plus de gens pour se protéger des conséquences de la crise dont elles sont en grande partie responsables. Et elles proposent également d’accroître la répression contre leurs propres citoyens, pleinement conscients que les classes inférieures souffriront partout du poids de la crise, et que des rébellions sont à prévoir au Nord comme au Sud.
Tandis que les riches et les puissants se retrouvaient au sommet, des milliers d’anarchistes et d’anticapitalistes, dans les rues, affrontaient la police et brûlaient des banques pour tenter de perturber la rencontre de l’OTAN. Bien évidemment, les médias les dépeignirent avec condescendance comme une horde de décervelés venus commettre des méfaits. En réalité, il s’agissait de personnes parfaitement conscientes de ce que l’OTAN préparait et des enjeux pour nous tous. Leur réponse pourrait être considérée comme la plus raisonnable et la plus intelligente, du moins si on la compare à celle des scientifiques et des ONG qui continuent de dialoguer avec les gouvernements qui parrainaient ce sommet.
Face au désespoir qu’induit la situation climatique observée à l’échelle globale, les Soulèvements de la terre parient sur l’effet boule de neige, grâce à des actions concrètes, territorialisées, liées par un enjeu commun : celui de la terre qu’on malmène, couvre de béton, accapare, assoiffe. Et qui, soudain, se soulève.
Un jeune homme affublé d’un costume d’escargot escalade des cylindres entremêlés. Bleu, noir, rouge, jaune, vert: l’horizon des JO 2024 orne le parvis de l’hôtel de ville parisien. Quelques mètres sous les pieds du grimpeur, des bottes de foin entassées servent d’estrade pour les prises de parole venues des points cardinaux d’Île-de-France. Triangle de Gonesse au nord, plateau de Saclay au sud, Châtres à l’est et Thoiry à l’ouest : les terres fertiles des quatre coins de la région se voient inexorablement couvertes d’un béton rampant. Inexorablement? Jusqu’à ce que ces terres se soulèvent. Et c’est précisément ce qui rassemble ces activistes, agriculteurs et citoyens, réunis sous la bannière des « Soulèvements de la terre » qui, depuis bientôt un an, sillonnent le pays. Par ce week-end ensoleillé d’octobre, ils s’égosillent sous les fenêtres de la maire de Paris, Anne Hidalgo. « Mais ce n’est pas forcément représentatif de nos modes d’action, d’habitude, on se retrouve sur les terres à défendre, on les occupe, c’est du concret », s’empresse de tempérer Antoine*, venu en stop de Notre-Dame- des-Landes. Deux semaines plus tôt, les Soulèvements de la terre joignaient leurs forces à celles du collectif Bassines non merci, qui s’oppose à un projet de construction de gigantesques cuves d’eau dans le Marais poitevin, destinées à alimenter des exploitations agricoles productivistes. « Par cette mobilisation, on fait aussi de l’éducation populaire : le sujet de la préservation des ressources en eau, qui concerne toute la population, sort enfin du seul microcosme qui était en train de le discuter, dans le monde agricole », se réjouit Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat agricole intégré aux Soulèvements de la terre. Une bassine, c’est un cratère plastifié, creusé sur huit hectares en moyenne, devant retenir l’eau pompée en hiver afin d’alimenter, en été, les grandes cultures intensives de la région. Une vingtaine sont prévues. Le 22 septembre, plus de 500 personnes issues du monde paysan, du collectif Bassines non merci, des mouvements climat – Youth for Climate, Extinction Rebellion –, et des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, aidées d’un troupeau de brebis, sont parvenues à faire reculer les bulldozers. « Quand ce genre de rencontres se produit, mêlant d’un côté l’expérience de la diffusion et de la capacité logistique au niveau national et, de l’autre, un collectif local qui croit dur comme fer qu’il faut coûte que coûte se mobiliser, ça fait un combo un peu magique », s’enthousiasme Antoine. Les Soulèvements de la terre ne sont pas une énième association de défenseurs de la planète, ni un rassemblement inter-organisations, ni une plate-forme de convergence des luttes paysannes et climatiques. Léna Lazare, porte-parole de Youth for Climate et membre de cette nébuleuse activiste, les voit plutôt comme une « campagne d’actions ». « Soulèvements », pluriels comme les collectifs qui s’y joignent. « Terre », mais avec un petit «t», celle qui grouille et qui vit, ancrée dans le sol, loin des abstractions majuscules. Les Soulèvements de la terre, c’est la tentative de construire un réseau de luttes locales, tout en impulsant un mouvement de résistance à grande échelle, une « reconnexion des luttes par le bas », analyse Nicolas Girod. Après un premier appel lancé en début d’année dans les réseaux militants afin de radicaliser les actions autour des questions liées à la bétonisation des terres, la deuxième saison, qui s’ouvrait dans les Deux-Sèvres contre les bassines, s’est donné pour thème la lutte contre l’accaparement des terres et leur intoxication par le système agro-industriel.
« ON N’A PLUS LE LUXE D’ATTENDRE QUE LA PROCHAINE GÉNÉRATION S‘ENGAGE »
Depuis mars dernier, les actions menées par les Soulèvements se sont multipliées : à Besançon pour défendre les jardins ouvriers des Vaîtes, à Rennes contre l’agrandissement du stade de foot, au Puy-en-Velay contre le projet de déviation de la RN88, à Saint-Colomban contre l’extension des carrières de sable, ou encore en juin dernier, un peu partout, pour bloquer l’industrie du béton. « Depuis 2019, avec les principaux acteurs des mouvements climat, on tentait de créer des convergences avec les mouvements sociaux, mais on se trouvait un peu dans une impasse », admet Léna Lazare. Avec le Covid, certains ont eu l’espoir d’un « monde d’après » différent, mais, dans les faits, l’activisme climatique comme les milieux autonomes ont surtout vécu, ainsi que le reste du monde, une longue période d’hibernation. Du côté de la ZAD, Antoine corrobore. « Il y a des généra- tions qui s’engagent et qui perdent foi, des militants des marches climat ou des paysans qui abandonnent face aux grandes exploitations. Mais on n’a plus le luxe d’attendre que la prochaine génération s’engage, il fallait se structurer, lier des groupes locaux dont les ambitions dépassent la question locale. » C’est à ce moment qu’adviennent, à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les Assises de la Terre. Paysans, autonomes, mouvements climat : tous avaient des a priori les uns sur les autres, n’avaient « jamais pris le temps de se concerter de cette manière », constate Léna. Les Soulèvements de la terre émergent de cette urgence de faire front commun, comme le résume leur premier communiqué rédigé à l’issu de ces Assises, en janvier dernier : « Nos luttes, séparées les unes des autres, sont impuissantes. Syndicalisme paysan, mouvements citoyens, activismes écologistes, agitations autonomes, mobilisations locales contre des projets nuisibles, ne parviennent pas à renverser la situation. Il est nécessaire d’inventer des résistances nouvelles. » Ces premières rencontres ont eu lieu dans des bocages à forte portée symbolique : ceux de Notre-Dame-des-Landes. « La bataille victorieuse qu’on a menée sur ces terres, contre la construction de l’aéroport, nous a conduits non seulement à faire dialoguer des organisations qui avaient des pratiques différentes, mais aussi à cultiver la terre par nous-mêmes pour l’habiter et se nourrir. Par ce biais, certains sont devenus paysans », explique Antoine. C’est, entre autres, de ce succès que s’inspirent les Soulèvements, fondant leur campagne d’actions sur trois piliers : unir les forces de paysans, d’activistes écolos et de zadistes autonomes, partir du local, concret, contextualisé, et faire de la terre, au sens foncier du terme, le cœur de tous ces combats.
LA QUESTION FONCIÈRE, « RÉVOLUTIONNAIRE »
Notre-Dame-des-Landes est devenue emblématique de l’articulation entre luttes locale et globale. « Le climat, c’est l’aéroport. Le climat, la destruction des sols, c’est le béton. On peut retrouver de la force en sortant d’une généralité abstraite et assez désespérante, en se cristallisant sur des enjeux sur lesquels on peut agir de façon concrète. Et parier sur l’effet boule de neige : si on les fait reculer quelque part, peut-être vont-ils reculer d’eux-mêmes ailleurs. Ou que nous serons plus nombreux à nous sentir capables de les faire reculer», détaille Antoine. Pour ne pas s’éteindre, une lutte a besoin de victoires ; et lorsqu’il est moins question de Terre que de terres, ces victoires deviennent plus accessibles. Elles permettent «d’insuffler une culture de la résistance pour être ensuite plus forts, à une plus grande échelle, grâce aux thématiques communes de ce tissu de luttes préexistantes », ajoute Léna. Maxime Gaborit, doctorant à l’université Saint-Louis – Bruxelles et à Sciences Po, mène actuellement une thèse sur les formes de contestation des militants pour le climat, qu’il suit depuis plusieurs années. Pour lui, cette démarche est aux antipodes des mouvements climat traditionnels, « de leurs marches très globales, désincarnées, déconnectées des luttes locales, qui interpellent directement l’État pour un changement de politique». Si le foncier est lui aussi central dans le combat des Soulèvements, c’est qu’« à la croisée de la fin du monde et de la fin du mois, du soulèvement des Gilets jaunes et de la jeunesse qui s’agite pour le climat, il y a la réappropriation et la défense de la terre comme bien commun ; c’est une question politique, révolutionnaire », explique Antoine. L’équation foncière est en effet vertigineuse. La surface agricole représente 50 % du territoire national. Dans les 10 ans qui viennent, en raison du vieillissement des agriculteurs, la moitié des fermes en France vont changer de main. Et, à défaut d’une inflexion de la dynamique actuelle de reprise des terres, elles seront utilisées soit pour agrandir des exploitations industrielles, soit pour de nouvelles constructions 1. Afin d’endiguer le désastre, il faut « aller à la bagarre aussi bien sur le terrain que dans les institutions: reprendre les terres accaparées en semant, en moissonnant, en occupant, comme le faisait le mouvement des paysans travailleurs2 », explique Nicolas Girod. Si le consensus sur les leitmotivs de cette campagne d’actions semble régner parmi les divers participants, il est plus ardu de trouver un terrain d’entente sur la méthode. Sabotage, pas sabotage ? Désarmement, désobéissance civile ? « Sur l’action des bassines, il y avait des retraités du coin, des membres d’Extinc- tion Rebellion avec leurs méthodes bien rodées, des gens un peu énervés aussi, qui avaient envie de péter des machines… » raconte Léna Lazare. Bien qu’une forme de radicalité globale soit assumée, d’interminables AG se tiennent avant chaque action pour respecter les limites de chaque organisation. « Pour la Confé- dération paysanne, la limite, c’était qu’on évite toute confrontation directe avec le congrès de la FNSEA, parce qu’en tant que syndicat, si ça part en guerre ouverte, c’est tendu pour eux», illustre la porte-parole de Youth for Climate. Un «profond respect des différentes organisations et manières de lutter » que salue Nicolas Girod.
« Les Soulèvements de la terre, c’est la tentative de construire un réseau de luttes locales, tout en impulsant un mouvement de résistance à grande échelle. »
Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le 29 juin. Plus de 400 personnes ont occupésimultanément quatre infrastructures majeures alimentant le Grand Paris en béton, dont trois appartenant à Lafarge Holcim (en procès pour avoir participé au financement de Daesh en Syrie). L’action, coorganisée par les Soulèvements de la terre et Extinction Rebellion, s’inscrivait dans une action baptisée Grand Péril Express visant à alerter au sujet de l’artificialisation et de la bétonisation du Grand Paris. Les activistes ne se sont pas contentés de bloquer provisoirement les sites, mais les ont « désarmés ». Diverses actions collectives se sont déployées pour neutraliser les matériaux, inonder ou bétonner des machines, ensabler des réservoirs d’engins et interrompre la production pour plusieurs jours, démultipliant le coût financier du blocage pour le cimentier.
« ON CRÉE LA SURPRISE, UN PEU COMME LE CORTÈGE DE TÊTE EN MANIF »
Chaque organisation qui prend part aux Soulèvements est nourrie par sa propre histoire politique. Certains zadistes de Notre-Dame-des-Landes ont construit des barricades, vécu des confrontations très violentes avec les forces de l’ordre. Les traditions des mouvements autonomes nourrissent leurs imaginaires. La Confédération paysanne a, elle aussi, « une histoire d’action directe inscrite dans son ADN », rappelle Nicolas Girod, mais avec des méthodes qui lui sont propres : lorsque José Bové démonte le McDonald’s de Millau en 1999, il le fait à visage découvert, se rend lui-même à la juge d’instruction pour être placé en détention provisoire et savoure le procès politique qui s’ensuit. Le mouvement climat, lui, est constitué de nombreux « primo-militants », parfois inexpérimentés, pas tous nourris par une quelconque histoire des luttes. « Le climatisme est un environnementalisme dont l’homogénéité n’était qu’apparente lors des marches massives: ce n’est pas un mouvement politique, il n’a ni tradition politique ni imaginaire », explique Maxime Gaborit. L’impuissance de leurs modes d’actions, constitués de marches massives mais policées, s‘explique, selon Maxime Gaborit, par ce que le mouvement climat a voulu incarner : une justice en surplomb, au-dessus de l’État qui, lui, se situerait du côté de l’injustice par ses lois, «ce qui impliquait, pour être crédible, une non-violence irréprochable »
Ces mouvances peuvent donc sembler politiquement irréconciliables. Mais au lieu d’être un handicap, cela joue plutôt en faveur des Soulèvements, une fois sur le terrain. « Plein d’orgas différentes sont à un même endroit, il y a des banderoles, des chants… les flics sont un peu perdus, ne savent pas sur qui taper. Pour l’instant, on crée la surprise, un peu comme le cortège de tête en manif », se réjouit Léna. Un exemple loin d’être anodin, estime Maxime Gaborit. La présence accrue du « cortège de tête » lors de manifestations a renforcé un pôle autonome de gauche dans les mouvements sociaux, ce qui « a nourri une frange du mouvement climat dans sa nécessité d‘investir un nouvel imaginaire, plus radical et politique ». Et c’est aussi par ces mouvements que le lien avec les paysans devient possible. « Depuis les Gilets jaunes, certains ont ouvert les yeux sur la nécessité de prendre en compte les revendications et modes d’actions issus des classes populaires, là où le mouvement climat était souvent hors-sol, déconnecté », développe le chercheur. Foncière, locale, radicale et politique, la campagne des Soulèvements de la terre ne fait que commencer. « Le réseau et la confiance ne se décrètent pas, l’intelli- gence du débat politique et des formes d’actions non plus. On a constaté qu’on pouvait se faire confiance en prenant des risques communs. On voit que nos alliances sont fertiles et nécessaires, que toutes les luttes auxquelles on a participé s’en sont trouvées renforcées », observe Antoine. Ensemble, ces militants sont sortis « d’une forme de nihilisme partagé, de désabusement tranquille qui induirait un retour à des formes de vie plus individualistes », célèbre le jeune zadiste à l’aune du premier anniversaire de cette convergence. Le regard déjà résolument tourné vers l’avenir : « En mars, on s’attaque à Monsanto ! »
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Le prénom a été modifié.
Un arsenal législatif (loi du 20 mars 2017, proposition de loi du 26 mai 2021) vise à protéger les terres agricoles, en limitant l’étalement urbain et la concentration excessive des exploitations agricoles. Mais il existe des outils pour dérogeraux réglementations en vigueur. ↩︎
Mouvement qui se structure au cours de la lutte contre le projet d’extension d’un camp militaire dans le Larzac dansles années 1970, et qui donnera lieu à la création de la Confédérationpaysanne en 1987. ↩︎
« Les amateurs étudient la stratégie. Les professionnels étudient la logistique » — proverbe militaire
Qu’est-ce que la logistique ?
Dans la vie de tous les jours, les gens utilisent le mot « logistique » pour parler vaguement de tous les petits détails. Mais en terme de stratégie, la logistique c’est plus précis. Il s’agit des déplacements de personnes, de l’approvisionnement d’équipements, et des services. Parfois la logistique est divisée entre mouvement, matériel et maintenance.
L’auteur cite l’exemple de la guerre du Vietman pendant les années 60 pour mettre en évidence l’importance de la logistique pour une mouvement de résistance. L’armée américaine qui a envahi le Vietman avait besoin d’un énorme approvisionnement pour ses infrastructures et ses forces. Chaque soldat américain avait besoin de 150kg d’équipement par jour, qui devaient être acheminés pour permettre l’invasion.
En face, les résistant·es vietnamien·nes n’avaient quasiment rien. Ils et elles n’avaient pas d’économie industrielle, mais avaient des terres. Alors ils et elles se sont enterrées. Les résistants ont développé des techniques de guérilla en creusant des tunnels pour se cacher sous la forêt, et récupéraient les déchets des américains pour fabriquer leurs propres pièges. Les infrastructures de l’armée de libération nationale se situaient presque entièrement sous terre, dans des tunnels que les américains avaient le plus de mal à déceler. L’armée américaine à incendié et bombardé les forêts du Vietnam. Quand une bombe n’explosait pas, les résistants vietnamiens allaient la récupérer pour la recycler et fabriquer des pièges et des grenades.
La force logistique des US fut aussi son point faible. Malgré son écrasante supériorité militaire, l’armée américaine fut forcée de quitter le pays. Et malgré son infériorité militaire, et au prix de souffrances, de courage, de techniques rudimentaires mais astucieuses, le Vietnam a mis en déroute l’armée la plus puissante au monde.
Que retirer de tout ça ? Que les conflits peuvent être excitants et dramatiques, mais que les victoires dépendent tout autant de la logistique que des stratégies et tactiques. Ceci fut valable qu’il s’agisse d’un mouvement armé clandestin ou bien d’une lutte strictement non-violente : les personnes qui engagent leur vie ou leur temps dans la lutte ont besoin de manger, d’un endroit où dormir, de se déplacer sur le lieu du conflit, elles ont besoin d’outils et de services. Pour les blocages de désobéissance civile de masse, la logistique consiste à nourrir les activistes, à apporter un soutien juridique pour les personnes arrêtées ou condamnées, des tracts diffusées dans la rue. Pour les mouvements de résistance armés, la logistique fut l’approvisionnement en munition, les cachettes et les soins médicaux.
La logistique est souvent négligée pendant les périodes calmes, pourtant elle peut devenir le principal obstacle à l’escalade d’une campagne. Les organisations ont besoin d’argent, mais quelles sont les solutions à disposition et quels sont risques associés ?
L’industrie des organismes sans but lucratif
Chaque source d’argent comporte des difficultés. La collecte de fond par la base est laborieuse, mais les dons généreux qui viennent de sources privées nécessitent souvent de faire des compromis. Les millionnaires qui ont fait fortune grâce à l’exploitation des « ressources naturelles » et des êtres humains sont devenus des philanthropes pour protéger leurs intérêts. Non seulement cela leur permet de payer moins d’impôts, mais c’est surtout un moyen de saper la résistance politique organisée au profit d’une charité pro-capitaliste. En choisissant qui sera financé et qui ne le sera pas, les fondations privées peuvent manipuler ou détruire certains mouvements sociaux.
Certaines associations, bourses et programmes de financement sont même spécifiquement étudiés et implantés pour coopter des organisations et des militant·es, et les détourner vers des positions réformistes. Les différentes positions au sein des mouvements sont ainsi exacerbées : les plus libéraux reçoivent des subventions et des budgets conséquents pour leur communication, tandis que les groupes plus radicaux doivent se débrouiller avec presque rien.
De plus, ce système incite à penser qu’être activiste doit ressembler à une carrière professionnelle. Les organisateur·trices les plus prometteurs sont attirés dans des carrières bien payées, loin de la base. Les organisations pour la justice sociale entrent aussi en compétition les unes avec les autres, elles ajustent, changent leur objectifs pour correspondre à ce qui a une chance d’être financé.
Alors que faire ? Est-ce que les organisations radicales doivent refuser toutes les subventions ? La réponse dépend d’abord du type d’organisation. Pour la sensibilisation et la prise de conscience, certaines organisations qui reçoivent des financements peuvent faire un travail important. Mais il ne faut absolument pas être naïf et imaginer que les donateurs qui mettent en place les fondations recherchent autre chose que leur intérêt personnel. Une autre réponse est que les groupes radicaux peuvent mettre eux aussi en place leur propre système de financement à la base, des collectes de fond, et ce n’est pas une honte. C’est un sujet sensible qui n’est pas abordé en priorité par les groupes radicaux, nous allons voir comment protéger à la fois notre intégrité morale et notre porte-monnaie.
Financement des groupes de résistance
Dans le chapitre sur le recrutement, nous avons vu les mouvements de résistance comme des cercles concentriques.
Une masse de base soutient le mouvement de loin, des auxiliaires aident ponctuellement l’organisation. Les cadres, leaders et combattant·es forment le cœur le plus dévoué du mouvement. Recruter c’est faire se déplacer les personnes vers le cercle intérieur, de sympathisantes à membre actives. Le financement fonctionne de la même façon. Une relation commence avec un groupe de personnes extérieures, à qui vous demandez de soutenir votre mouvement. Plus le temps passe, plus cette relation se renforce et vous pouvez encourager les personnes à faire des contributions plus grandes et régulières.
En bas de la pyramide, c’est la majorité des personnes sympathisantes, elles ont peu d’engagement, elles donnent peu d’argent, et n’ont pas besoin de beaucoup de temps de contact. En haut de la pyramide se situent les personnes qui s’impliquent le plus et donnent le plus d’argent, et ont besoin qu’on leur consacre beaucoup de temps. Il y a une relation directe entre le temps et l’argent : pour recevoir beaucoup d’argent, il faut y passer beaucoup de temps.
Les premiers dons à votre organisation peuvent arriver lors de ventes ou d’évènements. Ces petits dons doivent d’abord former la base du financement. C’est facile car les personnes qui donnent reçoivent quelque chose de concret en échange. Avec le temps, vous encouragez les personnes à s’impliquer un peu plus pour qu’un petit nombre devienne des donateurs plus importants. La grande majorité des personnes qui font des dons importants ont d’abord fait de petits dons pendant quelques années.
En tant qu’activistes, et particulièrement les radicaux, nous travaillons souvent dans une bulle avec des personnes qui pensent comme nous. Des relations d’amitiés se créent, des engagements forts, basés sur la confiance. Mais le périmètre de ce seul petit groupe doit être dépassé pour financer des organisations efficaces. Le financement est bien sûr quelque chose qui nous dégoute, à juste titre, quand on ne veut pas reproduire les structures d’un système capitaliste que l’on cherche à dépasser. De plus, ce n’est pas facile de parler de sujets radicaux à des inconnu·es ou des voisin·es, encore moins de frapper à leur porte pour leur demander de l’argent. Mais sans réfléchir à la logistique, les questions stratégiques sont des paroles lancées en l’air. Il est donc très important pour les radicaux d’apprendre à construire cette base de soutien logistique, qui va de paire avec le travail de sensibilisation sur les sujets qui nous animent.
Pour nous aider à apprivoiser ce sujet, voici quelques raisons pour lesquelles les personnes acceptent de donner de l’argent :
Elles ont confiance. Le plus important n’est pas d’attirer la pitié, ni de convaincre absolument, mais d’inspirer la confiance grâce à une attitude positive. Si vous avez confiance en vous-mêmes, les gens voudront vous aider.
Elles vous aiment bien. Elles donnent plus parce qu’elles ont une connexion avec vous, avec votre personnalité, votre sérieux, ou vos histoires personnelles, plutôt que par le problème contre lequel vous vous battez.
Elles se sentent coupables. Elles savent qu’elles devraient faire quelque chose concernant le problème, mais elles ne savent pas quoi.
Elles ont peur de l’avenir. Elles ont de bonnes nombreuses raisons d’avoir peur de l’industrie et de la pollution, pour elles-mêmes ou leurs enfants.
Elles veulent faire comme les voisins. Si les voisins donnent, elles auront aussi envie de participer.
Voici donc quelques conseils pour la collecte de dons.
Apprenez à entrer en contact avec les gens.
Soyez amicaux, enthousiastes, ayez confiance en vous-mêmes. Regardez dans les yeux et souriez. Ne mendiez pas, soutenir votre organisation ne doit être ni une obligation, ni de la charité, mais un privilège. C’est vous qui leur faites une faveur.
Soyez crédibles.
Vous serez plus crédibles si vous disposez d’un compte bancaire, si vous pouvez accepter les chèques et si vous émettez des reçus numérotés. Votre apparence, votre approche et vos documents doivent être cohérents. La conversation se termine très souvent juste après avoir remis un document, attendez donc la toute fin avant de le donner si vous en avez un. À un moment, il faut demander de l’argent, de préférence à la fin. Rendez le don le plus simple possible. Demandez un montant spécifique, mais vous pouvez préciser que toute aide est appréciée. Soyez clairs avec ce à quoi va servir l’argent. Si votre cause a l’air vague ou mal organisée, les gens ne donneront pas. Vous allez devoir vous entraîner, surtout pour les radicaux et anticapitalistes, car demander de l’argent est un exercice très désagréable. Malheureusement nous vivons encore dans une société basée sur l’argent et ça doit être pris en compte. Attendre les bras croisés que les dons et les approvisionnements arrivent d’eux-mêmes n’est pas un service que vous rendez à votre groupe.
Le caractère
Solliciter les gens, c’est essuyer de nombreux refus. Tout le monde ne peut pas le faire car certaines personnes dépriment quand elles se font rejeter. Trop montrer ses émotions ou ne pas assez les montrer peut poser problème. Ceci dit, aller demander des dons en dehors de notre cercle politique et rester enthousiaste renforce parfois notre caractère.
À qui demander ?
Commencez par les personnes que vous connaissez. Et puis envisagez la recherche de donateurs comme n’importe quel autre travail de renseignement : réfléchissez aux meilleurs quartiers, des gens qui peuvent soutenir votre cause. Des personnes jeunes, avec des enfants etc. Les quartiers riches ne sont pas les plus généreux, et méfiez-vous des pelouses trop propres.
Construisez des mouvements
La collecte de dons est un bon moyen pour construire des mouvements. Beaucoup de radicaux sont effrayés à l’idée de parler politique avec des personnes inconnues. Mais le contact en face-à-face est très importants pour les groupes radicaux. Les puissants essayent de nous discréditer dans les médias en nous faisant passer pour des personnes violentes, extrêmes, stupides… Poser un visage rationnel et bienveillant sur des idées radicales ne va pas vous discréditer en tant qu’individu, mais va construire de la crédibilité pour le mouvement. En fait, demander de l’argent pour une organisation est le meilleur moyen de trouver et identifier des personnes qui partagent nos valeurs. Et cela nous force à apprendre à communiquer à la fois ce que nous avons achevé et ce que nous voulons achever. Le but de la collecte n’est pas de faire changer d’avis les personnes mais plus de trouver celles qui partagent de mêmes opinions.
Messages radicaux
Faire une collecte de dons de masse est un défi pour les groupes radicaux, car ils doivent rendre intéressants leur objectif, leur problème. Bien sûr ce n’est pas évident d’aller frapper à la porte d’inconnus pour leur parler de sujets qui ont été socialement marginalisés. Il n’y a pas de solution toute faite, il faut se lancer, essayer, et voir ce qui fonctionne, quelles histoires intéressent le plus les gens. Mais au bout du compte, une attitude militante ou radicale peut vraiment fonctionner lors d’une collecte à condition de réellement croire que votre groupe fera la différence. Les groupes radicaux peuvent obtenir de nombreux dons en se différenciant des groupes libéraux qui s’attaquent aux même sujets. Ils peuvent par exemple montrer qu’ils sont plus courageux ou plus efficaces en s’attaquant aux racines du problème. Si vous avez le cran, vous pouvez aller parler d’anticapitalisme dans les quartiers riches. Vous allez énerver les gens, vous prendre beaucoup de portes au nez, mais les personnes qui vous soutiendrons seront de grand sympathisants qui vous respecteront pour votre courage.
Créez des relations et escaladez
La première année est la plus difficile, il faut du temps avant d’instaurer des relations de confiance, et essuyer beaucoup de refus. À partir de la deuxième ou troisième année, quand on dispose d’une base de personnes qui soutiennent le groupe la situation est plus facile. D’abord psychologiquement car on sait qu’on reçoit du soutien, et financièrement car des dons plus importants peuvent arriver. Il faut pour cela garder le contact avec les personnes qui soutiennent et les tenir au courant des victoires du groupe.
Différentes sources de financement
Pour commencer une collecte, il faut déterminer de combien d’argent le groupe a besoin et quelles sont les sources de financement les mieux adaptées au groupe. Une diversité de sources permet au financement d’être plus stable. Voici quelques exemples :
Petits dons
Le premier contact devrait se faire par une approche personnelle, en face à face. Les petits dons nécessitent beaucoup d’effort mais ils sont les fondations d’une organisation locale. Les dons importants et les subventions offrent des opportunités intéressantes mais risquent de laisser trop de pouvoir à un petit groupe d’individus. Alors que qu’une grande quantité de petits dons forment une réelle base, et une communauté à laquelle le groupe est redevable.
Évènements et ventes
Des évènements comme des projections de films, des conférences, des concerts etc. peuvent être des sources de financement importantes pour certains groupes. Un évènement bien organisé peut parfaitement correspondre à votre base, peut être renouvelé et amélioré. Mais attention car ces évènements peuvent aussi devenir des gouffres en terme d’énergie, de temps, et parfois d’argent en cas d’échec. La vente de produits peut aussi être une alternative au risque d’un seul gros évènement. Attention néanmoins aux coûts de production, de stockage, de transports qui peuvent aussi détourner le groupe de ses objectif. Privilégier des objets plutôt symboliques (comme des cartes, autocollants, badges etc), ou même une loterie pour réduire les frais.
Cotisations
Les cotisations et abonnements sont le cœur le plus stable d’une organisation qui part de la base. Pour les petites organisations, les membres peuvent vendre des adhésions en personne. Non seulement les cotisations ou adhésions apportent un soutien matériel stable, mais elles augmentent le pouvoir politique du groupe. Les mouvements de résistance sont souvent basés sur des adhésions payantes. Par exemple les Deacons for Defense avaient des frais d’adhésion de 10$ puis des cotisations mensuelles de 2$. Les personnes qui donnent sont souvent appelées « soutiens » car elles n’ont pas forcément besoin ni envie d’être des participant·es actif·ves, elles donnent car elles ne veulent rien faire d’autre. Bien sûr les dons pour la résistance n’incluent pas seulement l’argent mais peuvent être sous forme d’approvisionnement en matériel, équipement, locaux, etc.
Bourses, subventions et dons importants
Cela dépend des activités et objectifs du groupe, mais les bourses de certaines fondations ou institutions sont parfois accessibles. Elle peuvent valoir le coût si elles sont faciles à obtenir et qu’elles permettent de faire des actions qui ne seraient pas possible autrement. Les dons importants arrivent avec le temps, après avoir construits des relations de confiance et des visites sur la durée.
Fonctionnement plus efficace
Réduire les dépenses est parfois aussi important que de collecter des dons. Mais ce dont les révolutionnaires manquent le plus souvent, ce n’est pas de l’argent mais du temps disponible. Voilà quelques stratégies possibles pour trouver du temps libre pour le groupe : vivre en communauté, en colocation
Avoir une vie simple, autosuffisante
Trouver des jobs bien payés à temps partiel
Travailler pour une institution ou ONG et utiliser les heures de travail pour aider un peu le groupe
Recevoir de l’aide de la famille ou des ami·es
Être payé·e pour parler, écrire ou enseigner à propos de sujets radicaux
Expropriation et activités illégales
Lorsque des groupes rejettent l’autorité légale, il y a une certaine logique à utiliser l’expropriation comme une source de financement (par exemple Robin des bois). De plus, les groupes clandestins bénéficient déjà d’une infrastructure sécurisée pour les actions illégales. Les squats, le vol à l’étalage, ou petites combines ne sont pas trop risqués. Certains mouvements du passé ont imprimé de la fausse monnaie. Parfois les groupes anticapitalistes utilisent l’expropriation publique (de nourriture, de matériel, de terres) à la fois comme une forme d’action et comme support logistique. Certaines organisations sont allées plus loin, jusqu’au vols de voiture, attaques de fourgons, braquages de banque, trafic de drogue. Mais c’est un chemin très dangereux pour un mouvement, car ça devient difficile de conserver un certain niveau moral, sans parler des nombreux problèmes liés au recrutement des personnes qui veulent s’impliquer dans ce genre d’activités criminelles. Par ailleurs, les petits délits sont une mauvaise idée pour les personnes clandestines qui veulent faire profil bas. Et les groupes à visage découvert doivent faire attention avant d’enfreindre des lois pour éviter d’être trop facilement diabolisés par les puissants.
Logistique révolutionnaire
Quels sont les besoins logistiques ?
Les besoins de base des membres : alimentation, habits, logement, etc
L’équipement nécessaire au conflit : mégaphones, bannières, antivols etc pour les actions directes non-violentes. Pour les guérillas cela inclurait plutôt des armes, munitions, explosifs, etc
Entretien et stockage
Transport des personnes et des équipements
Installations : lieux d’entrainement, de rencontre, cantines, etc
Aide médicale et premiers secours
Soutien pour les familles des résistant·es
Autres services importants (communication, énergie, etc)
Comment planifier la logistique
Évaluation des besoins. Quel genre de logistique ? Quelle quantité ? Les personnes qui s’occupent de la logistique ont besoin de savoir ce qu’elles doivent fournir, et les personnes mobilisées sur l’action ont besoin de savoir si la logistique dont elles ont besoin sera disponible.
Réserves avant le conflit. Les groupes accumulent les provisions nécessaires aux opérations, avec de la marge pour faire face aux imprévus.
Pré-conditionnement. Les provisions sont conditionnées de façon à ce quelles soient utilisables et transportables facilement pour les personnes sur le terrain.
Cachettes préparées avant le conflit. Les provisions sont placées au plus proche du conflit. Elles ne sont pas cachées toutes au même endroit pour éviter la capture ou la destruction.
Les principes clés de la logistique
Prévoyance : Anticiper les besoins pour éviter la confusion et la pénurie
Économie : Minimiser la consommation des ressources
Souplesse : Faire avec les moyens du bord
Simplicité : Utiliser des systèmes d’approvisionnement basiques et fonctionnels
Coopération : Partager les systèmes logistiques et les ressources quand c’est possible
Auto-suffisance : Mettre en place des chaînes d’approvisionnement courtes et locales
La résistance construit son propre système logistique révolutionnaire tout en détruisant le soutien logistique de l’adversaire. Les mouvements de résistance efficaces de l’histoire étaient basés sur des technologies simple et des économies à l’échelle communautaire. Pour réussir dans un contexte d’effondrement économique et industriel, des mouvements de résistance à visage découvert ont eux aussi besoin de développer des moyens locaux de subvenir aux besoins en nourriture, eau, abris, etc.
La logistique est une catégorie coûteuse, c’est pourquoi la majorité des personnes dans les mouvements de résistance passent leur temps à s’en occuper, et que seulement un petit pourcentage est sur le front. La logistique est essentielle pour passer de la dissidence à la résistance active. Les militant·es passionné·es qui se focalisent trop sur le conflit négligent parfois le soutien matériel nécessaire pour mener à bien ce conflit. Les campagnes et organisations efficaces ont besoin d’une puissante base de soutien. Si un groupe échoue à développer cette capacité logistique, il est limité aux actions les plus basiques, ponctuelles et de petite échelle.
Comme dans l’exemple du Vietnam, la logistique d’une organisation de résistance est très différente de celle d’une armée conventionnelle. Les armées régulières ont besoin d’entrepôts, de convois de transport, elles ont besoin d’énormes capacités pour se déployer et occuper un vaste territoire. Les mouvements de résistance au contraire sont très localisés. C’est particulièrement vrai pour la logistique de guérilla qui se contente de stockages clandestins, de cachettes, de distribution décentralisée très mobile et créative. Elle peut exploiter les failles d’une armée régulière, de ses routes, de ses chemins de fer et de son économie industrielle qui constituent autant de cibles potentielles.
Il y a d’autres raisons pour lesquelles les militant·es peuvent manquer de soutien logistique, c’est parce que les combattant·es dénigrent parfois les personnes qui travaillent pour la justice sociale et qui peuvent fournir les services ou le travail d’organisation de la communauté. Ces personnes peuvent fournir l’aide et les conseils logistiques pour les personnes sur le front, mais c’est impossible si les militant·es jouent au plus radical et n’établissent aucune relation avec les personnes modérées. Par ailleurs la logistique est sous-estimée dans l’histoire des mouvements de résistance car elle a bien souvent été l’œuvre des femmes. C’est un énorme travail invisible qui s’efface sous les exploits guerriers, pourtant les capacités logistiques ne se construisent pas en une simple nuit. Les infrastructures de résistance se développent parfois plusieurs années en amont du début des hostilités.
Nous avons vu dans ce chapitre à quel point la logistique est primordiale pour envisager les questions de stratégie et de tactique. Les combattants et combattantes ne peuvent pas se battre s’il n’y a pas les moyens matériels de soutenir la lutte. Et disposer de grandes quantités de matériel et de personnes est inutile si vous ne pouvez pas déplacer ces personnes et ce matériel efficacement là où il faut, au moment où il faut. Les actions efficaces, les tactiques efficaces, émergent des communautés de résistance et nécessitent les capacités de soutien que nous venons de décrire.
Dans les deux chapitres suivants, nous allons maintenant parler d’action plus en détail. L’action est le but ultime d’un mouvement de résistance. Le chapitre 11 se concentre sur la tactique, le niveau le plus détaillé du conflit, tandis que le chapitre 12, sur la stratégie, s’intéresse à une vision plus globale en terme de campagnes. Mais en réalité, la tactique et la stratégie ne fonctionnent pas séparément. Les tactiques ne peuvent être évaluées que dans le cadre d’une bonne stratégie, et les stratégies sont basées sur les tactiques disponibles. Voilà pourquoi ces deux derniers chapitres forment une paire.
Chapitre 11. Actions et Tactiques
« Ce n’est pas l’oppressé qui détermine les moyens de résister, mais l’oppresseur » —Nelson Mandela
Aric McBay raconte qu’en tant que jeune activiste on lui a enseigné des connaissances tactiques (comment tenir une barricade, comment se protéger des lacrymos, comment écrire un communiqué de presse), ainsi qu’une analyse politique sur l’économie, l’état, le capitalisme. La tactique et l’analyse politique sont très importantes, mais sans solides connaissance sur l’organisation, sans perspectives stratégiques , le flot continu de mauvaises nouvelles sur les atrocités et les destructions dans le monde peut devenir déprimant, démobilisateur. Nous devons étudier, pratiquer et enseigner la stratégie.
Principes stratégiques et tactiques
La stratégie de résistance commence avec la compréhension que les dirigeants ont beaucoup plus de ressources que nous (armes, tanks, grands médias, police anti-émeute), et que dans une bataille rangée, ceux au pouvoir gagneront presque toujours. Les mouvements de résistance réussissent en étant rusés, en engageant leur ennemi aux lieux et moments où ils peuvent gagner. Ces principes tactiques et stratégiques ont été développés pendant des milliers d’années de conflits, que ce soit les guérillas, les grèves et les campagnes de désobéissance civile. Ils ont été exprimés par Sun Tzu, Clausewitz, par les partisans soviétiques et les guérillas d’Amérique latine, par les formateurs à l’action directe non-violente et les théoriciens militaires. Ils sont étudiés par les officiers de l’armée et les commandants de guérillas, car si ces personnes ne suivent pas une bonne stratégie, les conséquences sont immédiates, évidentes et sanglantes. Mais trop de mouvements sociaux modernes oublient ces principes parce qu’ils se basent sur le lobbying plutôt que sur la perturbation, et parce qu’ils ne s’attendent pas à gagner.
Voici 11 principes stratégiques et tactiques pour l’action directe et la perturbation. Ils ne sont pas utilisés dans chaque conflit mais un mouvement de résistance efficace en utilisera plusieurs suivant la situation.
1. Objectif clair
Les résistant·es passent à l’action avec des objectifs clairs et atteignables à l’esprit. Dans l’idéal, cet objectif est décisif. Ce but motive les membres, et définit la structure, les stratégies et tactiques du mouvement.
Les objectifs à long terme sont faciles à déterminer (par exemple la paix mondiale), mais si les objectifs à court terme ne sont pas définis clairement, alors la campagne risque de s’arrêter. Les objectifs à court terme doivent être atteignables dans un futur proche afin d’encourager le groupe à continuer. Ils doivent être mesurables, avec une échéance, et doivent être un passignificatif vers l’objectif à long terme.
Si l’objectif est clair, les résistant·es peuvent examiner leur action passée et déterminer si du progrès a été réalisé. Les stratèges militaires distinguent 3 différents types d’opérations :
Opérations décisives : elles accomplissent directement l’objectif final
Opérations de mise en forme : elles changent les conditions de la lutte pour rendre la victoire plus probable
Opérations de soutien : elles aident les opérations décisives ou de mise en forme
Par exemple pour un groupe de guérilla sous l’occupation nazie en Europe, les opérations décisives pouvaient signifier assassiner les officiers Nazi, les opérations de mise en forme pouvaient être la distribution de presse clandestine, et les opérations de soutien pouvaient être l’attaque d’un poste de garde pour les munitions. Chaque action de résistance a besoin d’un objectif tactique clair qui permet d’avancer dans la stratégie globale.
Voici quelques objectifs clairs possibles :
Action directe décisive. Accomplir quelque chose directement (gêner, bloquer quelque chose, prendre un territoire, détruire une cible, se défendre)
Dissuasion : Une menace, une démonstration de force pour décourager les dirigeants de faire des mauvaises actions, pour réduire les risques de répression.
Escalade : Faire grandir les enjeux, la radicalité pour maintenir l’avancée d’une campagne (ex Fenêtre d’Overton)
Renforcement et accentuation : Une action directe qui rappelle que le problème est toujours présent, ou pour désigner une cible en particulier
Moral et acte de défi : Après avoir subi un revers, une action directe peut remonter le moral et renouveler la lutte.
Solidarité : Aider les luttes des allié·es pour construire des relations, des réseaux et renforcer le mouvement.
Recrutement : Certaines actions à faible risque permettent d’inviter des nouvelles personnes pour qu’elles s’engagent.
Entrainement et renforcement des capacités : Aider les personnes à pratiquer et se familiariser à de nouvelles méthodes d’action, à se radicaliser, à planifier des actions plus ambitieuses que dans le passé
Communication : Envoyer un message ou attirer l’attention, des gens, des dirigeants, des allié·es.
Expérimentation et créativité : Casser la routine, partager de nouvelles idées, inspirer grâce à des actions insolites.
Provocation : Provoquer une réponse des personnes au pouvoir, ou les distraire, les manipuler, les tourmenter.
Récolter des informations.
Obtenir des ressources : pour améliorer le soutien logistique
Une bonne tactique permet d’accomplir plusieurs des points précédents. Presque toutes les actions directes fructueuses arrivent dans le contexte d’une campagne. Ce qui signifie que du travail politique (et pas seulement logistique) a été fait en amont. Un débat revient souvent, est-ce que les actions doivent être ou non «symboliques » ? L’histoire de la résistance montre que les actions directes décisives doivent être une priorité quand elles sont possibles. Mais la plupart des actions ont aussi une composante symbolique, elles envoient en même temps un message, que ce soit de la solidarité envers les camarades, un avertissement pour les puissants, ou un appel au défi en général.
Dans l’idéal, une action est planifiée pour que chaque issue possible achève certains objectifs stratégiques. Et dans l’idéal le juste équilibre est trouvé entre des objectifs atteignables à court terme et une stratégie qui a du sens sur le long terme.
2. Attaque / Initiative
Le combat de guerre, et par extension les actions moins violentes, dépendent de quelques règles générales.
On ne gagne que grâce à l’attaque. Même si on doit être capable de bien défendre, on ne gagne pas en s’asseyant et en laissant l’opposition faire ce qui lui plaît, mais en attaquant.
On doit chercher à initier le combat selon nos propres termes : à décider où, quand, et comment il aura lieu.
L’initiative est la clé. On doit chercher à avoir l’initiative et à ne jamais l’abandonner si c’est possible.
On doit chercher à construire le mouvement rapidement et à gagner de façon décisive.
3. Concentration
Les forces éparses et isolées sont facilement écrasées et défaites. Les résistant·es efficaces concentrent leurs efforts pour avoir une force écrasante là où c’est important. Ils et elles convergent sur les points les plus efficaces, où leurs actions auront le plus d’impact, sur les points faibles de ceux au pouvoir. C’est par exemple ce qu’ont appris les résistant·es Irlandais·es après le Easter Rising. Ils ont d’abord engagé leur forces pour occuper des bâtiments du gouvernement, en sacrifiant leur mobilité et flexibilité. Ce choix les a engagé dans une action de longue durée où ils se sont retrouvés dépassés par l’adversaire, beaucoup plus puissant. Ce n’est qu’à partir du moment où ils ont changé leur approche (isoler et attaquer des plus petites cibles avec leur force écrasante) que le conflit a basculé en leur faveur. Trop souvent, les dissident·es politiques combattent sur le terrain de l’ennemi suivant ses règles. Les requêtes parlementaires, les tribunaux, les doléances publiques… tout cela est conçu pour que les dissident·es aient le moins de chance de réussir. Pour un mouvement de résistance, augmenter ses chances c’est choisir les tactiques qui lui permette de maximiser ses forces. Et les tactiques disponibles dépendent du nombre de personnes prêtes à passer à l’action.
4. Mobilité / Flexibilité
Pour gagner, les résistant·es doivent être capable de s’engager là où leur force est supérieure, en utilisant les tactiques qui leur donnent l’avantage. Cela peut signifier être physiquement mobile, ou faire preuve de flexibilité et agilité tactique. Les mouvements de résistance devraient être capable de changer rapidement entre différentes tactiques, d’en utiliser de nouvelles, de délaisser celles qui sont inefficaces, de varier leur « mix tactique ». Les mouvements efficaces maintiennent cette flexibilité nécessaire en évitant d’avoir une approche doctrinaire ou puriste des tactiques. Ils ajustent leur tactiques selon les circonstances, et autorisent les personnes à utiliser une variété de tactiques appropriées à la situation.
5. Coordination
Une forme de coordination et de prise de décision efficace est nécessaire pour unir les forces, que ce soit pour les actions individuelles ou pour les plus grandes stratégies de campagne. Les résistant·es désorganisé·es sont facilement isolé·es. Les guérillas armées ont souvent une unité de commande, une hiérarchie militaire est en place durant le conflit. Même les groupes anti-autoritaire ont besoin d’un processus de décision pour réagir rapidement pendant les urgences tactiques. Un processus efficace de prise de décisions est encore plus important pour les groupes résistants que pour ceux au pouvoir. Une armée d’occupation est plus puissante que la résistance même si elle est mal administrée. Les résistant·es doivent maximiser leur coordination pour utiliser au mieux leur faible nombre et faible force politique. Le processus de décision n’a pas à être hiérarchisé ou unifié. Qu’il soit orienté vers la commande, ou plutôt participatif, le plus important est qu’il soit adapté à la tâche à accomplir. Des méthodes qui nécessitent trop de discussions peuvent causer des problèmes, tout comme celles qui sont trop directives.
6. Surprise
La surprise est fondamentale pour toute action perturbatrice. La résistance combat souvent de grandes bureaucraties organisées de façon très formelle. Elles sont puissantes mais lentes à répondre. L’élément de surprise peut exploiter cette faiblesse pour prendre l’avantage tactique et stratégique. La surprise est un outil puissant pour toute sorte de mouvement de résistance. Les guérillas armées utilisent des attaques surprises, des embuscades. Les groupes non-violents utilisent la surprise pour multiplier l’effet de leurs actions. Elle n’est pas seulement importante d’un point de vue tactique, mais aussi d’un point de vue stratégique : une nouvelle tactique inattendue sera imitée et diffusée dans le reste du mouvement, donnant un avantage temporaire à la résistance.
7. Simplicité
Les bons plans sont des plans simples. Une expression dit qu’aucun plan ne survit au contact de l’ennemi. Les plans inutilement complexes se désagrègent rapidement en cas de changement rapide des circonstance du conflit. Ils sont difficiles à communiquer, et prennent trop de temps de discussion quand le consensus est nécessaire. Les plans simples exécutés dans les temps sont meilleurs que les plans détaillés exécutés en retard. En situation d’urgence, seulement les plans simples fonctionneront.
8. Planification prudente
Les actions irréfléchies gaspillent du temps et des ressources, voilà pourquoi les mouvements de résistance planifient souvent en avance, avec précaution. C’est encore plus valable pour les actions de groupes décentralisés, pour pouvoir faire face aux différents imprévus sans structure de commande. Les organisateur·trices envisagent différentes options et éventualités pour planifier une action et être sûr·es d’avoir les plus grandes chances de succès. Cela incluent notamment les renseignements, la reconnaissance, s’assurer que la logistique est disponible, l’entrainement des participant·es, etc.
9. Exécution décentralisée
Les mouvements de résistance sont rarement concentrés ou monolithique ; ils sont souvent constitués de nombreux petits groupes, parfois éloignés géographiquement. Ils ont rarement une commande hiérarchique claire et unifiée. Et comme ils ne peuvent remporter de batailles rangées, ils maximisent leurs forces en déployant un grand nombre de petites actions décentralisées. La stratégie peut être améliorée grâce à une planification centralisée, mais les tactiques sont souvent plus efficaces quand elles sont décentralisées. Une multitude de groupes décentralisés ou semi-autonomes n’est pas encombrée par la logistique des grosses organisations centralisées. L’exécution décentralisée permet un plus haut niveau d’agilité tactique et d’imprévisibilité stratégique.
10. Action de courte durée
L’action de courte durée est une caractéristique primordiale de la guérilla. Les guérillas ont besoin de combiner les actions de courte durée avec la surprise pour tendre une embuscade, détruire ou voler une cible, et disparaître avant que les renforts ennemis arrivent. Des actions courtes et fréquentes sont plus faciles à réaliser, et plus perturbatrices qu’une seule action parfaitement planifiée et organisée. Les occupations et blocages de longues durée ont leur place mais doivent être initié après un examen attentif. Les occupations peuvent ralentir les mauvais projets et servir de point de ralliement, mais peuvent devenir une routine fastidieuse si aucun progrès n’est fait. Une action ne devrait pas être ennuyeuse. Les perturbations sont mieux accomplies lorsque c’est rapidement, mais il ne faut pas pour autant être dogmatique car dans certains cas c’est l’action de longue durée qui est plus adaptée.
11. Actions multiples
Les résistant·es utilisent souvent une multitude de petites actions, surtout des actions simultanées, pour submerger ceux au pouvoir. Les actions simultanées sont particulièrement efficaces quand elles respectent les principes de courte durée, de simplicité et d’exécution décentralisée. Et s’il y a un problème avec une des actions, les autres actions vont probablement réussir.
Ces différents principes évoqués ci-dessus ne sont pas à appliquer à la lettre mais suivant la situation. Il sont des schémas récurrents qui aident à amplifier la force de perturbation qu’un groupe peut déployer. Si votre groupe ou votre situation vous empêchent d’utiliser un principe efficacement, demandez-vous quel autre vous pouvez utiliser. Les tactiques qui fonctionnent utilisent souvent ces principes, que ce soit consciemment ou pas.
Bien choisir sa cible
Voici 5 critères de sélection utilisés pour évaluer et prioriser les cibles potentielles. Ces critères viennent des militaires, mais sont transposables dans les luttes non-violentes ou n’importe quelle campagne de perturbation ou de confrontation, qu’il s’agisse de sabotage ou de sit-ins de masse.
Accessibilité : Est-ce que la cible est facile d’accès ? Les cibles accessibles peuvent être atteintes avec le moins de problème et de désordre possible.
Vulnérabilité : Est-ce que la cible est facile à déranger, à bloquer, à détruire ?
Réparabilité : Combien de temps nécessaire avant que ceux aux pouvoir puissent refaire fonctionner la cible normalement ? Une vitrine de magasin est facilement réparable, alors qu’un équipement très cher, rare, spécialisé prendra beaucoup de temps.
Criticité : À quel point la cible est-elle importante pour le système de pouvoir ? Les cibles très critiques vont causer d’importantes perturbations ou confusion, comme par exemple une centrale électrique ou une autoroute.
Menace : Dans quelle mesure la cible constitue une menace ou un dommage à notre camp ?
Une erreur courante des mouvements inexpérimentés est de s’attaquer à des cibles accessibles et réparables qui ne sont pas très importantes (comme casser la vitrine d’un magasin). Cela peut faire beaucoup de bruit sans provoquer de perturbation conséquente. Cependant, selon l’objectif de l’action, l’importance d’une cible peut être aussi bien symbolique que matérielle. Par exemple imaginons que vous essayez de fermer une série de décharges toxiques. Si vous voulez en bloquer une, vous allez peut-être en bloquer une qui est déjà très célèbre, plutôt que simplement la plus grande, parce que l’attention que vous allez recevoir peut vous aider à mobiliser plus de personnes et de ressources et continuer votre campagne.
Un autre critère qui peut être important pour un mouvement de résistance est que la cible soit visible. Cela augmente les chances que l’action en inspire d’autres ou serve de propagande par le fait.
Planifier une action
Alors de quoi avons-nous besoin pour planifier efficacement une action? Voici quelques questions à se poser, valables pour des actions de perturbations ou autres.
Quel est notre objectif opérationnel ?
Les bonnes tactiques découlent des bonnes stratégies. Choisissez un objectif qui soit décisif, de mise en forme, ou de soutien. Puis faites un brainstorm de toutes les tactiques et cibles potentielles pour atteindre cet objectif.
Quelle notre cible et notre tactique ?
Dans la liste de cibles potentielles, évaluez-les suivant les critères d’accessibilité, vulnérabilité, criticité, etc. Soyez clair·es sur la façon dont l’action va aider à accomplir l’objectif opérationnel. En choisissant la tactique, demandez vous : Est-ce que ça va nous aider à avancer dans la campagne ? Avons-nous considéré toutes les parties pertinentes de la Taxonomie de l’Action ? Ces tactiques vont-elles développer nos capacités d’action ?
Qui sera impliqué ? Et comment les décisions seront prises ?
Qui va aider à planifier l’action ? Qui devrait être consulté ? Et qui va l’exécuter ? Les réponses dépendent de votre organisation, de son niveau d’ouverture, du niveau de risque, et des compétences et ressources nécessaires. La planification et la consultation peuvent être de belles opportunités de se connecter avec des allié·es et d’élargir le spectre de la résistance. Ceci dit il est bon de rester prudent au moment d’inviter des personnes pour planifier car inviter trop de monde ou les mauvaises personnes peut ralentir les choses et créer des conflits inutiles. Quand vous savez qui est impliqué, organisez-vous si nécessaire en sous-groupes ou rôles pour la logistique, la planification, l’entraînement, etc. Si vous invitez un grand nombre de participant·es, vous devez clarifier comment sont prises les décisions et les règles de base pour l’opération. Dans l’idéal ceci doit être réalisé au maximum avant que d’autres personnes arrivent, pour éviter les conflits et avancer correctement.
À quels différents scenarios devons-nous nous attendre ?
Vous avez besoin d’un plan détaillé, et d’anticiper au maximum différents scénarios et plans d’urgence. Comment se déroulera l’action étape après étape sur le terrain ? Où seront placées les différentes personnes ? Combien de personnes assignées à chaque tâche ? Y a-t-il une structure de commande particulière sur le terrain ? Comment les personnes communiqueront-elles ? Qui est responsable de donner le signal de feu vert ou d’abandon ? Combien de temps durent chaque élément de l’action ? Faites au plus simple.
Quel est notre plan d’évacuation ?
Il peut s’agir d’une simple dispersion rapide en petits groupes, ou il peut impliquer des couvertures, des véhicules, des changements de vêtements, d’équipement, l’utilisation de cachettes. En général, ayez une idée de quand et comment l’action va finir, par exemple en faisant en sorte que l’action ne traîne pas inutilement sans conclusion, ou que les personnes se dispersent pour ne pas se faire arrêter.
De quelles compétences et entraînements avons-nous besoin ?
Est-ce que toutes les personnes impliquées ont les compétences nécessaires ? Comment pouvons-nous utiliser cette action pour développer les compétences requises d’une culture de résistance ? Quel entraînement est nécessaire pour que cette action soit un succès ? C’est souvent important de mettre en scène des répétitions de l’action en amont, de la façon la plus réaliste possible. Des problèmes importants peuvent être identifiés pour empêcher de les voir surgir au moment de la véritable action. Ces répétitions lient les membres d’une équipe et donnent une estimation du temps nécessaire. Essayez de simuler le stress pour le prendre en compte.
Quel sera la date et le moment de l’action ?
Il n’y a peut-être qu’une seule date pour mener l’action, ou au contraire plusieurs possibles. C’est bien d’avoir des dates de secours au cas où quelque chose de mauvais se produit avant le début de l’action. Quand la date est fixée, essayez de faire un rétro-planning détaillé du travail à accomplir pour être prêt·es dans les temps.
Quels sont les risques en terme de sécurité ?
Est-ce que l’action comporte des dangers ? Comment les réduire ou leur faire face ? Est-ce qu’il y a un risque de blessure qui nécessite un medic dans l’équipe ? De quelles mesures contre la répression avons-nous besoin ? Est-ce que les personnes auront besoin d’une aide juridique ou d’une aide en prison ? Est-ce que quelqu’un a la possibilité d’annuler l’action à la dernière minute si elle apparaît trop dangereuse ou que la situation change de façon imprévue ?
Quelle couverture médiatique voulons-nous ?
Est-ce que nous voulons faire la promotion de l’action en avance ou bien c’est une surprise ? Voulons-nous une couverture médiatique ? Sous quel angle et par quel médium ?
Y a-t-il des potentiels effets secondaire ou représailles ?
Comment l’action peut affecter les spectateur·trices ? Est-ce qu’elle peut faire s’abattre la police ou la justice sur nos allié·es ? Devons-nous ajuster l’action, avertir les allié·es ou autre pour minimiser les effets secondaires ?
De quel équipement avons-nous besoin ?
Assurez-vous que tout l’équipement adéquate est prêt à l’emploi. Assurez-vous que tout le monde sait comment utiliser l’équipement nécessaire à l’opération. Préparez des éléments de rechange pour les outils critiques. Les groupes clandestins peuvent avoir besoin d’un équipement anonymisé et d’un plan pour s’en débarrasser.
Avons-nous une checklist pour le jour de l’action ?
Une checklist pour les heures précédents l’action est très précieuse. Elle résume qui est responsable de quoi, l’équipement nécessaire, les horaires et autres informations clés. Les dernières tâches peuvent inclure quelques mots de motivation ou d’encouragement mutuels avant l’action.
Après l’action : debrief et analyse.
Assurez-vous que toutes les personnes impliquées vont bien physiquement et psychologiquement. Assurez-vous que tout s’est passé comme prévu, ou comprenez ce qui s’est mal passé. Identifiez ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré. Réfléchissez à l’action juste après l’avoir exécutée, puis plus tard avec plus de recul. Est-ce que l’action a atteint son objectif ? Est-ce qu’il y a eu répression ou d’autres perturbations ? Comment les organisateur·trices y ont fait face ? Intégrez les leçons aux futures planifications, tactiques et organisation.
Pour gagner, nous devons construire des mouvements et des organisations qui nous rendent fort·es, qui nous permettent de dépasser les demi-mesures éparpillées et nous engager dans une réelle action collective. Convertir les actions isolées en une sérieuse stratégie de résistance est une des tâches les plus importantes — et les plus difficiles — de tout mouvement. Évidemment, juste avoir l’idée d’une stratégie n’est pas suffisant pour la mettre en place. Les stratégies qui réussissent requièrent toutes les capacités dont nous avons discuté dans cet ouvrage (des organisations fortes de différentes échelles, la capacité de recruter, de se protéger, et la logistique pour soutenir la lutte). Assembler tous les éléments nécessaires pour mettre en place une stratégie victorieuse est peut-être le plus grand défi de n’importe quel mouvement de résistance. C’est le sujet que nous allons aborder dans le dernier chapitre.
Chapitre 12. Campagnes & Stratégie
« Un bon plan aujourd’hui vaut mieux qu’un plan parfait demain » – George Patton « La stratégie sans tactique est le chemin le plus lent vers la victoire. Les tactiques sans stratégie est le bruit avant la défaite » — Sun Tzu
Les mouvements de résistance ont des objectifs, leur stratégie est la manière dont ils atteignent ces objectifs. La stratégie est la façon dont sont assemblées des séries d’actions pour développer la capacité d’exercer un changement. Les résistant·es stratèges utilisent avec intelligence leurs ressources limitées pour atteindre leur but. Ils et elles ajustent en permanence leur approche en fonction des circonstances et de l’opposition. Certains mouvements de résistance ont des objectifs ambitieux qui prennent une génération ou plus pour être accomplis (la fin de l’apartheid, de l’esclavage, la journée de 8h de travail, etc).
Les organisateur·trices se rapprochent peu à peu de leur objectif par une série de courtes campagnes avec des objectifs plus petits. Ces campagnes aident à faire grandir le mouvement, elles développent la confiance des membres et les capacités d’escalader vers des objectifs de plus en plus grands. Diviser les stratégies à long terme en campagnes plus courtes permet aussi de trouver des allié·es le temps d’une campagne, d’évaluer les succès et les échecs et d’améliorer les connaissances stratégiques.
Dans Full Spectrum Resistance, McBay étudie certains conflits passés au regard de la stratégie et tactique développées. Il se penche par exemple sur la Rébellion du Nord-Ouest au Canada, sur la campagne contre les laboratoires d’expérimentation animales d’Huntingdon, le Front de Libération des Animaux, la lutte écologiste contre la décharge du Site 41 au Canada, les mouvements de Tempérance aux États-Unis, les Rébellions chinoises du 19e siècle, ou encore la lutte syndicale des United Farm Workers en Californie. Tous ces exemples apportent des éléments intéressants à ce qui peut constituer une culture de résistance, mais je n’ai pas le temps d’en parler dans ce podcast, je vous conseille donc vraiment la lecture du livre complet.
Ce chapitre va parler de la stratégie pour des campagnes de plusieurs mois ou années. Il n’y a malheureusement pas de plan tout tracé, universel, qui revient pour chaque mouvement. Tout dépend du contexte. Ceci dit il y a des schémas qui reviennent, de succès et d’échec. Peu importe la stratégie que vous utilisez en particulier, les mouvements efficaces ont quelques éléments en commun. Ils ont besoin de procédures de conception et d’évaluation de la stratégie. Ils ont aussi besoin d’organisations qui permettent de développer leur stratégie, de faire des alliances, et une trajectoire de stratégie d’escalade.
Anatomie d’une campagne
Les mouvements efficaces mettent en scène tous les éléments abordés dans les chapitres précédents. De nombreux éléments ont leur propre cycle qui se répète : le cycle du renseignement, le cycle de la logistique, le cycle tactique de la planification, exécution et évaluation d’une action. Ces cycles mis tous ensemble, s’enroulent un peu comme une spirale avec le temps, un peu comme une solide corde :
Au cœur de la corde il y a l’action, car l’action est ce qui distingue un groupe résistant d’un ensemble de dissident·es. Autour de ce cœur s’enroulent toutes les capacités qui protègent, renforcent et soutiennent une campagne. L’action directe est une partie essentielle de la résistance , mais les actions directes seules accomplissent rarement quoi que ce soit sans l’appui des personnes qui s’occupent des communications, renseignements, recrutements et tout le reste. Ces capacités sont des multiplicateurs de force, ils contribuent de fait directement à l’action. La stratégie globale et l’organisation d’une campagne déterminent la façon dont ces différents éléments indispensables s’enroulent ensemble.
McBay utilise une autre image, celle du tonneau, pour décrire la loi du minimum :
Chaque douelle qui forme la paroi du tonneau représente une capacité de résistance (Recrutement, Communications, Logistique, etc). Si une capacité est réduite, la capacité totale est d’autant réduite. Vous pouvez avoir les évènements les mieux organisés du monde, vous n’allez rien accomplir si vous n’avez pas la communication nécessaire pour entrer en contact avec les personnes qui vont y assister. Ou encore si vous avez les activistes les plus militant·es et engagé·es qu’on puisse imaginer, mais pas les sécurité et les renseignements nécessaires pour les protéger… Bien sûr chaque campagne et stratégie requiert ces capacités en différentes quantités, mais dans tous les cas une faiblesse majeure sera exploitée par ceux au pouvoir.
Trajectoires stratégiques
En son cœur, chaque stratégie contient une trajectoire, une chemin qui nous emmène de notre situation actuelle jusqu’à l’objectif que nous voulons atteindre. Chaque mouvement qui réussit suit une telle trajectoire, que ce soit planifié ou pas. D’ailleurs la trajectoire empruntée est rarement celle qui a été planifiée. La stratégie est un procédé itératif : on essaye, on regarde ce qui fonctionne ou pas, et on s’adapte. Le problème est que le camp d’en face apprend lui aussi, et il a souvent une meilleure expertise que nous de la répression des mouvements de résistance. Les mouvements jeunes font forcément des erreurs au début et mettent du temps à apprendre.
Pour l’expert en contre-insurrection britannique Franz Kitson, les mouvements passent par trois phases :
La phase préparatoire
La phase non-violente
La phase violente/insurrectionnelle
Les dirigeants surveillent et infiltrent les mouvements pendant la phase préparatoire, pendant que le mouvement prend conscience de lui-même, car c’est là qu’il est le plus vulnérable pour la collecte de renseignements. Dans la seconde phase, les mouvements épuisent les méthodes conventionnelles de manifestation et ont la possibilité d’impliquer un grand nombre de personnes. Quand ces méthodes échouent, les résistant·es se sentent « légitimes » à escalader vers des actions plus sérieuses, et dans l’idéal le soutien et l’organisation nécessaires à l’escalade sont disponibles. Les 3 phases de Kitson ne sont pas universelles, elles ne s’appliquent pas dans toutes les situations, mais l’élément clé à retenir est l’idée d’escalade. L’escalade est rarement linéaire ou continue, mais nécessaire.
Pour le leader communiste Mao Zedong ; la lutte révolutionnaire passe par 3 phases :
La phase défensive de survie et d’organisation : les révolutionnaires forment des groupes, recrutent et entraînent de nouveaux cadres, font de la propagande et se préparent à escalader
La phase d’équilibre stratégique et de guérilla : les révolutionnaires pratiquent le sabotage et harcèlent les armées d’occupation, tout en sécurisant leurs propres organisations et en construisant des institutions parallèles.
La phase d’offensive stratégique : les révolutionnaires passent aux formations militaires conventionnelles pour défaire de façon décisive les forces ennemies affaiblies.
Le succès historique de cette approche réside dans sa flexibilité, si les révolutionnaires font face à la répression ou à des pertes, ils et elles peuvent toujours revenir à la phase précédentes en maintenant leur réseau de survie. Un concept intéressant dans ce modèle est l’importance de l’empilement des capacités, plutôt que de juste changer de stratégie. Les activités principales ou visibles des groupes peuvent évoluer, mais la construction des capacités organisationnelles de base ne disparaît jamais.
Les militant·es radicaux s’intéressent rarement à ces trajectoires, et veulent la transformation politique totale et instantanée. Ça nous arrive souvent de réfléchir ainsi, un peu en attendant le grand soir, mais dans la réalité historique, les mouvements qui réussissent suivent des trajectoires d’escalade qui prennent du temps. Les théories révolutionnaires qui priorisent le conflit armée aux dépens de la construction de soutien et des capacités ont un pauvre bilan historique. Construire une solide culture de résistance est presque toujours plus important que la force armée. On apprend de chaque campagne et on grandit ainsi. Parfois cet apprentissage et l’escalade stratégique s’étend sur des mois ou des années, et dans certains cas sur des décennies ou des siècles. Et même s’ils échouent à atteindre leur objectif, les efforts de résistance ne sont jamais vains, les vétérans d’une lutte peuvent garder vivante une culture de résistance jusqu’à ce que les « conditions matérielles » soient plus favorables, ou que de meilleures stratégies soient imaginées.
Pour l’anarchiste Michael Albert, n’importe quel mouvement qui a escaladé et semble avoir atteint un plateau, peu importe la hauteur du plateau, n’a plus de trajectoire pour aller en avant et devient alors gouvernable. On peut imaginer une trajectoire stratégique en terme de nœuds de pouvoir. Chaque champ de bataille a des nœuds où le pouvoir est concentré. S’ils sont capturés ou influencés, le mouvement est renforcé et l’ennemi est affaibli. Ces nœuds peuvent être sociaux et politiques, que ce soit des groupes de voisinages, des partis, des syndicats. Pour le stratège Marshall Ganz, la stratégie c’est comment on change ce qu’on a en ce qu’on veut, c’est transformer ses ressources en possibilité d’atteindre l’objectif.
Une des plus grandes faiblesses des groupes radicaux est qu’ils sont souvent peu disposés à faire ce travail d’influence et de dialogue. Dans une culture de défaite, les radicaux sont souvent répugnés à l’idée d’interagir avec des gens différents. Parfois par mépris de classe, ou mépris intellectuel. Mais les mouvements victorieux n’ont pas ce luxe s’ils veulent de réels changements révolutionnaires. Les gens ont probablement des défauts qu’il faut accepter plutôt que d’essayer de les corriger et d’avoir de parfaits petits spécimens avant de commencer à interagir avec eux. Ce qui nous emmène à la questions des alliances.
Alliances et coalitions
Nous avons vu que certaines parties d’un mouvement peuvent être complémentaires même si elles ne travaillent pas formellement ensemble. Mais parfois des alliances et coalitions plus claires peuvent être faites. Les coalitions, même temporaires, ont de nombreux bénéfices. Elles renforcent les mouvements en liant les différents groupes et leurs membres. Elles permettent aux groupes de partager des informations et des ressources, et elles peuvent en partie aider à radicaliser les participant·es.
Les coalitions aident les mouvements à éviter la répression du « diviser pour mieux régner ». Les coalitions peuvent être « faibles », plutôt informelle, ce qui est parfois une chance de leur succès car cela évite les bagarres sur les identités, idéologies et objectifs. Qu’est-ce qui rend une coalition utile et victorieuse ? Voici quelques facteurs.
Idéologie et objectifs en commun
Pour réussir, les coalitions doivent partager un objectif, et les membres doivent avoir suffisamment d’idées en commun pour se sentir appartenir au même camp. Les groupes doivent donc identifier un problème commun pour lutter ensemble. Une culture en commun aide à faire coalition, mais cette culture est parfois développée justement grâce à la coopération et l’action commune. Dans tous les cas, la diversité renforcent les coalitions et elles doivent avoir des méthodes de prises de décisions efficaces et de résolution de conflit pour permettre aux différents point de vue de créer un plan d’action partagé.
Liens sociaux préexistants
Comme pour les groupes, les personnes rejoindront plus facilement une alliance si des relations sociales préexistent. Les coalitions fonctionneront mieux si les personnes se connaissent au préalable et ont déjà appris à se faire confiance. Certaines personnes peuvent aussi jouer le rôle de créateur de passerelles, en étant familière avec deux groupes différents. Elles jouent un rôle critique pour aider les différentes organisations à surmonter les divisions de classe qui peuvent rendre la coopération difficile.
Crises et objectifs tangibles
Une urgence — et idéalement un ennemi commun — est très importante pour former des alliances et coalitions. Les crises externes peuvent agir comme des catalyseurs, rendant l’activisme coopératif à la fois plus nécessaire et plus faisable. Attention, les crises seules ne créent pas de coalitions, mais elles restent des terrains fertiles pour mobiliser les activistes, encore plus si l’organisation a commencé avant la crise.
Opportunité politique
Les coalitions peuvent aussi se former parce qu’elles ont déceler une opportunité commune, comme une faiblesse chez ceux au pouvoir. Dans certaines situations, comme des guerres ou l’instabilité économique, certains changements politiques peuvent devenir possible.
Ressources abondantes
Les coalitions sont plus susceptibles d’être victorieuses quand elles ont suffisamment de ressources, quand elles ne sont pas en compétition les unes contre les autres, notamment au sujet du financement.
Les coalitions ne sont pas toujours attirante, car des facteurs importants, ou la confiance, le respect ne sont pas présents. Mais parfois l’obstacle est une question d’identité, d’identité militante ou radicale. Quand l’identité prend le dessus sur la stratégie à long-terme. Quand certains groupes font déjà des hypothèses sur les meilleures façons de s’organiser avant même d’avoir décider de l’objectif à suivre, cela laisse peu de place à la coopération entre différentes formes d’organisation. Pourtant les coalitions peuvent permettre quelque chose de précieux pour un mouvement : d’augmenter sa capacité stratégique.
Capacité stratégique
On étudie trop souvent ce que les leaders d’un mouvement font, et comment la stratégie fonctionne, plutôt que d’expliquer pourquoi les leaders de certaines organisations imaginent des stratégies plus efficaces que les autres. Les récits populaires d’insurrection victorieuses attribuent les stratégies efficaces seulement à des leaders doués et oublient de mentionner les conditions dans lesquelles de bonnes stratégies émergent. Certains groupes sont intrinsèquement meilleurs pour créer de bonnes stratégies.
Marshall Ganz, qui a participé à l’organisation de United Farm Workers, a identifié un nombre de facteurs clés qui donnent au groupe une capacité stratégique.
Forte motivation
La motivation influence l’imagination du groupe car elle affecte la possibilité de se concentrer, d’avoir de l’énergie pendant des périodes prolongées, l’obstination, la détermination à prendre des risques. Les personnes motivées cherchent de nouvelles directions, apprennent de nouvelles compétences et informations, ne se contentent pas de la routine. Cette motivation augmente quand les personnes ont de l’autonomie et qu’elles reçoivent des retours positifs des autres.
Connaissances manifestes
Elles incluent les compétences et les informations. Il faut savoir comment planifier une action directe avant de pouvoir véritablement être flexible et créatif dans la façon d’utiliser l’action directe. Les connaissances manifestes comprennent de bons renseignements sur les régions, les opposants, et sur les tiers avec qui interagir. On en revient à la culture de résistance, la mémoire des tactiques qui ont fonctionné ou pas, nécessaire pour une approche innovante ici et maintenant.
Processus heuristique
C’est-à-dire l’utilisation des informations disponibles dans de nouvelles façons créatives.
Leadership diversifié
La caractéristique la plus importante de bonnes équipes de leadership, de direction, c’est la diversité. Des équipes composées de personnes aux points de vue hétérogènes sont plus à même de prendre de bonnes décisions que des équipes homogènes. C’est particulièrement valable pour résoudre de nouveaux problèmes car elles peuvent avoir accès à plus de ressources, une plus grande variété de compétences et de visions. Les équipes avec une bonne capacité stratégique sont en général formées de personnes qui viennent de milieux différents avec des expériences différentes.
Bonne organisation
Pour Ganz il est important d’avoir un bon processus de délibération qui inclue des réunions régulières et des sessions de stratégies ouvertes à une diversité de points de vue. Être sûr·es que chacun·e a un chance de parler est la clé. Les réflexions collective et les délibérations suscitent la créativité, encouragent l’innovation. Quand le groupe choisit une approche autoritaire, et que les personnes ont peur de s’exprimer, les points de vue différents ne peuvent pas être intégrés dans la stratégie.
Nous nous battons pour gagner mais on apprend souvent plus de ses échecs que de ses succès. Même une perte peut être un bon enseignement pour un groupe qui veut réellement développer sa capacité stratégique. Nous pouvons gagner à condition d’avoir la stratégie pour employer nos ressources limitées efficacement. Un facteur fondamental qui détermine la réussite d’un mouvement est sa capacité à apprendre et s’adapter plus vite que ceux qui sont au pouvoir.
Eisenhower disait : pendant la guerre, les plans sont inutiles, mais la planification est essentielle. C’est ce qui nous permet d’explorer les imprévus futurs et de s’y préparer. Tout bon stratège réfléchit plusieurs coups à l’avance. L’agilité est ce qui permet de s’adapter mieux que l’adversaire aux changement rapides, une capacité supérieure à accepter le chaos. Avoir un objectif à long terme est important mais être malin·e, rapide et tenace est plus utile qu’un plan rigide.
Planifier des stratégies
Dans le livre Self-Liberation, Gene Sharp et Jamila Raqib nous avertissent : on ne peut pas obtenir des connaissances stratégiques avancées, ou développer des analyses stratégiques, uniquement grâce à quelques conférences ou ateliers, car elles sont trop complexes. Trois types de connaissances sont nécessaires :
Les renseignements stratégiques sur la situation du conflit
Une connaissance approfondie des tactiques, des compétences
La capacité d’analyser, de penser et planifier de façon stratégique
Faire une équipe avec des personnes qui ont tel ou tel type de savoir est insuffisant, il faut aussi pouvoir synthétiser ces trois types de connaissances pour faire émerger une grande stratégie intelligente. C’est pourquoi les personnes qui ébauchent des stratégies doivent être considérées avec attention, elles doivent avoir prouvé leur capacité à penser et planifier de manière stratégique. Des personnes inconnues qui n’ont pas de connaissances essentielles sur le pays ou la société, qui sont pauvrement informées, dogmatiques ou égotiques, peuvent produire des désastres dans la planification d’une lutte.
N’importe quelle stratégie de campagne tournée vers la réalisation son objectif doit répondre à ces 4 questions :
Objectifs. Quels sont nos objectifs principaux ?
Stratégies. Quelles stratégies, quelles campagnes ou opérations intermédiaires sont nécessaires pour atteindre ces objectifs ?
Tactiques. Quelles tactiques pouvons-nous employer pour avancer dans ces stratégies ?
Capacités. Quelles capacités et alliances devons-nous cultiver pour réussir ?
Outils pratiques pour la stratégie
Par quoi commencer pour imaginer une stratégie ? Il faut d’abord se rappeler que la stratégie est un processus itératif. N’attendez pas d’avoir la stratégie parfaite avant de commencer. Vous essayez avec les ressources et les personnes dont vous disposez, vous voyez si ça fonctionne, vous réévaluez, et vous réessayez. Il vaut mieux identifier les objectifs intermédiaires qui permettent d’avancer la stratégie dans le court et moyen terme, tout en renforçant le mouvement et les capacités qui seront utiles à long terme.
Méfiez-vous des idéologies et des écoles de pensée politique qui donnent des plans stratégiques orthodoxe clé en mains. Il n’y a pas de formule universelle et parfaite pour la réussite, une stratégie efficace passera toujours par une adaptation et une résolution de problèmes. Le mieux est certainement de disposer d’outils à utiliser de façon créative dans votre propre situation particulière. Cette approche non dogmatique constitue un peu le fil rouge de l’ouvrage Full Spectrum Resistance. Pour terminer ce chapitre, voici quelques outils pratiques pour imaginer et améliorer la stratégie.
Avancez avec ce que vous avez
Que pouvez-vous accomplir avec les personnes et les ressources que vous avez déjà? Quelle étape concrète pouvez-vous atteindre maintenant ?
Imaginez le résultat
Clarifier votre objectif peut beaucoup vous aider. Les indécisions et les conflits apparaissent souvent quand il n’y a pas d’image assez claire de l’objectif à atteindre. En remontant en arrière à partir du résultat, quelles étapes intermédiaires pouvez-vous développer ?
Maximisez votre capacité stratégique
Nous avons vu plus tôt différents moyens d’augmenter cette capacité. Développez ces capacités au sein de votre groupe. Préservez des moments réguliers pour parler spécifiquement de stratégie entre camarades. Permettez à des personnes très motivées aux opinions différentes d’atteindre un objectif commun.
Utilisez et développez votre capacité de renseignements
Les discussions stratégiques sont plus pointues avec de bons renseignements. Des informations bien conditionnées (listes de cibles, avertissement, analyses du spectre politique etc) améliorent votre développement stratégique.
Analysez les points forts et points faibles
Posez-vous les questions suivantes : Quelles sont les forces et les faiblesses du groupe ? Quelles sont nos opportunités ? À quelles menaces devons-nous faire face ?
Brainstorm de tactiques et opérations
Faites une liste des différentes campagnes et actions que vous pourriez mener. Puis commencez à les évaluer. Quelles tactiques pourraient être accomplies ? Lesquelles requièrent plus d’entraînement, de personnes et de ressources que vous avez actuellement ? Lesquelles sont excitantes et essentielles et pourraient former le cœur d’une campagne ? Lesquelles devraient être laissées de côté pour le moment ? Vous pouvez écrire vos idées favorites sur des petites cartes, et puis les réorganiser pour construire une campagne vraisemblable qui escalade.
Apprenez votre histoire et les évènements actuels
Pas besoin de connaître tous les aspects d’une lutte historique pour réfléchir à la stratégie. Mais vous devez vous intéresser au passé pour comprendre et innover.
Créez et jouez des scénarios
Divisez un groupe en deux camps. Le premier va simuler la résistance qui essaye d’implémenter sa stratégie, et l’autre camp va tout faire pour l’empêcher et l’arrêter. Essayez plusieurs scénarios avec plusieurs imprévus. Que se passe-t-il dans ce cas ou dans cet autre cas ?
Questions pratiques
Les stratégies et visions de haut niveau sont merveilleuses mais le succès d’un mouvement en revient souvent aux basiques questions de capacité. Qui sont vos allié·es et comment vous vous organisez? Vos réseaux de communication?Avez-vous les capacité de support de votre campagne ? Pouvez-vous faire une liste de vos besoins pratiques et un calendrier sommaire pour votre campagne ?
Considérez l’inquantifiable
Ce livre insiste terriblement sur les éléments concrets de la stratégie. Mais dans un mouvement de résistance, tout ne peut pas rentrer dans des listes ou inscrit sur des cartes. Certains mouvements ont aussi trouvé la victoire grâce au courage spirituel, au zèle révolutionnaire, ou la capacité d’inspirer des efforts et des engagements extraordinaires.
Épilogue
Voilà la fin du 4e et dernier article/podcast consacrés à Full Spectrum Resistance d’Aric Mc Bay. Cet ouvrage essaye de répondre à une question : Qu’est-ce qui rend les mouvements de résistance efficaces ? Il présente des leçons précieuses des mouvements du passé et du présent. Pour le podcast c’est encore plus valable que pour le livre, nous avons seulement gratté la surface. L’histoire de la résistance est vaste, profonde, et incroyablement riche. Heureusement il y a d’autres livres, et d’autres auteur·trices.
Comme l’a dit Peter Dundas « Nous n’aurons jamais une révolution quand tout le monde aura lu les bons livres ». Les livres nous apprennent beaucoup de choses, mais l’action encore plus. C’est une période décisive, le capitalisme, la civilisation industrielle accélèrent chaque jour la catastrophe écologique et mondiale. Le besoin d’une résistance courageuse ne fait que grandir face à des situations de plus en plus extrêmes. Ce système mortifère ne fait pas que détruire sa propre base sociale, il dévore sa base physique, la planète. La Révolution n’est pas un choix entre le capitalisme ou le socialisme. C’est un choix entre le renversement violent de l’ordre existant ou bien notre extermination par cet ordre existant, par cette machine. Un point est clair : soit nous nous battons, soit nous mourrons.
Apprendre à nous battre est la tâche qui nous attend. Parce que les changements révolutionnaires proviennent de la conscience des gens et de leur pratique. Les gens doivent apprendre à se défendre, à se battre, avant d’apprendre à gagner. Nous devons construire des mouvements qui commencent par des petites victoires pour dépasser l’inertie collective et la culture de défaite.
Pour récapituler : Nous savons que les mouvements militants fonctionnent, et que l’aile militante rend les grands mouvements modérés plus efficaces, grâce notamment à la fenêtre d’Overton. Nous savons aussi que des groupes de résistance de types très différentes peuvent former des mouvements complémentaires. Que les approches modérées et militantes peuvent se renforcer l’une l’autre pour créer des changements impossibles autrement, qu’elles peuvent combiner sensibilisation et action directe. La diversité rend les mouvements forts.
Nous savons cela, mais Aric Mc Bay termine son ouvrage avec un discours très fort de Martin Luther King prononcé quelques mois avant son assassinat :
« En fin de compte vous devez faire le bien, car c’est bien de faire le bien… Vous devez le faire parce que ça vous a empoigné si fort que vous êtes prêt·e à mourir si nécessaire. Et je vous dis ce matin, que si vous n’avez jamais trouvé une chose assez chère et assez précieuse à vos yeux au point de mourir pour elle, et bien vous n’êtes pas capable de vivre. Vous avez peut-être 38 ans comme c’était mon cas, et un jour une grande opportunité se présente à vous et vous invite à vous battre pour un grand principe, pour un grand problème, pour une grande cause — et vous refusez de le faire parce que vous avez peur ; vous refusez de le faire parce que vous voulez vivre plus longtemps ; vous avez peur de perdre votre emploi, ou vous avez peur d’être critiqué·e, ou que vous perdrez votre popularité ou vous avez peur que quelqu’un vous poignarde ou vous tire dessus ou attaque votre maison, et donc vous refuser de prendre position. Eh bien vous pouvez continuer et vivre jusqu’à 90 ans, mais vous êtes autant mort·e à 38 ans que vous auriez été à 90 ! Et le moment de votre vie où vous arrêtez de respirer n’est rien d’autre que l’annonce en retard de la mort votre esprit. Vous êtes mort·e quand vous aviez refusez de vous battre pour le bien, vous êtes mort·e quand vous aviez refusé de vous battre pour la vérité, vous êtes mort·es quand vous aviez refusé de vous battre pour la justice. »
Au-delà des podcasts et articles floraisons, je conseille vivement la lecture de cet ouvrage en entier, et d’ailleurs je vous avais parlé d’une future traduction en français, eh bien c’est plus que jamais d’actualité puisqu’avec floraisons et les Éditions libre, nous lançons une campagne de financement participatif pour rendre possible la traduction et l’édition des deux livres. Retrouver la campagne Ulule ici. Parlez-en autour de vous, pré-commandez les livres si vous êtes intéressé·es, pour aider à produire et diffuser ce merveilleux manuel de résistance.
S’il y a aujourd’hui un dernier espoir de permettre un futur qui vaut la peine de vivre, alors nous devons dédier nos vies à cette lutte. Nous devons nous consacrer à cette tâche immense d’un million de façons différentes. C’est quelque chose que je suis prêt à faire. J’espère que toi aussi chère lectrice, cher auditeur, tu feras ce choix. Peut-être que tu l’as déjà fait. Peut-être serons-nous camarades. Peut-être que je te verrai sur le front. Peu importe ta lutte, battons-nous ensemble pour un futur qui en vaut la peine.
Merci à toutes et à tous pour votre écoute. Ni dieu, ni maitre, ni mari. Vive la Liberté et vive l’Anarchie.
Pour pré-commander et rendre possible la traduction des livres en français :
Sans communication, pas de résistance possible. Dans le camp de la résistance, la communication permet aux personnes dissidentes isolées de se réunir, de réfléchir aux stratégies et planifier des actions. Elle permet à un groupe résistant de sortir de son isolement, de recruter, de collecter des fonds et de faire partie d’un plus large mouvement qui prend ses racines dans la société. Dans le camp d’en face, les gouvernements contrôlent le récit du réel et de l’imaginaire collectif grâce aux grands médias marchands et aux chaînes officielles. Ils peuvent diffamer et décourager les personnes qui résistent, les opposer entre elles, ou simplement effacer la mémoire des luttes. Ce n’est pas surprenant si la communication est un enjeu crucial pour la résistance.
Exceptionnellement, cela se fait de façon spectaculaire comme en Grèce en 2008. Des activistes prennent d’assaut une chaîne de télévision, interrompent le discours du Premier Ministre pour faire un appel à l’insurrection en direct. Mais la communication plus discrète n’est pas moins importante, pas besoin d’être spectaculaire : c’est répondre à des interviews, créer des sites internet, diffuser des tracts.
Selon la féministe Jo Freeman, ce n’est pas parce que les masses sont en colère qu’elles forment spontanément un mouvement. Pour profiter d’une crise et catalyser la colère à ce moment-là, un mouvement qui veut gagner doit s’organiser, donc préparer son réseau de communication en amont. Les groupes autonomes peuvent communiquer entre eux de façon informelle grâce à une multitude de petits journaux, newsletter, voyageurs. Voici quelques questions auxquelles nous allons essayer de répondre :
Comment les mouvements communiquent-ils pour atteindre de nouveaux sympathisant·es ?
Comment faire face au pouvoir et aux contradictions des grands médias ?
Comment communiquer en interne pour construire une culture commune et organiser des actions ?
Comment communiquer en sécurité dans un contexte de surveillance généralisée ?
RÉSISTANCE ET MÉDIAS DE MASSE
Qui a dit « Il n’y a aujourd’hui plus rien à cette étape de l’histoire américaine, qui ressemble à une presse indépendante. Aucun d’entre vous n’ose écrire une honnête opinion, elle ne serait pas imprimer » ? John Swinton. Qui était-il ? Un grand journaliste et éditeur en chef admiré du New York Times. Quand l’a-t-il dit ? En 1880. Dès lors, les entreprises n’ont fait qu’augmenter leur pouvoir.
Le fonctionnement de l’industrie médiatique ne cherche pas à diffuser la vérité, mais à attirer l’attention et vendre de la publicité. C’est facile à observer et très bien décrit dans La fabrique du consentement de Chomsky et Herman. Bien sûr, l’ensemble des médias marchands n’est pas monolithique, ils n’ont pas forcément les mêmes intérêts et certain·es journalistes sont intéressé·es par la contestation. Mais en tant que système, les médias de masse sont contre les radicaux et révolutionnaires. Voilà pourquoi beaucoup de radicaux sont devenus opposés aux médias au point même de ne pas s’y engager du tout. Bien sûr, il y a de bonnes raisons d’être en colère quand on voit les mensonges et l’ignorance répandues par les médias. Parfois certains activistes sont tellement hostiles qu’ils agressent les journalistes, empêchent de faire des images etc. Aucun individu ou groupe ne devrait être forcé de parler avec les grands journaux s’il n’a pas envie, mais pour les mouvements à visage découvert, rester dans l’ombre est fatal. Comme les suffragettes l’avaient compris, faire parler de soi peut faire monter l’hostilité, mais l’hostilité est plus utile que l’indifférence. Nous n’avons pas besoin de nous faire aimer par le gouvernement, ni par la majorité de la population. Mais pas de victoire possible s’ils n’entendent jamais parler de nous.
Les médias de masse jouent un rôle essentiel dans le succès de nombreux mouvements de résistance, mais attention ils ne doivent pas devenir un indicateur du succès d’un mouvement. Pour réussir, nous devons comprendre comment ces grands médias fonctionnent, leurs pièges, leur capacité à nuire au mouvement, et à quel moments ils est plus opportun de les utiliser à notre avantage ou bien d’utiliser nos propres réseaux de communication. Tout d’abord, voici comment les médias de masse dépeignent et déforment les mouvements de résistance :
Ils sont sensationnalistes. Ils vont donc se focaliser sur l’aspect le plus spectaculaire en occultant nos revendications.
Ils fabriquent des stéréotypes. Ils ont peu de place pour les mots et les nouvelles idées, ils rédigent des articles pour pouvoir les publier le plus vite possible, ils ont donc peu de place pour la subtilité et ils simplifient au maximum Ils utilisent aussi certains cadres de pensée, par exemple en se focalisant uniquement sur la violence réelle ou supposée des activistes, sur leur look, en se concentrant uniquement sur la gêne occasionnée pour les « gens normaux » au lieu des revendications, ou parfois en opposant les « bons manifestants » contre les « mauvais ». Le problème avec ces clichés, c’est qu’ils reviennent sans arrêt et rendent le récit familier, et ce qui implique que l’issue sera toujours la même, que la lutte est inutile.
Ils mettent à égalité des choses qui ne le sont pas. Comme par exemple en créant un débat sur le changement climatique entre des milliers de scientifiques d’un côté et un dirigeant de parti de droite de l’autre, comme si la vérité se situait quelque part entre les deux. Ou en considérant comme se rejoignant l’extrême gauche et l’extrême droite, etc. Les médias de masse aiment bien contrebalancer les messages dissidents par des déclaration officielles, mais ils ne font pas l’inverse et privilégie donc l’autorité qui a toujours le dernier mot.
Ils méprisent et sous-estiment. Ils ignorent certaines manifestations de masse pacifistes ou minimisent le nombre de manifestant·es, ce qui réduit les chances de succès de la non-violence. C’est une des raisons pour laquelle les moyens de communications autonomes sont essentiels aux mouvements.
Ils diabolisent. Si mépriser ou moquer les dissident·es n’est pas suffisant, les médias de masse les déclarent dangereux, comme des criminel·les. En marginalisant les opposant·es, en les décrivant comme des ennemi·es ils justifient la répression policière, l’emprisonnement, avec peu d’objection de la part de la population. L’imaginaire, la figure de l’ennemi·e intérieur·e varie avec les périodes. Aujourd’hui on peut quasiment qualifier de terroriste tout ce qui a un impact économique.
Ils peuvent être directement manipulés par les personnes qui ont du pouvoir. En général ils ne le font pas, pas pour des questions d’éthique mais parce que ce n’est pas nécessaire Les riches et le gouvernement peuvent intervenir de façon plus ou moins subtile, par exemple en payant certains journalistes pour défendre leurs intérêts.
Quelles conséquences ?
La conséquence principale est la division pour mieux régner sur les mouvements sociaux, fracturés en sous-parties plus faciles à gérer. Par exemple la division entre les bon·nes et les mauvais·es manifestant·es. Ou entre les personnes modérées cooptées par les institutions et des radicales isolées et attaquable plus facilement.
Les médias épuisent les mouvements en diffusant l’idée que des marches toujours plus grandes et chaque fois différentes convaincront les dirigeants d’opérer des changements. Les militant·es désespèrent, les leaders sont pris au piège dans une surenchères de prétentions, de promesses et d’annonces. Dans le but désespéré d’attirer les médias, certain·es activistes vont parfois même faire des actions saugrenues et inappropriées. Voilà pourquoi il faut plutôt bloquer, gêner, déranger le pouvoir sans se laisser dicter son agenda par les médias de masse, en augmentant le degré de militantisme.
La célébrité (antérieure ou récente) de certaines personnes est un autre piège, qu’elle soit recherchée ou fabriquée pas les médias. Si ces personnes s’éloignent trop de leur base, elles deviennent de mauvaises stratèges, elles se coupent des autres qui peuvent les remettre en question et faire naître de nouvelles idées. Des petites célébrités peuvent aussi susciter de la jalousie, de la compétition, et donc de l’hostilité horizontale. Méfions-nous donc des médias de masse qui nous isolent politiquement, qui nous épuisent, qui détournent nos leaders, qui modèrent les mouvements en opposant modéré·es e militant·es. Nous allons voir comment.
COMMUNICATION POUR PERSONNES RADICALES
Les médias de masse sont un outil, mais ils ne feront pas le boulot à notre place. Nous devons établir nos propres stratégies de communications pour nos groupes et nos campagnes, en utilisant des outils efficaces, que ce soit pour nos blogs ou pour une interviews dans Le Monde. Même si la communication professionnelle peut être critiquable sous bien des aspects, les radicaux peuvent apprendre des techniques de communication sans compromettre leur principes politiques.
Trop souvent les documents de communication des radicaux sont vagues, trop abstraits, trop longs. Les radicaux mettent souvent l’accent sur les vastes systèmes d’oppression, ce qui est bien mais peut être difficile pour mobiliser les personnes. Voici 9 conseils différents pour une communication efficace :
1. Comprenez votre objectif
Choisissez d’abord ce que vous voulez communiquer, quel message vous voulez faire passer, à qui et pourquoi. Que voulez-vous que les gens fassent ? Qu’ils changent d’avis ? Viennent à un évènement ? Renforcent des liens ? Les informer ? Les mobiliser pour une action ? Les recruter ? Défier l’opposition ?
Si vous avez accès à un journal écrit ou télé, vous ne pourrez dire qu’une trentaine de mots. Définissez votre objectif et utilisez ces mots pour l’accomplir. Sans objectif, vous ne serez pas efficace et vous ne pourrez même pas juger si vous l’avez été ou pas. Autre stratégie, certain·es activistes ne cherchent pas les faveurs de la presse, comme le SHAC, qui au lieu de convaincre voulait avoir l’air le plus terrifiant possible pour décourager les entreprises qui font du profit avec l’expérimentation animale.
2. Comprenez votre public
Les gouvernements et les entreprises ont conditionné les gens à recevoir un certain type de message. Si nous ne nous adressons pas à eux d’une façon qui résonnent avec eux, ils n’entendront pas. La communication est bi-latérale : vous et l’auditoire. Si vous vous concentrez seulement sur l’envoi d’un message, vous allez rater l’auditoire, et ne persuader que vous-mêmes.
Partez de ce qu’ils et elles sont, vivent, savent, et emmenez-les vers votre conclusion. Les personnes sont moins concernées par les arguments que par ce qui les touche, et cela dépend de l’auditoire. Oubliez le jargon, parlez leur langage.
3. Personnalisez
Ce qui touche les gens c’est une rencontre, au travers d’un film, d’un livre, d’une conférence. Ce qui touche vraiment les personnes sont les récits personnels, les histoires vécues par quelqu’un plutôt que les faits et arguments.
4. Soyez spécifique, concis, direct, puis répétez.
Quand vous donnez un message gris aux médias, il ressort noir et blanc. Si vos arguments sont sophistiqués et gradués , ils deviendront incompréhensibles. Vous avez très peu de temps, vos points-clés doivent être extrêmement clairs. Plus l’audience est grande, plus le message doit être simple. Cela évite aussi qu’il soit déformé par les médias.
Plutôt que de parler en terme de degrés, de nuances, polarisez grâce à des phrases binaires, oui/non, présence/absence, soit ceci/soit cela. Simplifiez, puis exagérez. Concentrez-vous sur ce qui est inacceptable pour la majorité. Par exemple « Vinci dégage, Non au CGO ». Ou bien dans une campagne contre le patriarcat : « Stop à la culture du viol ». C’est difficilement déformable ou diluable par les médias, ou cooptable par les puissants.
Présentez un seul problème à la fois, avec un adversaire clair, un groupe de personnes plutôt qu’un vague système. Les personnes ciblées auront du mal à esquiver leur responsabilité et la pression. Plutôt que de discuter, dans une interview, répétez ces quelques points clairs encore et encore de plusieurs façons différentes.
5. Engagez l’auditoire grâce à un charme visuel et émotionnel.
Contrairement à de nombreux radicaux, les publicitaires l’ont compris : les arguments rationnels sont rarement aussi importants que l’impact émotionnel, qui touche plus profondément. Ils ne s’agit pas de faire du marketing révolutionnaire, mais de comprendre que les gens sont conditionnés à aimer certaines choses, à les trouver jolies et à se diriger vers elles. Une belle image est peut-être le support le plus efficace. Utilisez un vocabulaire dramatique, héroïque, excitant, inspirant, ambitieux, ces émotions qui donneront envie aux gens de se battre.
6. Construisez un lien de confiance.
Souvent qui dit quelque chose est plus important que ce qui est dit et comment. Créez une relation crédible et authentique avec votre audience. Les gens se méfient du marketing publicitaire, ils écouteront plus si vous parlez avec sincérité, à partir de qui vous êtes, avec vos mots. Si vous parlez d’un problème en particulier, présentez la paroles, les histoires des personnes les plus affectées., faites les entendre. Répétez les messages. Les personnes n’agiront pas forcément au premier contact, mais suite à un contact régulier et répété. Ne méprisez pas les personnes, respectez-les. Vous voulez qu’ils et elles vous écoutent ? Écoutez-les. Adoptez une conduite et une tenue appropriée.
7. Utilisez votre cadre de pensée, pas celui de l’adversaire.
Mobiliser les personnes nécessite rarement de les faire changer d’avis, mais plus souvent cela fonctionne grâce de nouvelles utilisations de leurs croyances, perceptions et motivations existantes. Mettre en place un cadre de pensée est plus important que de définir le message avec précisions, car une fois que le cadre est posé, les tentatives de s’y opposer sont vaines.
Les représentants de l’industrie font souvent appel au raisonnable, à ne pas se laisser aller à l’émotion, d’être du côté d’un réalisme économique etc. Pour parler d’injustice, faites glisser le cadre de rationnel-vs-emotionnel vers juste-vs-injuste ou éthique-vs-immoral. Sur le terrain des chiffres, des calculs, des experts en technique, même en ayant raison nous serons toujours perdant dans un débat. Là où nous sommes supérieurs est quand nous les confrontons sur le terrain de la morale, de l’exploitation, de la domination. Nous atteindrons notre objectif grâce aux faits plus des sentiments.
8. Mobilisez pour agir
Le but de la résistance n’est pas le monologue idéologique mais de donner envie aux gens de passer à l’action. Il devrait y avoir un appel à l’action dans à peu près tout ce que vous partagez en ligne. Quand vous partagez une information, dites ce que vous voulez que les gens fassent. Si vous voulez qu’ils et elles partagent, dites-le, souvent ça suffit.
9. Mesurez votre succès.
Après avoir identifié votre objectif, diffusé votre campagne et répondu aux interview, demandez-vous : est-ce que ça marche ? C’est une étape que nous devrions faire de temps en temps, prendre du recul et juger si les stratégies ont été efficaces. Pas la peine de tout balayer, mais juste essayer de nouvelles stratégies et tactiques fait du bien.
SENSIBILISATION ET MÉDIAS
En préparant une campagne ou une action importante, considérez votre stratégie de communication. Vous pouvez commencer par esquisser une simple liste de points-clés dont vous voulez parler ou des messages qui peuvent être déclinés et répétés dans des médias, des interviews, des conversations. Voici comment structurer un point-clé :
Untitre : le message central de la campagne
Des arguments : environs 3 ou 4, chacun appuyés par 1 ou 2 faits
Des anecdotes ou des histoires pour accompagner
Le point-clé de votre campagne ne sera probablement pas le but ultime de votre groupe, comme l’abolition du capitalisme. Considérez plutôt une campagne comme un levier qui permette à votre audience de s’engager avec votre groupe, organisation, de mener bataille, remporter une victoire, et vous suivre sur le long terme. N’oubliez pas d’avoir au moins un argument qui antagonise, qui cible précisément un adversaire pour galvaniser le groupe.
Pour une interview ou un débat, mémorisez vos points-clés pour retomber sur vos pattes peu importe ce qui arrive. Dites vos points-clés le plus tôt possible après le début, et restez dessus, répétez-les de différentes façons. Répondez à la question que vous vouliez entendre plutôt qu’à celle posée, en parlant à votre auditoire plutôt qu’au reporter. Changez le cadre de pensée, évitez le débat et les digressions, c’est le meilleur moyen de garder le contrôle sur ce qui sera conservé de l’entretien. C’est normal d’être stressé·e pour cet exercice, entraînez-vous.
Un moyen de s’entraîner à plusieurs est de recréer un petite scène comme pour une interview, et de filmer les personnes qui répondent pendant une minute. Le faux journaliste peut couper la parole, essayer de mettre dans l’embarras. On peut ensuite juger si on est arrivé à communiquer suffisamment d’informations, et comprendre aussi la communication non verbale. Si vous voulez rassembler des personnes et les faire passer à l’action, vous essayerez d’être poli·e, sympa et confiant·e. Mais si vous voulez montrer à ceux au pouvoir que vous êtes sérieux, vous essayerez probablement d’être moins sympa voire directement conflictuel. Développez des relations avec certain·es journalistes, qui peuvent être des sources d’information. Mais rappelez-vous que les patrons des grands médias ne sont pas les amis des groupes résistants. Le mieux que vous puissiez obtenir est un article neutre.
Le choix de vos modes de communications et médias en fonction de vos objectifs immédiats, de votre budget, de votre temps, de votre cible. Le face-à face permet de construire des liens solides dans un groupe aux ressources limitées, c’est même la base que rien ne devrait remplacer. Les emails et téléphone pour toucher plus de personnes. La photographie ou une vidéo sur YouTube pour avoir un plus grand impact émotionnel.
La télévision a un fort impact émotionnel, mais reste une des armes les plus puissantes du système pour se maintenir en place grâce à la peur, à la résignation, à la désinformation, etc. Internet aussi est une épée à double tranchants. Il permet certes des réseaux puissants pour la communication directe, mais instaure un cadre de passivité, devant les smartphones sur un canapé, loin du puissant face-à-face de l’organisation de terrain propice à la lutte.
COMMUNICATIONS POUR GROUPES CLANDESTINS
En étudiant des mouvements de résistance comme la Résistance française, nous comprenons la nécessité d’un grande prudence et d’une sécurité rigoureuse. Une communication sécurisée est un point pivot pour les groupes clandestins, indispensable pour pouvoir recruter, planifier des actions, partager et récupérer des informations. Dans le cas contraire les dissident·es ne peuvent pas s’organiser et les groupes ne peuvent pas communiquer sur ce qu’ils font et pourquoi et ils resteront isolés.
Le niveau de sécurité est égal au maillon le plus faible. Si des membres du groupes sont négligents ou peu fiables, le meilleur cryptage du monde est inutile. Tous les conseils de l’épisode précédents s’appliquent, pare-feu, compartimentage, sélection des membres etc. Mais les groupes clandestins utilisent aussi des outils de communication spécifiques. Voici quelques outils de communication sécurisée qui s’apparentent plus à du bon sens qu’aux gadgets de James Bond.
1. Rendez-vous en face-à-face
Les emails et téléphones sont facilement surveillables, donc la conversation est le moyen le plus sûr pour des résistant·es proches géographiquement. Michael Collins de l’IRA irlandaise n’écrivait presque rien et voyageait avec une mallette remplie de documents comptables sans intérêt. Il y a des exercices pour améliorer sa mémoire, pour tout le reste, ce qui doit absolument être noté, les activistes utilisent des codes, déguisent les messages et les détruisent avec précaution quand il n’y en a plus besoin. Les activistes évitent de se réunir au même endroit, dans leur propre maison, dans une voiture, dans les lieux militants, et préfèrent plutôt les parcs, les endroits sans caméra, dans un coin d’une bibliothèque etc.
Risque : être suivi, dévoiler une connexion régulière entre résistant·es
2. Dead drop (ou boite aux lettres morte)
Un dead drop est un lieu pour se transmettre des objets sans se rencontrer., ni même nécessairement se connaître. C’est une façon de faire passer une information de l’autre côté d’un pare-feu. Ce peut être n’importe quel conteneur qui peut faire office de cachette sans attirer l’attention des passants. Par exemple un livre dans une bibliothèque, le casier d’un vestiaire. Il est maintenant facile de cacher n’importe où des informations sur une petite clé USB ou MicroSD. Une boite email peut asussi servir de dead drop. Contrairement à des lieux éloignés, des lieux fréquentés aident à cacher l’identité des utilisateurs, qui n’ont pas besoin d’une bonne couverture pour s’y rendre.
Les utilisateur·rices ont aussi besoin d’un signal pour faire savoir à l’autre que quelque chose a été déposé dans le dead drop. Le signal doit avoir l’air inoffensif. Ça peut être un commentaire particulier laissé sur un blog particulier en ligne. Ça peut être un signe physique près du dread drop, comme une marque dans les toilettes, un objet ou une lampe près d’une fenêtre, etc.
Risque : se faire trahir par un autre utilisateur du dead-drop
3. Cut-out et messagers
Un cut-out est un intermédiaire qui passe les informations entre deux parties, par exemple entre un informateur et un·e officier·e des renseignements clandestins. Les cutouts sont des personnes qui font profil bas, ne s’impliquent dans rien d’illégal et permettent de préserver l’identité des activistes clandestins. Le message transmis permet de communiquer avec d’autres cellules ou des auxiliaires. Une bonne couverture est par exemple un gérant de café qui parle à beaucoup de personnes différentes sans éveiller les soupçons.
Les messager·ers aussi transmettent des objets pour les groupes clandestins, ce sont des personnes qui peuvent se déplacer rapidement en sécurité, par exemple grâce à un emploi qui leur permet de voyager. Parfois des messagers sont utilisés par la résistance sans qu’ils soient au courant, ces personnes ne seront pas trop stressées si elles se font arrêtées et interrogées, elles n’ont rien à dire. Par contre plus d’imprévus peuvent avoir lieu.
4. Signaux pré-arrangés
Un signal pré-arrangé est peut-être le moyen de communication le plus simple, rapide et fiable. Le signal est établi à l’avance. Un signal peut servir dans une situation d’urgence, dans un appel à l’aide, ou encore pour coordiner des actions, ou transmettre d’autres informations comme une réussite ou un échec. Pour des raisons de sécurité, un signal ne devrait être utilisé qu’une seule fois.
5. Cryptage et stéganographie
Le cryptage est une méthode qui remonte à l’Antiquité. Aujourd’hui réalisé grâce aux ordinateurs, elle est risquée car la plupart des personnes ne peuvent pas faire confiance à leur ordinateurs. Le cryptage peut être efficace mais peut aussi attirer l’attention car un message illisible peut suggérer qu’il y a quelque chose à cacher.
En revanche la stéganographie est une approche plus subtile. Il s’agit de cacher un message dans un autre objet, comme par exemple dans une photographie numérique. Enfin, le cryptage devrait être utilisé par les activistes à visage découvert et même par tout le monde, pour des raisons de surveillance et éviter d’éveiller des soupçons sur les messages des résistant·es.
Mais le système de cryptage a beau être sophistiqué, le maillon le plus faible est toujours humain. Les puissants préfèrent parfois capturer et torturer un·e résistant·e plutôt que de décrypter un message. Les Nazis ont ainsi pu pénétrer les réseaux de communication de la Résistance. Un moyen de déjouer ces tentatives était d’introduire délibérément des erreurs dans le message. Une faute à la 7e lettre pour indiquer que tout va bien, une faute à la 13e lettre pour indiquer être capturé. Et enfin par l’utilisation de phrases mot de passe, pour s’assurer que la situation n’est pas compromise.
Chapitre 8 : Renseignements & Reconnaissance
IRA & BLOODY SUNDAY
Par définition un mouvement de résistance est inférieure, ses ressources sont limitées. Il doit donc savoir exactement où et comment frapper pour utiliser sa force limitée de façon stratégique. Le travail de renseignement consiste surtout à rassembler des informations disponibles. C’est un travail fastidieux qui requiert efforts et organisation, mais qui est indispensable, que ce soit pour un mouvement à visage découvert ou clandestin, armé ou non-violent.
L’histoire irlandaise nous montrent à quel point le renseignement est crucial. En 1916, après avoir atteint les limites d’une lutte non-violente, l’Irish Republican Brotherhood escalade les opérations. Après une insurrection échouée (on peut difficilement occuper un territoire dans une guerre asymétrique), les résistants adoptent des méthodes de guérilla, notamment sous l’impulsion de Michael Collins.
Obtenir des informations sur l’ennemi tout en empêchant d’être infiltrés par l’armée britannique va sauver les organisateurs de l’IRA. Menacer et cogner les agents infiltrés ne suffit pas, ils vont commettre des assassinats, et notamment le 20 Novembre 1920 où ils neutralisent le groupe d’espions britannique le plus dangereux. Le Royaume va se venger sur la population, mais le soutien pour la résistance grandit. L’IRA peut plus facilement recruter et s’organiser, et 8 mois plus tard, les Britanniques supplient de négocier l’indépendance de l’Irlande. C’est en étudiant avec minutie le service de renseignements britanniques, leur fonctionnement et l’état de leurs connaissances, que Michael Collins pu préparer et mettre en place son propre service de renseignements, supérieur à celui de l’ennemi. De bons renseignements permettent d’être plus efficace qu’une armée régulière avec pourtant moins de ressources.
Qu’est-ce que le renseignement ? C’est obtenir des informations sur l’ennemi, sur le terrain, sur les autres factions. Pas juste des rumeurs, mais des détails aussi précis que possible. C’est pouvoir créer la surprise lors d’une attaque, et pouvoir l’éviter pour la défense. Le renseignement pour la résistance est une part de recherche, une part de journalisme d’investigation et une part d’espionnage. C’est une tâche à laquelle tout le monde peut participer sans être clandestin.
TROIS NIVEAUX DE RENSEIGNEMENT
Les renseignements se répartissent en trois niveaux différents :
Renseignements stratégiques : c’est la vision d’ensemble, des informations sur la situation politique, économique, l’infrastructure industrielle, les réseaux de communications et d’énergie, les personnes et organisations importantes etc.
Renseignements opérationnels : ils aident les groupes à planifier et mettre en œuvre une campagne en particulier. Il s’agit d’identifier les cibles et actions potentielles, lesquelles ont le plus de valeur d’un point de vue stratégique.
Renseignements tactiques : c’est les détails les plus spécifiques et détaillées sur les unités, cibles et engagements, par exemple par la reconnaissance directe. C’est compter le nombre de gardiens, les patrouilles, les caméras, les routes de secours, les points faibles etc.
Bien sûr ces trois niveaux ne sont pas clairement délimités les uns des autres, ils peuvent se chevaucher. Là où une armée régulière sera plus intéressée sur le plan stratégique pour mobiliser des troupes sur le long terme, des groupes résistants plus agiles vont plutôt se concentrer sur les opérations et la tactiques pour enchaîner les victoires.
LE CYCLE DU RENSEIGNEMENT
Les professionnel·les utilisent le « cycle du renseignement » :
Direction et objectif. De quoi avons-nous besoin pour gagner ? Les personnes qui cherchent et qui prennent les décisions collaborent pour définir les priorités du renseignement.
Collecte. Où pouvons-nous trouver cette information ? Les sources sont multiples pour trouver des informations brutes (livres, Wikileaks, sympathisants, etc)
Analyse. Quelle information est plus crédible opportune, importante et précise ? Chercher les contractions et les lacunes, essayez d’avoir une image complète de la situation.
Emballage et conditionnement. Comment pouvons nous présenter et partager cette information ? Une profusion d’informations est inutile quand des décisions doivent être prises rapidement. Les renseignements sont présentés sous formes d’avertissement, de rapport, de plans, de cibles etc. L’information est partagée dans les temps avec les bonnes personnes
Utilisation et évaluation. Les renseignements sont utilisés et leur pertinence est évaluée. On apprend grâce à de bons renseignements et grâce aux erreurs. Retourner au premier point en ajustant les priorités et fonction des résultats.
Le cycle du renseignement un concept très utile, efficace pour développer un département des renseignements. Mais pour les petits groupes il n’a pas forcément besoin d’être aussi formel. Les activistes qui font du renseignements partagent ce qu’ils et elles savent et aident le groupe à prendre des décisions plutôt que d’écrire des notes formelles. Mais étudions plus en détail chaque étape du cycle.
Direction et objectif
Plusieurs catégories de questions peuvent nous rapprocher de notre objectif.
Quoi ? Qu’est-ce que nous combattons ? Quelle organisation ? Qu’est-ce qui la motive ? Que veulent-ils ? De quoi ont-ils peur ? Qu’est-ce qui pourrait nous arriver de pire? Quel est le terrain d’opération, sa géographie, son économie, etc ? Quels sont les point faibles ?
Qui ? Qui est notre ennemi ? Quelles sont ses intentions ? Sa morale ? Que pouvons-nous anticiper de sa doctrine, de ses actions passées ? Comment pense-t-il? Est-il prêt au conflit ? Qui sont ses alliés ? Ses opposants ? Qui prend les décisions ? Qui est sur le front (police sécurité etc) ? Quels sont ses équipements ? Son niveau d’entrainement ? Qui peut nous aider à l’intérieur ? Quel impact sur les spectateurs ?
Quand ? Quel est le calendrier ? Quelles sont les moments où nous pouvons intervenir ? Les heures d’ouverture et de fermeture ?
Où ? Où se passe l’action ? Avons-nous des cartes ? Quelle route, quel accès, le plus facile ? Quel lieu notre ennemi fréquente ?
Comment ? D’autres personnes ont-elles menée une lutte similaire ? Quelles tactiques ont-elles utilisées ? Ont-elles gagné ? Pourquoi et pourquoi pas ? Ces personnes peuvent-elles nous conseiller ? Nous aider ? Qu’avons-nous à disposition pour lutter ? De quoi avons-nous besoin ? Bien sûr, le type de questions choisies va évoluer suivant la lutte engagée, suivant le terrain des opérations, la complexité des infrastructures, les cibles, le contexte politique et géographique, le niveau de sécurité, de secret, de danger, des compétences nécessaires etc.
Collecte
Après avoir déterminé les objectifs et priorités du renseignement, le groupe cherche des sources. Les mouvements de résistance modernes ont une grande gamme de sources possibles de renseignements. En voici quelques-unes
Sources humaines
La source la plus facile peut être une connaissance ou ami·e, un·e journaliste ou expert·e. Ce peut être des personnes sympathisantes à l’intérieur d’une organisation contre laquelle le groupe se bat. Ce peut être des personnes qui font le ménage, elles voient ce qui se passe et ont accès à tous les bureaux. Les résistant·es de la Seconde Guerre Mondiale ont recruté des commerciaux et des apprentis pour identifier les usines et les moyens de saboter efficacement l’industrie. Un bureaucrate qui comprend votre projet vous donnera des informations pertinentes.
Pour recruter des espions, les gouvernements utilisent quatre méthodes : l’idéologie, l’argent, l’ego ou les compromissions. Pour la résistance, les trois derniers sont risqués d’un point de vue pratique et moral. La solidarité, la loyauté, la confiance et le respect des limites sont les meilleurs arguments.
Reconnaissance et expédition
Les groupes résistants doivent parfaitement connaître leur terrain, ce qui requiert un travail de reconnaissance des cibles. Si une action se déroule un Mardi, observez ce qui se passe les deux mardis précédents pour bien comprendre la situation. Suivant la cible, préparez une couverture adapté, par exemple en randonneur dans un lieu isolé, ou en étudiant qui travaille dans un café si la cible est en ville, en ouvrier sur une aire industrielle, etc. Pour ne pas répéter les visites, préparez bien les éléments que vous devez observer, notamment le dispositif de sécurité.
Un bon équipement peut inclure : des cartes, des outils d’orientation et de mesure, des habits et protections appropriées, une bonne caméra ou magnétophone, des jumelles, un lampe frontale, un petit bout de mousse pour s’asseoir pendant des heures, un petit tapis pour enjamber des barbelés, des outils de communication, un carnet imperméable. Plus d’infos sur The Ruckus Society.
Sources ouvertes
De nombreuses informations sont disponibles librement comme les journaux, les médias, des Google Alerts. Les dossiers de presse d’entreprises, les réseaux sociaux et forums peuvent donner des informations sur les relations entre les personnes intéressantes pour créer des dossiers sur elles. Wikileaks, Cryptome et d’autres lanceurs d’alerte fournissent de la documentation sur les coulisses du pouvoir. Des informations en ligne qui ont été supprimées peuvent être retrouvées dans la mémoire cache ou sur Archive.org. N’oubliez pas les sources d’informations hors ligne comme les bibliothèques, les vieux annuaires, les microfilms… Attention quand vous faites ces recherches à laisser le moins de traces possibles en utilisant Tor, des VPN, et autres outils d’anonymisation.
Allié·es
Les allié·es peuvent déjà disposer des informations que vous recherchez, demandez-leur pour gagner du temps. Certains chercheur·ses, activistes, syndicalistes ont déjà des dossiers, et vous pouvez aussi partager vos propres informations.
Cartes
Les cartes routières et photographies aériennes sont incroyablement utiles et publiques. Étudier les cartes avant d’aller faire une expédition de reconnaissance réduit les efforts, aide à trouver des chemins de secours ou des cibles multiples pour des actions impactantes.
Registre et banques de données
Ils peuvent être privés ou bien du gouvernement. Certaines informations sont accessibles sur demande à peu de frais. Les informations sensibles peuvent être censurées et les démarches lentes. Vous pouvez demandez des informations sur les recherches précédentes sur le même sujet pour gagner du temps et trouver des allié·es. N’oubliez pas les archives, les cadastres, les enchères, l’administration territoriale, les registres des permis, des impôts, les financements des partis politiques, les registres de votes, les actes judiciaires. Certaines informations peuvent aussi aider à identifier des personnes infiltrées.
Espionnage et manipulation
Je ne suggère pas que vous fassiez les choses dans cette catégorie. Les mouvements de résistance les ont parfois utilisées. Ce sont des choses que les puissants font, c’est bon à savoir. Par exemple fouiller les poubelles de quelqu’un d’autre est illégal pour vous, mais pas pour le gouvernement. Les poubelles contiennent des factures, des notes, des lettres, etc.
Dans l’histoire, beaucoup d’espionnage a été réalisé par la manipulation sociale., l’art et la science d’obtenir ce que vous voulez des autres. Par exemple, un manipulateur qui veut entrer dans un bâtiment sécurisé ne va pas escalader mais va rester devant la porte avec une pile de livres entre les mains pour qu’une personne ouvre sans même réfléchir. Pour accéder au réseau interne, il va laisser une clé USB avec un virus sur le parking jusqu’à ce qu’un employé la ramasse et la branche sur un ordinateur de l’entreprise. Parfois pour obtenir des informations au téléphone il suffit d’avoir de l’audace, de la répartie, une voix autoritaire et un bon prétexte. Il existe de nombreux exemples de manipulation sociale en ligne
Analyse
Dans certaines luttes, la quantité d’informations brutes récoltées peut être si énorme qu’il est difficile d’y comprendre quelque chose. Et parfois certaines informations sont fausses lorsqu’il s’agit de permis de construire ou autres. Bref, les données brutes ne sont pas du renseignement. Les données brutes deviennent du renseignement après avoir été traitées et analysées pour savoir si elles sont intéressantes, précises et crédibles.
Trop d’informations peut nous désorienter. Alors comment s’en sortir ? En éliminant les informations qui ne peuvent pas nous aider à planifier de futures actions. Il faut aussi énormément se méfier de biais personnels, qui nous empêche d’être objectifs, ce qui peut être catastrophique surtout dans les organisations qui sont fortement motivées par l’idéologie. Ces biais peuvent nous faire sous-estimer ou mal comprendre l’adversaire. Cette tendance peut être attéunée en maintenant de la diversité au sein du groupe, en recoupant les informations et en doutant des hypothèses.
Emballage et conditionnement
À parti d’analyses rudimentaires des renseignements, un groupe peut les conditionner de différentes façons :
Des avertissements
Si vos informations suggèrent que quelque chose d’important va arriver, il est important d’avertir le reste du groupe, surtout s’il s’agit d’un danger. Les avertissements doivent être délivrés en veillant à protéger les sources.
Des notes générales, mises à jour, cartes de la situation
Les renseignements doivent être objectifs, profonds, précis, à jour, pertinents et utilisables, pour tenir informé·es les camarades et les allié·es de l’état de la lutte et de l’opposition, pour les aider à prendre des décisions intelligentes. Les mises à jour régulières permettent à tout le monde d’être au même niveau, par exemple grâce à un graphique.
Une analyse politique et sociale
Ne documentez pas seulement à propos de l’adversaire mais aussi du paysage politique et social pour éclaircir vos objectifs de stratégie, de mobilisation et de recrutement. Cela peut être réalisé comme sur le graphique 8.3 qui classe les organisations et partis en en différentes catégories, du plus au moins favorable à votre groupe. Ce spectre permet de comprendre que les élites ont des intérêts antagonistes qui peuvent parfois être utilisés en votre faveur. L’objectif est de pousser les différentes population sur le spectre pour qu’elles deviennent plus amicales, ou en tous cas moins hostiles. Les renseignements peuvent aider à identifier les moyens d’y parvenir. Par exemple en recrutant parmi les communautés amies, en encourageant la masse de base à devenir des sympathisant·es plus actifs. Sortir les personnes de la neutralité peut être difficile, privilégiez les personnes qui ont une certaine indépendance vis-à-vis du système. Vous ne pourrez pas empêcher des personnes de vous détester mais vous pouvez réduire la capacité de vos adversaires à vous nuire, et donner à vos allié·es des moyens de vous aider.
Des listes de cibles
Même la plus libérale des campagnes fournit une liste de personnes à qui écrire. Les radicaux créent des listes pour trouver des points de pression d’un système bureaucratique. Bien sûr, les cibles ne sont souvent pas des personnes mais des installations, des organisations, des infrastructures. Pour de meilleurs renseignements, les listes peuvent être annotées en fonction des priorités, des classements, de vulnérabilité, etc.
Des profils de cibles détaillés
Pour une personne, un profil de cible peut inclure une biographie, des déclarations publiques, un CV etc. Pour un site physique, le profil contient une carte avec les accès possible, les caractéristiques du terrain, de la sécurité etc.
De nouveaux outils et tactiques
Les renseignements ne sont pas seulement des informations sur l’ennemi, mais aussi de la recherche pour améliorer l’efficacité des forces amies, des outils et des équipements.
Des prévisions
Pour gagner, les groupes doivent prendre l’initiative, ils doivent se préparer à comment la lutte sera demain, pas comme elle était hier. Faites des recherches et comprenez votre adversaire pour anticiper ses actions futures. Faites des plans des conséquences possibles de vos actions et campagnes, comprenez comment maximisez les réussites et réagir aux échecs.
Dans ce chapitre, nous avons vu comment obtenir et partager des informations sur l’ennemi. Mais ce n’est pas suffisant, les groupes résistants doivent aussi empêcher les puissants d’obtenir des informations sur eux. C’est ce que nous allons voir dans le prochain chapitre.
Chapitre 9 : Contre-espionnage & Repression
Ici l’auteur raconte comment une amie a lui a été arrêtée chez elle par des agents armés, au beau milieu de la nuit pour avoir organisé une manifestation contre le G20 à Toronto. Les organisateurs ont été accusé de « complot », une accusation vague contre laquelle il est difficile de se défendre. Les activistes sont resté·es plusieurs semaines ou mois en prison, puis surveillé·es à leur sortie en contraignant aussi leurs familles. Aric McBay ne raconte pas cette histoire parce qu’elle est unique, mais parce qu’elle ne l’est pas.
L’histoire de la résistance est aussi l’histoire de la répression. Les dictateurs restent en place moins grâce à l’inertie que grâce à un arsenal répressif, matraque, casiers, caméra, infiltrés, prison. Un système d’inégalités et d’exploitation se maintient grâce à une combinaison de tromperie, de contrainte subtile, et de violence nue. Les puissants font tout leur possible pour prévenir la floraison des révolution, en attaquant avant que les premiers signes apparaissent.
Nous avons vu dans le chapitre sur la Sécurité des pratiques surtout passives, des choses à ne pas dire ou ne pas faire, ce n’est pas suffisant. Les mouvements qui veulent réussir ne doivent pas seulement être sur la défensive, ils doivent passer à l’offensive. Pour empêcher la division des mouvements de résistance, il faut comprendre comment fonctionnent les tactiques de répression, comment les reconnaître, et comment les contrer. Nous allons voir dans ce chapitre 7 tactiques de répression : La surveillance, la Guerre Psychologique, l’Infiltration, le Système Judiciaire, la Violence Extrajudiciaire, la Loi Martiale, et enfin la Cooptation.
1. SURVEILLANCE
Pour pouvoir mettre en œuvre la répression, le pouvoir a besoin de renseignements, donc il surveille. La Surveillance consiste pour les agents à observer les activistes et résistant·es, identifier les dissidents, les leaders, leurs appuis, tactiques et autres caractéristiques du mouvement. La surveillance est utile avant que les mouvement développent une conscience en matière de sécurité. Elle est aussi utile pour intimider et provoquer la paranoïa quand le mouvement est arrivé à maturation. Les premières caméras de surveillance en Angleterre n’ont pas été installées pour surveiller le crime, mais les suffragettes. La majorité de la population sait (dans une certaine mesure) qu’elle est surveillée, notamment sur les réseaux sociaux, par les gouvernements et les entreprises. Cette surveillance sape les bonnes relations entre modéré·es et militant·es, radicaux et libéraux.
Comment se protéger : Pour les groupes clandestins, en essayant d’être invisibles. Pour les groupes à visage découvert, par une culture de sécurité ou en faisant profil bas si c’est approprié. En privilégiant le face-à-face en personne et en utilisant des méthodes de cryptage. Le but de la surveillance est surtout de rendre les gens craintifs, les groupes devraient donc combattre la paranoïa et l’isolement, et passer à l’action malgré les tentatives d’intimidation.
2. GUERRE PSYCHOLOGIQUE & PROPAGANDE
Les bureaux de contre-espionnage essayent de saper les mouvements de résistance à l’intérieur, cela s’appelle la Guerre Psychologique. Les agents du gouvernements et les médias serviles essayent aussi de discréditer les mouvements à l’extérieur, cela s’appelle la Propagande. Ils génèrent la confusion, la désinformation et le mensonge en direction du public, et s’en prennent à des cibles spécifiques comme les leaders et porte-paroles.
Dans son livre War at Home, Brian Glick écrit « Le FBI et la police ont utilisé une myriade d’autres « sales coups » pour saper les mouvements progressistes. Ils ont rapporté de fausses nouvelles dans les médias et publié des faux tracts au nom des groupes visés. Ils ont fabriqué de toutes pièces des correspondances, des lettres et appels anonymes. Ils ont propagé de la désinformation sur les réunions et évènements, ont créé de faux groupes dirigés par des agents du gouvernement, et manipulé ou brutalisé les parents, employeurs, propriétaires, directeurs d’école et autre pour nuire aux activistes ».
Les agents adorent mettre de l’huile sur le feu entre les différents groupes, susciter les hostilités en prenant avantage des conflits personnels déjà existants. Le FBI aime envoyer aux organisateurs des lettres de la part d’un « ami anonyme » pour avertir qu’un allié est en train de le trahir ou veut le tuer. Le FBI a imprimé un livre de coloriage raciste au nom du Black Panther Party pour enflammer les peurs des personnes blanches. Toutes ces petites astuces permettent à nos gouvernements de mentir, de faire taire l’opposition, de déstabiliser la résistance tout en préservant les apparences de démocratie et de liberté d’expression.
Quand aux grands médias, ils n’ont même pas besoin qu’on leur demande pour désinformer, changer les propos de quelqu’un ou ne pas parler du contexte, comme nous avons vu au chapitre sur la Communication. C’est difficile de contrer leur Propagande car leur boulot est relativement simple : répéter les mensonges encore et encore de façon agressive.
Un moyen de lutter contre cette tactique vicieuse est de stopper les rumeurs superficielles au sein du groupe, et les ragots mesquins. En plus de nous détruire le moral, cela facilite les méthodes du gouvernement. Réglez les problèmes en privé et avec tact, empêchez les rumeurs de se propager tant que la vérité n’est pas faite. Enquêtez sur les messages suspicieux avant de passer à l’action. Si vous suspectez qu’un schéma de contre-espionnage se répète dans votre communauté, parlez-en à des activistes allié·es qui ont peut-être subi les mêmes attaques. Et nous devons désamorcer les conflits entre groupes en s’occupant ouvertement des discriminations autour du genre, race, classe etc. Et encore une fois, militants et modérés ne doivent pas dénigrer les actions des un·es et autres.
3. INFILTRATION & INFORMATEURS
C’est peut-être la forme la plus sournoise de contre-espionnage. Les agents du gouvernement tentent d’introduire des infiltrés dans les réunions et groupes, tout en recrutant des informateurs à l’intérieur de la résistance. Les infiltrés collectent des renseignements mais ce n’est pas leurs principale activité. Ils et cherchent plutôt à saboter les groupes de l’intérieur, de créer des schismes, de l’hostilité horizontale, de provoquer, d’effrayer les potentiel·les sympathisant·es.
La police peut arrêter quelqu’un, le mettre dans une voiture, et « accidentellement » le laisser entendre une communication radio qui suggère que quelqu’un qu’il connaît est un informateur. Ils font aussi appel à des agents provocateurs qui encourage la division interne et des positions qui ne sont pas dans l’intérêt du groupe. Les agents provocateurs vont emmener les groupes dans des pièges, dans des actions qui vont attirer plus de répression que ce que le mouvement est capable d’encaisser.
On imagine souvent que les rapports écrits par les agents infiltrés décrivent les actions planifiées, des pièces à conviction ou autres. En réalité ils sont surtout remplis de ragots. Les infiltrés écrivent et documentent sur qui a une dispute, qui couche avec qui, et des détails intimes sur la psychologie des membres du groupe qu’ils espionnent. Les infiltrés de longue durée coûtent cher à l’État mais les informations récoltées sont précieuses pour la répression.
Signes d’alerte d’infiltration
Il existe plusieurs types d’infiltrés et d’informateurs. Il y a l’activiste débauché·e, une personne qui a réellement commencé en tant qu’activiste mais qui s’est mise à collaborer sous la menace ou les pots-de-vin. Il y a aussi le professionnel·le sous couverture, c’est un détective ou une personne entrainée par la police ou les renseignements pour se faire une place dans un groupe. Il y a aussi des personnes qui ont eu des problèmes judiciaires et qui essayent d’alléger leur peine, et encore d’autres profils différents.
Les infiltré·es se créent des couvertures qui attirent la sympathie des activistes, qui désamorcent les suspicions. Ils reçoivent des listes d’organisations cibles et de personnes cibles. Ils et elles peuvent parfois développer des relations étroites avec les membres du groupe. Voici quelques schémas récurrents pour les identifier :
Fausse bienveillance et peu de barrières
Les infiltré·es se comportent parfois amicalement de façon inappropriée. Ils forcent un peu pour être ami·es mais ne sont pas tellement drôles. Ils se souviennent bien des noms, parfois de personnes qu’ils n’ont pas rencontrées… Il y a des exemples de policiers infiltrés qui espionnent pendant 7 ans, ont des relations sentimentales et sexuelles avec des activistes sans dévoiler leur identité. Ils savent jouer les révolutionnaires, être séduisants ou intimidants.
Absence de garant ou de sélection
L’absence d’une procédure de sélection ou de nécessité d’être recommandé par un·e membre du groupe facilite la tâche des infiltrés, qui peuvent ensuite se promener d’une organisation à une autre.
Connaissances superficielles
Même en étant formé·es par la police pendant plusieurs semaines ou mois, les infiltré·es n’auront jamais les connaissances approfondies acquises après des années d’organisation, de lectures, de discussions. Il arrive qu’ils ne connaissent les problèmes politiques que superficiellement, ils n’ont pas d’idée, ce qui est en désaccord avec leur investissement personnel, leur engagement dans la lutte. Les activistes débauchés en revanche peuvent avoir un bon niveau de connaissance.
Petites incohérences
Ils se trahissent souvent par de petites incohérences qui finissent par être négligées, mais qui sont flagrantes le jour où leur rôle est dévoilé. Ces incohérences peuvent être dans leur comportement, entre la cause qui les intéresse et les actions dans lesquelles ils s’impliquent, entre la personnalité et le style vestimentaire, entre plusieurs histoires qu’ils racontent à différentes personnes, entre leur travail et leur lieu de vie etc.
Riches sans moyens de subsistances visibles
Personne ne les voit travailler mais ils et elles ont souvent de l’argent. Ils ont beaucoup de temps libre pour venir à toutes les réunions, tous les comités, les manifestations, les évènements. et des moyens à disposition, du matériel, ils payent des coups à boire. Ils mettent du matériel parfois indispensable à disposition. Anna qui a infiltré le Green Scare a offert une maison entière à disposition de leur cellule. Bien sûr cette maison était remplie de micros pour incriminer les activistes.
Comportement suspicieux et absences
Leur lieu de vie sont étranges, parfois vides, parfois ils et elles ne veulent pas être raccompagnés chez eux (car ils doivent faire un rapport à leur supérieur). Ils se comportent bizarrement, peuvent devoir s’absenter régulièrement en donnant des explications minables.
Violent la culture de sécurité, poussent aux actions illégales imprudentes
Ils et elles parlent de choses qu’ils ne devraient pas et posent des questions sur des choses qu’ils n’ont pas besoin de savoir. Ils peuvent proclamer au nom du groupe vouloir faire des actions trop risquées, proposer aux membres d’acheter des armes à feux, donnent des conseils de sabotage non sollicités, provoquer des conversations pour incriminer les camarades. Pour les activistes débauché·es, ces comportements dangereux, des addictions peuvent être des signes de la façon dont ils se sont fait attraper.
Perturbation du groupe
Ils peuvent essayer d’isoler des personnes en en faisant des leader, en les flattant puis en parlant en mal d’eux dans leur dos. Ils peuvent tout faire pour que le groupe n’avancent pas voire même accuser d’autres personnes d’être infiltrées, parfois en faisant un scandale, pour détourner l’attention d’eux-mêmes. Accéder à des positions importantes est très intéressant pour un infiltré qui veut perturber.
Comment recruter en se méfiant des infiltré·es ?
Prenez la menace au sérieux
Si l’État vous prend au sérieux, vous devez vous prendre vous-mêmes plus au sérieux. Si les gens se parlent plus les uns les autres, ils remarqueront les incohérences. Discutez, enquêtez sur les couvertures. Les communautés résistantes seront protégées quand des petits groupes de personnes qui se connaissent et se font complètement confiance s’associent pour former un contre-espionnage actif. Étudiez le sujet et créez une procédure d’alerte dans la communauté.
Immunisez votre groupe
Tout le monde doit connaître la culture de sécurité et savoir qu’il ne faut pas parler à la police et que faire si la police vient frapper à la porte. Sans être désagréable, trouvez un bon compromis en accueil des nouveaux membres et relative paranoïa, posez-leur des questions pour faire connaissance. Nous devrions aussi immuniser nos familles et proches.
Enquêtez mais pas de fausses accusations
Les groupes ont besoin d’une procédure pour parler de ces soucis sans provoquer de paranoïa générale. Si un infiltré est soupçonné, un petit groupe de confiance doit enquêter rapidement. Si les doutes se confirment la personne doit être écartée des informations sensibles. Des opérations majeures peuvent être retardées le temps de l’enquête, sans l’annoncer publiquement. Si la personne est innocente elle ne sera pas accusée pour rien, et si elle est réellement infiltrées, mieux vaut qu’elle ne se doute pas qu’une enquête a lieu. Cherchez des preuves solides, sur leur parcours, contacts, actions, proches, emploi.
Prévenez les autres
Si vous avez des preuves solides et que vous voulez exposer la personne, prévenez le groupes mais aussi les camarades d’autres communauté pour pas que la personne puisse recommencer ailleurs. Chaque personne prend ses propres mesures de sécurité, comme le changement de clé et codes. Faites une enquête rétro-active pour revenir à la brèche et empêcher les prochaines infiltrations.
Ne forcez personne
Nous avons urgemment besoin d’action radicale, mais créez une communauté basée sur l’entraide, pas sur l’intransigeance et le harcèlement. Construisez un mouvement fort, communiquez avec vos allié·es et traitez ouvertement les problèmes d’oppression.
Évidemment si on regarde dans l’histoire des mouvements de résistance armés, découvrir et relâcher un agent infiltré pouvait entrainer la torture et la mort de nombreuses personnes. Que faire alors quand les résistant·es ne sont pas en mesure de faire de prisonniers ? La question de liquider les espions a parcouru les mouvements du passé en posant de problèmes moraux très lourds. Il y a d’ailleurs un grand danger à ce que les puissants utilisent ces règlements de compte pour détruire un mouvement grâce à des fausses accusations, et des morts innocentes. Des activistes courageux, courageuses, ont perdu la vie suite à de fausses accusations, ne prenez jamais ce problème à la légère.
4. LE SYSTÈME JUDICIAIRE
Les personnes au pouvoir essayer d’arrêter et de poursuivre les membres de la résistance pour des motifs banals ou sans lien. Ils utilisent la police et le système légal pour harceler et entraver et criminaliser les activistes. Ils font passer des lois sévères et des coûts très élevés pour appauvrir les opposant·es, ce qui peut aussi servir à recruter des informateurs.
Les arrestations arbitraires peuvent dévaster les mouvements en envoyant les activistes dans un labyrinthe judiciaire chronophage. Ce système sape le moral et détourne des objectifs de changement social. Certaines notes du FBI préconisent d’arrêter les dissident·es sur absolument tous les motifs possibles jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus payer les cautions et passent l’été en prison. L’usage de drogues et les délits non-politiques peuvent donc rendre les activistes plus vulnérables au harcèlement judiciaire.
De plus en plus de lois mettent à égalité le sabotage économique non violent avec le terrorisme armé. Certaines lois restent inutilisées pendant des décennies, jusqu’à ce qu’un jour un mécontentement populaire jaillisse. Pour en savoir plus sur les lois contre les écologistes, lire Green is the New Red.
Les activistes qui font face au système judiciaire ont besoin d’aide légale grâce à de bons avocats et de solidarité de la communauté. La première des solidarité est de ne rien dire à la police ou au tribunal, de garder le silence et refuser de donner des informations, même si la police a plus d’un tour dans son sac pour faire parler. Un mouvement efficace va attirer la répression, et donc la prison, surtout pour les organisateurs et les activistes sur le front. La solidarité avec les prisonniers doit être sans faille. Un mouvement qui ne soutient pas ses prisonniers est une comédie. Écrivez et soutenez les prisonniers, démystifier votre vision de la prison pour décider quels risques vous êtes prêt·e à prendre.
5. VIOLENCE EXTRAJUDICIAIRE
Parfois quand leur manipulation de ce qu’on appelle la « Justice » n’est pas suffisante, ou qu’ils n’ont pas le temps de créer des schismes internes, les agents du contre-espionnage peuvent menacer, frapper ou assassiner les activistes pour les forcer à se soumettre et pour en faire des exemples. Ils entrent chez les personnes par effraction pour confisquer ou détruire du matériel, casser, lyncher, tuer. Le but est évidemment d’effrayer les dissident·es et de perturber le mouvement. Cette violence n’est bien sûr pas limitée formellement aux leaders de la résistance, elle terrorise aussi tous les membres d’un groupe oppressé (comme dans les banlieues en France) pour maintenir la domination de ceux au pouvoir.
Parfois les agents du contre-espionnage vont commettre des assassinats et accuser les groupes résistants. Parfois le gouvernement ne fait pas tout le boulot lui-même et encourage la violence d’autres partis, comme des groupes paramilitaires et des milices fascistes.
Vous vous souvenez de Judi Bari du chapitre 3 ? Une écologiste, féministe et syndicaliste de Caroline du Nord engagée dans une campagne contre la déforestation. En 1970, le FBI a piégé sa voiture avec une bombe à clous, qui tua presque Bari en explosant. Immédiatement après la détonation, le FBI l’arrêta, la qualifia de terroriste pendant des mois en faisant semblant d’enquêter. Au même moment l’industrie du bois fit circuler de faux tracts au nom d’Earth First! qui appelaient à attaquer les ouvriers et les médias. Tous les médias ne furent cependant pas dupes et reconnurent la supercherie du tract.
Du fait de trop d’incohérences dans le dossier, les charges criminelles ne furent pas retenues. La même année Ralph Featherstone, un organisateur de Comité Étudiant Non-violent fut tué par une bombe dans sa voiture. Le FBI prétendit qu’il transportait une bombe mais ses collègues n’y crurent pas et firent un parallèle avec Judi Bari. Après des années de procédures judiciaires, en 2002, 6 agents du FBI furent reconnu coupables d’avoir monté ces deux accidents de toutes pièces.
L’État peut déployer une force écrasante à n’importe quel endroit. Les groupes à visage découvert et clandestins ne peuvent donc pas défendre de position fixe. Comment se protéger ? Ces groupes utilisent donc des stratégies différentes pour faire face à la violence extrajudiciaire.
Les groupes, qu’ils soient clandestins ou non, construisent leur force organisationnelle, la solidarité, l’entraide pour augmenter leur résilience. Des communautés doivent être formées pour apporter soutien aux personnes ciblées par la police et leurs familles. Les organisations ne doivent pas être structurées autour de deux ou trois personnes clés. Si vous avez des compétences ou connaissances uniques, partagez-les au maximum. Ainsi si le groupe perd quelqu’un, il peut continuer de fonctionner.
Si des groupes pensent pouvoir être la cible de violence, ils peuvent se protéger grâce à des gardes du corps, des sentinelles, des recherches de bombes ou autres pièges, changer fréquemment d’itinéraire et de lieux de rendez-vous, et si nécessaire devenir clandestins pendant un temps.
Les groupes à visage découvert peuvent bien sûr utiliser la violence de l’État à leur avantage, utiliser les médias pour exposer la violence étatique et maximiser le soutien du public. C’est plus compliqué pour les groupes clandestins qui se protègent en se cachant, en restant mobiles, et grâce à un sérieux contre-espionnage.
Les groupes qui ont utilisé les armes de façon dissuassive ont été prudents pour considérer ça stratégiquement dans un contexte plus large, car ce peut être à double tranchant et rendre la police complètement hystérique. La dissuasion armée peut fonctionner quand la sympathie du public est suffisamment grande, quand les résistant·es ont prouvé qu’ils et elles étaient compétents. Certains groupes dans l’histoire ont utilisé les armes pour faire des expéditions punitives avec l’espoir de décourager les prochaines attaques. Mais l’État étant si puissant et pour ne pas se laisser piéger dans un cycle de violence, il a été indispensable que les résistant·es aient la capacité d’escalader les punitions en conjonction avec d’autres stratégies de mobilisation de masse. Ce sont des exemples historiques et nous n’appelons pas s’attaquer aux personnes ni à former de groupes armés.
6. LOI MARTIALE ET CONTRÔLE DE LA POPULATION
Quand un mouvement de résistance est grand et a suffisamment de succès, les puissants peuvent mettre en place la loi martiale, des mesures contre-insurrectionnelles de sécurité trop importantes et envahissantes, des points de contrôle, comme c’est le cas en Palestine, ou dans tout pays totalitaire qui met en place des camps de concentration, c’est arrivé de nombreuses fois dans l’histoire.
Le but de ces contrôles étendus est d’intimider la population et de briser leur soutien à la résistance. Pour contrôler la population, le manuel américain de contre-insurrection suggère d’utiliser :
des recensements
des systèmes de pass, des cartes d’identité
des couvre-feu
des limites de temps de voyage
des limites et contrôle de visites de personnes venant d’une autre région
des points de contrôle sur les routes principales
Les lois martiales augmentent le pouvoir d’arrêter et d’emprisonner de la police et diminuent les droits civils pour pouvoir réprimer toute forme de résistance. Ce genre de chose peut paraître hors sujet pour des organisateurs dans des pays privilégiés. Mais nous assistons récemment à une augmentation de l’autoritarisme et de la xénophobie dans le monde, accentuée par les déplacement de réfugié·es, les crises et le changement climatique.
Et ne mettons pas de côté le privilège blanc. Par exemple aux États-Unis d’Amérique, 1 adulte sur 31 est sous une forme de contrôle correctionnel, mais ce ratio s’élève à 1 adulte sur 11 pour les personnes noires, parfois 1 jeune homme sur 3 dans certaines villes. C’est une forme de loi martiale invisible pour les personnes privilégiées.
Face à ces mesures, les mouvements de résistance ont plusieurs options. Les organisations à visage découvert et leurs allié·es peuvent utiliser cette répression pour augmenter leur soutien dans la population, faire appel à des problèmes partagés avec le public comme la vie privée, la liberté de circulation, la réelle sécurité etc. Des campagnes de désobéissance civiles peuvent être organisées contre ces mesures de contrôle, et les outils de contrôles peuvent être détruits. Certains groupes à visage découvert choisissent de passer dans la clandestinité.
Les groupes clandestins organisent leurs propres contre-mesures, comme la fabrication de faux papiers, des efforts pour contourner les points de contrôle et faire circuler clandestinement des activistes ou des personnes persécutées par le gouvernement.
7. CONCESSIONS PARTIELLES & COOPTATION
Quand toutes les autre méthodes pour réprimer la résistance ont échoué, il reste le fameux diviser pour mieux régner grâce à des concessions partielles et la cooptation. Les puissants peuvent offrir certaines concessions ou des « cadeaux » à certains segments de la population. Néanmoins cela ne doit pas être confondu avec une victoire en soi.
Pour toutes les personnes qui pensent encore qu’il faut utiliser la persuasion morale envers les gouvernements et les entreprises, que le pouvoir est un malentendu, l’analyse des stratégies de Stratfor est très enrichissante. Qu’est-ce que Stratfor ? Une société privée américaine spécialisée dans les renseignements. C’est une agence de renseignements qui aide les entreprises privées capitalistes à lutter contre les mouvements de résistance. Stratfor a eu notamment pour clients Nestlé, et des entreprises pétrolières faisant du profit dans l’apartheid d’Afrique du Sud. Wikileaks a révélé que Stratfor a eu pour employé Popovic, ce qui est toujours ennuyeux de le voir cité par des écologistes, ou des résistant·es quand on sait pour qu’il il travaille…
La formule utilisée par Stratfor et d’autres compagnies de relations publiques pour détruire les mouvements sociaux est la suivante : Diviser les mouvements en 4 parties : les radicaux, les idéalistes, les réalistes et les opportunistes.
Les radicaux. Les personnes radicales veulent un changement profond, elles sont les « activistes leaders fanatiques ». Elles veulent « la justice sociale et l’émancipation politique » et « voient les entreprises multinationales comme intrinsèquement mauvaises ». Les personnes radicales sont vues comme les plus dangereuses pour les personnes au pouvoir, parce qu’elles ne peuvent pas être achetées ou embrouillées, et parce qu’elles recherchent un changement à long-terme, elles n’abandonnent pas facilement après une défaite. Les personnes radicales ne peuvent être neutralisées qu’en les isolant de leurs sympathisant·es et du reste du mouvement.
Les idéalistes. Des personnes qui croient en une position morale pour elle-même, elles veulent voir « un monde parfait ». Stratfor les considère altruistes mais « naïves ». Les idéalistes sont crédibles auprès du public car ils et elles ont un pur altruisme, et c’est très puissant qu’ils et elles s’allient avec les radicaux. Mais la croyance idéaliste dans la perfection est aussi leur vulnérabilité. Stratfor et compagnie s’en occupent en brouillant les cartes (par exemple « C’est mieux de faire venir le pétrole du Canada plutôt que du Moyen-Orient. Si vous êtes contre les sables bitumineux, vous soutenez la violation des droits humains en Arabie Saoudite ! »). L’objectif est d’embrouiller les idéalistes, de rendre la perfection inatteignable, et de les convertir en réalistes.
Les réalistes. Dans le jargon de Stratfor, ce sont les personnes qui sont le plus prêtes à faire des compromis avec les institutions. Elles veulent des changements superficiels plutôt que profonds. Elles sont un type de personnes libérales qui peuvent être traitées « sérieusement » et projetées contre les idéalistes et les radicaux. L’approche de Stratfor est de coopter les activistes et groupes « réalises », en faire des participants dans des mascarades de coalitions, afin de donner un vernis de changement social au business as usual.
Les opportunistes. Ce sont les personnes qui recherchent des gains personnels comme l’argent ou la gloire. Certaines d’entre elles recherchent surtout un job alors que d’autres sont des vraies activistes qui cherchent la célébrité en même temps que les victoires superficielles. Les opportunistes changent leurs positions en fonction des tendances, elles gardent une approche libérale tant que ça peut leur apporter du respect et de l’argent, mais peuvent permuter vers une approche plus militante si le vent tourne ou qu’un scandale éclate. La doctrine de Stratfor est de les acheter en leur donnant un job ou une concession facile et superficielle en sachant qu’elles vont se désintéresser et passer à autre chose.
Ces 4 catégories sont imparfaites mais nous pouvons les utiliser pour comprendre comment les puissants essayent de démanteler nos mouvements. Nous pouvons utiliser les mêmes catégories que Stratfor et les inverser en nous demandant : « Comment pouvons-nous orienter chacune de ces catégories dans le but de rendre notre mouvement plus fort ? »
Les radicaux. C’est simple. Les personnes radicales sont les plus engagées en faveur du changement réel, notre objectif doit être de les connecter aux autres parties du mouvement (Seul l’isolement peut vaincre les radicaux).
Les idéalistes doivent être changées en radicaux en les connectant au mouvement de résistance vivants et à toute cette tradition d’actions qui ont créé de réelles transformations sociales.
Les réalistes. Nous devons leur faire comprendre que le seul chemin « réaliste » pour des progrès durables passent par des changements radicaux ; il peut y avoir des étapes intermédiaires sur le chemin de la victoire, mais le succès définitif n’arrivera qu’en déracinant les profonds systèmes de pouvoir.
Les opportunistes sont les personnes les plus dangereuses pour les mouvements de résistance, parce qu’elles utilisent parfois le langage radical ou militant mais sont en réalité inconstantes et prédisposées à se vendre. Leurs pires tendances doivent être limitées et contenues. Les opportunistes sont attirées par des positions de pouvoir où elles n’ont aucun compte à rendre. Se protéger des opportunistes passent par s’assurer que nos organisations locales ont des processus de décisions participatives. Et nous devons aussi construire des mouvements profonds avec des stratégies à long terme et des objectifs radicaux.
Les concessions partielles offertes par le pouvoir sont généralement calculées pour saper le mouvement de résistance et donner l’impression que celles et ceux au pouvoir ne sont « pas si mauvais » ou qu’ils et elles ont changé leur façon de faire. Le but est d’abord d’avoir l’air de concéder certaines demandes, et plus spécifiquement de diviser le mouvement entre celles et ceux qui veulent continuer de se battre et les autres qui acceptent de coopérer. Les bureaux de contre-espionnage vont pour cela essayer de comprendre les fractures possibles au sein d’un mouvement, ce qui peut diviser en suivant les différents seuils de ce qui est considérer comme un succès. Gagner des concessions n’est pas la même chose que remporter la victoire. Mais forcer à des concessions dans un système imparfait peut avoir de la valeur pour faire des progrès et construire le mouvement, la dynamique.
Le pouvoir peut aussi saper la solidarité en proposant les accords avec certains prisonniers et pas avec d’autres. Le gouvernement demanda par exemple à Nelson Mandela de renoncer au conflit armé. Il refusa toute forme de négociation, ainsi que toute proposition qui lui donnerait la liberté mais pas celle de ses camarades emprisonné·es. Il déclara « Seuls les hommes libres peuvent négocier. Les prisonniers ne peuvent pas signer de contrats ». Parfois les offres de concession et de négociations, notamment avec les résistant·es indigènes, sont purement et simplement des pièges pour capturer et assassiner les leaders qui viennent discuter. Dans certains pays plus libéraux comme la France les concessions mènent à des mascarades de « consultation » et négociations. Les puissants nous flattent, nous font penser que nous faisons partie du processus. Ainsi nous dirigeons notre énergie dans des procédures gouvernementales chronophages et inoffensives.
Un mouvement de résistance ne gagne pas en laissant les puissants choisir les termes et les agendas, mais en perturbant le business as usual. Il ne gagne pas en s’asseyant poliment dans un hôtel de ville mais en portant les problèmes dans la rue. Cela ne veut pas dire que le mouvement ne doit jamais participer à des consultations. Mais s’il y a un signe que le gouvernement est prêt à faire des concessions, les manifestations et dérangements doivent augmenter.
Le plus grand danger est quand le pouvoir tente de coopter le langage, les causes et les programmes de la résistance. Par exemple le parti Nazi (National Socialiste) n’avait rien de socialiste et a fait tout son possible pour détruire les syndicats et les droits des travailleur·ses. Toutes les causes peuvent être cooptées avec un peu d’argent et l’aide de libéraux complaisants. La cooptation a été la technique la plus utilisée récemment contre les mouvements écologistes, les rendant inoffensifs grâce au greenwashing.
Les concessions et cooptations sont de loin l’attaque la plus difficile à gérer. Les gouvernements peuvent faire de réelles concessions, et beaucoup de personnes seront tentées d’accepter et d’arrêter de se battre. Pour contrer cette arme cynique, encore une fois les résistant·es doivent maintenir la solidarité. Quand c’est possible, les groupes doivent éviter d’accepter les concessions ou de négocier sans consulter les allié·es. Tant que tout le monde est solidaire, c’est difficile pour le pouvoir de faire quoi que ce soit. Mais si certain·es abandonnent, la solidarité se désintègre rapidement. C’est pourquoi le but, l’objectif ultime du mouvement doit être bien défini. Pourquoi luttons-nous au final ? Les groupes et mouvements doivent discuter et comprendre ce que signifie une victoire.
Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la plupart des techniques de répression consiste à séparer les combattant·es ou activistes sur le front du reste de la base qui les soutient. Quand cela arrive, les activistes vont manquer de ressources pour continuer la lutte. Pour gagner, nous devons surmonter la répression et créer une puissante base de soutien pour rendre le mouvement auto-suffisant. C’est de ça dont nous parlerons la prochaine fois.
Voilà la fin de ce troisième épisode consacré à l’ouvrage Full Spectrum Resistance d’Aric McBay. Merci d’avoir écouté et merci à l’auteur pour l’autorisation de mettre en ligne ce podcast. J’ai résumé au maximum, mais la partie sur les renseignements et contre-espionnage était tellement importante que cet épisode est un peu dense. Dans le quatrième épisode, nous parlerons de Logistique, de Collecte de Fonds, d’Actions, de Tactiques, de Stratégies et de Campagne, encore un programme ambitieux et passionnant. N’hésitez pas à partager cet article si vous l’avez trouvé intéressant. Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’ouvrage Full Spectrum Resistance sur fullspectrumresistance.org. Il sera aussi traduit intégralement en français et publiés aux Éditions Libre en 2020.
Dans ce deuxième épisode nous verrons comment recruter et garder de nouvelles personnes, comment organiser et coordonner différents groupes, trouver des allié·es, se protéger de la répression, choisir ses cibles, ses stratégies et tactiques pour mobiliser une force politique rapidement.
L’auteur prend ici l’exemple de la Coalition pour une Afrique du Sud libre à l’Université de Columbia en 1985 et la façon dont le groupe a été surpris de l’engagement de centaines de nouveaux membres au moment où ils et elles sont passés de la tactique des marches à l’occupation d’un bâtiment. Cet exemple illustre un point central du livre : les gens se battent quand il pensent qu’ils vont gagner, (ça paraît évident dit comme ça mais on l’oublie souvent), nous avons besoin de victoires même petites, sur le chemin d’un plus grand succès. Nous allons voir comment cela est décisif pour un groupe ou une organisation, et sa capacité à atteindre et recruter de nouveaux membres.
La fabrique d’un radical
En étudiant les parcours individuels des activistes, de comment ils et elles en sont arrivés à s’engager dans une lutte, on note la récurrence de certains schémas. Comprendre ces schémas peut nous aider à toucher de nouvelles personnes. Les résistant·es font face à des luttes difficiles qui demandent d’abandonner certains privilèges, d’entrer parfois en conflit avec son entourage, de risquer son confort, parfois sa propre vie, sans avoir la certitude de voir la victoire advenir. Comme on s’en doute, la plupart des personnes ne fera pas ça. À quoi ressemble un ou une résistante et comment devient-on radical ?
Dans les expériences de comportement social et psychologique, les personnes qui résistent ont un certain type de caractère, elles refusent de se conformer et d’abandonner. Elles sont en général intelligentes et prévenantes, sûres d’elles-mêmes, un peu rebelles mais capables de nouer des relations avec les autres. Les résistant·es ont la réputation d’être de grands rebelles mais les plus efficaces sont rarement des ermites ou des solitaires car la résistance fonctionne grâce à des actions de groupe.
Les membres de la Résistance Française par exemple n’étaient pas des franc-tireurs inadaptés, marginaux, irrationnels, mais des individus avec une exceptionnelle et solide qualité mentale, prêts à rompre avec leurs amis et leur famille si besoin. Nous allons voir plus en détail que trois ingrédients clés sont nécessaires pour qu’une personne passe de dissidente à résistante active : l’expérience personnelle, des catalyseurs de radicalité et les préalables à l’action.
Expérience personnelle
Beaucoup de personnes résistantes ont fait l’expérience directe d’une oppression ou d’une injustice très tôt dans leur vie. Assister aux injustices de près peut aussi avoir un effet de radicalisation. Ces expériences vont de paire avec une méfiance envers l’autorité, puisque les abus arrivent souvent de la part de figures d’autorité. Et presque toujours ces personnes ont fait l’expérience de l’échec des méthodes traditionnelles ou peu risquées de changement social, comme les manifestations (les marches pour le climat), ou le lobbying (les pétitions). Avec la fin des illusions grandit la méfiance envers le pouvoir. Souvenez-vous bien de ce point, un ou une radicale ne sort pas de nulle part : pour devenir radicale, une personne doit au préalable s’engager suffisamment dans un changement social ou politique jusqu’à ce qu’ils échouent, et se poser des questions.
Catalyseurs de radicalité
Pour passer d’un sentiment d’impuissance, de défaite et de dépression, les personnes doivent laisser de côté le pessimisme individualiste et adopter un optimisme radical. L’éveil politique à la radicalité passe en partie par la compréhension que si les discriminations touchent les individus, elles ne résument pas à des problèmes individuels car elles ont des causes systémiques.
Faire l’expérience d’une oppression n’est pas suffisant pour fabriquer un ou une radicale. Il faut du temps, des outils et des personnes. Du temps d’abordpour examiner ces expériences, parfois pendant une rupture avec le quotidien, pendant un voyage, pendant le chômage, un séjour en prison etc. Il faut aussi des outils analytiques pour comprendre le monde, qui peuvent être variés, ce sont les philosophies politiques, le socialisme, le marxisme, l’anarchisme, le féminisme et même certaines œuvres ou mouvement artistiques. En enfin il faut des personnes avec qui pouvoir en parler et agir, dans des espaces où l’on se sent en sécurité avec des gens qui partagent des expériences communes.
Préalables à l’action
Bien, la personne a pris du temps pour réfléchir et comprendre, elle a des idées radicales c’est parfait. Mais maintenant pour qu’elle puisse passer à l’action, elle a encore besoin des choses suivantes :
Un groupe de personnes pour mener des actions. Seule et sans action, elle entrera dans une spirale défaitiste
Des modèles, c’est à dire d’autres gens ou d’autres mouvements pour l’inspirer
Un récit mental de comment arrive un changement social
Le sentiment que la victoire est possible ou une menace imminente
Du temps disponible. C’est une des raisons pour laquelle on trouve beaucoup de radicaux jeunes, universitaires, ou issus de la frontière entre prolétaires et classes moyennes. Ils et elles sont suffisamment aisés pour survivre dans la société, mais pas trop au point de devenir complaisant avec le système. Ces personnes ont accès à des outils intellectuels qui catalysent la radicalisation.
Ces trois ingrédients clés, expérience personnelle, catalyseurs et préalables à l’action ne sont pas à voir comme une expérience linéaire (d’abord une expérience, puis des catalyseurs et enfin un groupe et un récit mental et c’est terminé), mais plutôt un cycle. Chaque nouvelle expérience personnelle vient alimenter les réflexions, nous disposons de plus en plus d’outils d’analyse et de personnes autour de nous pour discuter et agir. Cette trajectoire de radicalisation est comme une spirale qui approfondit notre désir de changement, notre compréhension du monde et l’efficacité de notre lutte.
Individualisme pessimiste VS Radicalité optimiste
Pour aider les personnes à agrandir leur conscience politique, un bon moyen est mettre en évidence la différence entre la pensée radicale et le discours dominant libéral. Je trouve intéressant les trois axes suivants, qui reviennent très souvent dans les discussions avec les personnes en voie de radicalisation : la cause, l’étendue et la durée.
Cause. Pour les individualistes, les libéraux, la cause d’un problème est toujours à chercher dans l’individu. Par exemple « Il est pauvre parce qu’il est feignant, c’est de sa faute » ou « Si les hommes méprisent cette femme, c’est parce qu’elle montre des signes de faiblesse, c’est de sa faute ». Les radicaux quant à eux, remontent à l’origine des problèmes, mettent en évidence les causes externes, en terme de système qui nous affecte toutes et tous, par exemple « Nous sommes pauvres car le capitalisme nous exploite et les riches manipulent le système », ou encore « Si les hommes méprisent cette femme, c’est une des manifestations du patriarcat ».
Étendue. Les individualistes ont tendance à penser que l’étendue du problème est totale, qu’il est omniprésent « Il y a des pauvres de partout, impossible d’y échapper » ou « C’est normal que les hommes soit un danger pour les femmes, les garçons sont tous comme ça ». Alors que les radicaux sont conscients que certaines inégalités sont spécifiques à certains pays, certaines régions, par exemple « Beaucoup de pays ont des taux d’inégalité plus bas » ou « Non, toutes les sociétés ne sont pas patriarcales, et toutes les cultures ne sont pas des cultures du viol »
Durée. Et enfin la pensée individualiste libérale raconte que l’exploitation est trans-historique, intemporelle, par exemple « Il y a toujours eu de la pauvreté, du patriarcat, du racisme, et ce sera toujours le cas ». Les radicaux ont conscience que ces phénomènes ont une existence temporelle « Les systèmes de pouvoir sont des constructions sociales, assez récentes pour certaines, elle n’ont pas toujours existé, nous pouvons les démanteler, et d’ailleurs c’est ce que nous allons faire le plus vite possible et par tous les moyens nécessaires »
Recrutement efficace
Maintenant qu’on connaît les ingrédients clés nécessaires pour qu’une personne passe de dissidente à résistante active, voilà quelques conseils pour recruter efficacement :
Savoir pourquoi vous recrutez. Si vous voulez former un noyau engagé qui va prendre des décisions stratégiques, le mieux est de recruter directement et soigneusement entre 5 et 10 personnes de confiance qui ont suffisamment de points communs pour travailler ensemble. Et si vous recherchez juste des personnes pour assister à un évènement, vous pouvez entrer en contact publiquement avec le plus de personnes possibles.
Demandez des petites actions, puis escaladez. C’est la base de l’engagement, pour rassurer les personnes et proposer des responsabilités de plus en plus grandes. Les petites actions peu risquées permettent aussi de rencontrer de nouvelles personnes et d’identifier qui pourra plus tard faire partie d’une équipe.
Utiliser des cercles d’engagement. (comme sur le graphique 4-3) Le mouvement est comme un jeu de cercles concentriques. Au milieu se trouvent les personnes les plus impliquées (cadres et combattant·es). Autour se situent les auxiliaires (supporters et personnes qui aident). Et en dehors de ça se situe la base du mouvement, un grand groupe de sympathisants, le plus souvent passif au milieu de la population. Pour recruter, vous devez constamment attirer les personnes vers l’intérieur des cercles. À chaque étape correspond différentes méthodes. Et bien sûr un groupe sein n’encouragera la participation des personnes qu’à la hauteur de ce qu’elles peuvent offrir, sans forcer.
Rencontrer des personnes à des conférences ou évènements sociaux. Les relations entre individus créent des liens plus forts que des théories abstraites. Les personnes ne prendront pas des risques au nom d’une idéologie mais bien sur la base de l’empathie, de l’amitié, du courage et de la rage.
Organisez un grand évènement. Certaines actions spectaculaire n’ont pas beaucoup d’effet matériel mais peuvent être un bon moyen d’atteindre et de recruter de nouvelles personnes. C’est un peu un effet de mode avec lequel on peut jouer, des tactiques visibles, étonnantes, théâtrales, vont être perçues comme plus puissantes.
Restez en contact. Trouvez un moyen de garder contact avec les personnes atteintes. L’idéal est qu’un membre du groupe tienne une liste des personnes à contacter pour les prochains évènements. Internet est un bon moyen de suivre l’activité d’un groupe
Entrainez vous à surmonter les peurs. C’est normal d’avoir peur de la répression, mais pour ne pas que cette peur devienne paralysante, il faut apprendre comment agir en situation de danger, comprendre la lutte, et trouver du réconfort au sein du groupe.
Créez des documents concis, dynamiques et faciles à transmettre.
Proposez à chaque membre d’inviter un·e ami·e
Adaptez les agendas, ajustez au mieux les horaires de rendez-vous, en proposant un peu de nourriture, des gardes d’enfants etc.
Adressez-vous à des personnes déjà concernées par votre cause.
Faites des demandes directes. N’ayez pas peur de demander à quelqu’un en particulier de faire une tâche précise, c’est une marque de confiance.
Sélectionnez les volontaires, notamment pour les situations dangereuses ou les tactiques sérieuses. Pour les groupes clandestins, c’est une étape cruciale
Sachez dire non, avec tact. La composition du noyau du groupe détermine à quel point il sera amical, efficace et durable donc n’ouvrez pas la porte à n’importe qui. Si vous devez agrandir le groupe pour massifier, attendez peut-être d’avoir un noyau qui fonctionne.
Faites un plan de recrutement et revisitez-le de temps en temps. Demandez-vous ce qui fonctionne et ce qu’il faut laisser de côté.
Tissez les liens solides, qui sont indispensables pour maintenir le groupe dans les moments difficiles. Ces liens humains sont souvent plus importants que la recherche de pureté idéologique au sein du mouvement, même pour les groupes radicaux.
L’exemple d’Amilcar Cabral
Amilcar Cabral fut le fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert. Il fut un brillant stratège et son parti fut le premier mouvement nationaliste d’Afrique noire à obtenir l’indépendance grâce à un conflit armé. Cabral fut révolté par le colonialisme portugais qui exploitait les personnes et la terre, jusqu’à provoquer la famine d’un quart de la population.
Le succès de Cabral ne vint pas d’une avant-garde centralisée et autoritaire, ni d’une idéologie rigide, mais au contraire de la capacité du mouvement à agir sans avoir besoin de lui. Cabral recruta, radicalisa et entraina de nombreux organisateurs, hommes ou femmes, qui vivaient et recrutaient eux-mêmes des personnes de leurs villages. Il savait écouter, expliquer et convaincre avec gentillesse et douceur, sans agressivité. Il comprit qu’un mouvement peut réussir quand les militants savent clairement ce qu’ils veulent et les raisons de leur engagement.
La droiture de pensée, offensive a parfois sa place, mais rarement quand il s’agit de se faire des allié·es ou de recruter des sympathisants. Cabral refusait les étiquettes idéologiques comme « marxiste » et préférait se concentrer sur l’organisation, l’entraînement et l’autonomie alimentaire. Pour lui, les gens ne se battent pas pour les idées de quelqu’un d’autre mais pour leur conditions de vie et le futur de leurs enfants.
Ses formations ressemblaient à des jeux de rôle, des ateliers pour s’entraîner à débattre, et répéter jusqu’à ce que ça devienne naturel. Ils ne donnait pas de grands discours sur le colonialisme, car ça ne fonctionne pas. Cabral préférait plutôt un dialogue avec pédagogie pour faire découvrir l’exploitation aux personnes par elles-mêmes, de leur propre expérience.
Le mouvement de Cabral s’est battu et a gagné. Le Parti africain pour l’indépendance est passé en quelques années d’un mouvement non-violent à une guérilla armée capable d’attaquer et de saboter, et enfin jusqu’à des techniques militaires plus avancées pour gagner et conserver des territoires. Finalement la Guinée et le Cap Vert obtiennent leur indépendance en 1973 ce qui participe à la chute du régime fasciste au Portugal l’année suivante.
Entraîner et retenir
Qu’entend-on par entraînement ? C’est tout ce qui va permettre aux groupes de :
Développer leur analyse, vision et stratégies
Comprendre le fonctionnement d’un groupe et des prises de décisions
Résoudre des conflits
Développer des structures d’apprentissage égalitaires et décentralisées
Les mouvements grandissent quand ils sont capables de consolider le groupe, d’entraîner et de retenir leurs membres à l’intérieur. Cela ne sert à rien de recruter de nouvelles personnes si vous ne pouvez pas les retenir au sein du mouvement. Voici donc quelques conseils.
Créez un environnement accueillant en combattant les pratiques oppressives, en présentant une nouvelle personne au reste du groupe. Trop souvent dans les milieux radicaux, les militants sont hostiles envers les inconnus, ce qui est décourageant et le signe d’une culture de défaite.
Donnez aux nouveaux un guide, une personne dans le groupe qui sera bienveillante, pour les aider à s’intégrer au groupe, répondre aux questions, les encourager à participer. C’est aussi l’occasion pour le guide d’évaluer certaines qualités chez les nouveaux.
Écrivez un petit manifeste qui aide les nouveaux à comprendre le but du groupe. Il doit être court, concis, et pratique, d’environ un paragraphe ou une page. Il éclaire sur le but des actions et sur les prises de décision.
Moins de réunion, plus d’action. Gardez une certaine dynamique. La majorité des personnes déteste les réunions et sera plus encline à participer à des actions, des activités, des ateliers en tout genre.
Attention au burnout, qui peut arriver quand un membre est à la fois tendu et engagé. La personne va d’abord manquer de motivation, être cynique, fatiguée, ne pas se sentir elle-même. Il faut prendre le temps d’en parler avant que ne surgisse la dépression.
Montrez aux autres que vous les appréciez. La reconnaissance sociale et les compliments sont la meilleure (et la moins chère) des récompenses. Pas la peine de faire de grandes cérémonies, mais remarquer et féliciter le travail des autres peut vraiment faire la différence.
Faites des réunions efficaces. Tout le monde n’a pas à participer à chaque décision, ça peut devenir vraiment fatiguant. Certaines décisions très simples ou très complexes peuvent être prises en dehors de réunions, à deux ou trois personnes, avant ou après les réunions, ou même par sms ou email.
Faites attentions aux tâches. Dans les organisations composées de bénévoles, c’est parfois difficile de savoir qui s’occupe de quoi exactement. Répartissez les tâches par binômes ou trinômes plutôt que à tout le monde dans un flou artistique, et finalement à personne.
Équilibrez bien travail et relations sociales. Certains groupes sont surtout sociaux mais ne réalisent pas grand-chose, alors que d’autres sont presque « professionnels » mais l’absence de liens solides entre les membres les rend fragiles. Il faut de la place pour les deux, cool et studieux.
Développez des talents de leadership. Ce qui ne signifie pas devenir autoritaire et tyrannique. Le leadership est essentiel pour mobiliser les personnes dans des actions. Dans un mouvement anti-autoritaire, libertaire, les qualités à développer sont la capacité au dialogue, à créer des consensus, écouter, convaincre, motiver, résoudre les conflits, planifier et être stratégique, créatif, sûr de soi et rigoureux.
Aidez les gens à s’identifier au groupe, notamment grâce à des prises de décisions collectives, et bien sûr en ayant un ennemi commun. Si les personnes s’identifient suffisamment au groupe, en cas de menace elles réagiront en tant que groupe puissant et énervé.
Comprenez ce que les membres recherchent réellement au sein du groupe et essayez de leur apporter. Ce peut être entre autre la réussite, la découverte, la reconnaissance, un développement personnel, un retour, changer la société, l’amitié, et le sentiment d’appartenance.
Réglez rapidement et efficacement les conflits et les personnalités difficiles, grâce à une éthique de la parole, un rejet des comportement oppressifs, et en excluant les personnes très perturbatrices.
Quand un personne quitte le groupe, comprenez ce qui s’est passé et ce qu’il faudrait changer. Par exemple en posant des questions à la personne qui est partie, en demandant des suggestions. Les groupes clandestins ont besoin d’un processus de départ clair. Les résistants qui quittent le groupe avec des informations sensibles peuvent mettre les autres en danger, il faut mettre tout ça au clair au moment du départ et définir les comportements à avoir pour garantir la sécurité de toutes et tous.
Je sais que tout ça est dense, mais pour résumer ce chapitre, nous avons vu que les personnes rejoignent un groupe de résistance pour trois raisons principales :
Parce qu’elles pensent que ce groupe est efficace
Parce que le groupe est accueillant et correspond aux types d’actions qu’elles trouvent nécessaires
Parce qu’elles veulent faire partie d’une communauté
Voilà pourquoi les grands groupes modérés ont du mal à recruter parce que beaucoup de personnes (comme les radicaux) comprennent que leurs tactiques sont souvent vouées à l’échec. Et voilà aussi pourquoi les groupes plus militants peinent à recruter quand ils n’adoptent pas une véritable culture de résistance, quand ils se focalisent à outrance sur la pureté idéologique, quand ils dénigrent systématiquement les petites victoires réformistes, ou quand ils sont arrogants avec les nouveaux venus… et ça c’est triste. Et nous avons vu comment surmonter ces défauts. Mais recruter des personnes n’est que la première étape pour un groupe, nous allons maintenant voir comment organiser ces personnes.
Chapitre V. Groupes et organisation
La leçon de Stonewall
Comme à de nombreuses reprises dans son ouvrage, Aric McBay étudie en détail certaines luttes passées et leur contexte pour comprendre et en tirer des leçons. Dans ce podcast, je ne peux pas malheureusement pas être exhaustif, je survole. Ici l’auteur revient sur Stonewall, la série d’émeutes qui ont eu lieu en 1969 à New York et qui ont été un moment très important du mouvement LGBT.
Stonewall a bel et bien été une émeute entre autres des homosexuel·les, personnes trans, non-blanches et drag queens contre les agents de police qui avaient pour habitude de les harceler. Ce 27 juin 1969, ils et elles refusent de se soumettre, attaquent les voitures de police, lancent des projectiles, cassent des vitrines, tiennent la rue et repoussent les forces de l’ordre.
Les changements dans le mouvement LGBT sont immédiats après ce soulèvement et débouchent sur des transformations politiques. Cependant, Stonewall n’était pas la première émeute de ce genre, mais les militants sont arrivé à « institutionnaliser » l’émeute. C’est ce qui nous intéresse car il peut être facile de démarrer une émeute, [et drôle] mais beaucoup plus difficile d’en faire une institution. Quand on parle d’institution, il ne s’agit pas forcément d’une organisation centralisée (comme l’Église catholique par exemple), mais plutôt dans le sens où la Pride est devenue une structure sociale et politique qui persiste et progresse dans le temps. Alors qu’est-ce qui fait la particularité de Stonewall ?
Certes Stonewall a duré plus longtemps que les deux émeutes précédentes et impliqué plus de personnes. Mais la réponse n’est pas dans l’intensité des émeutes, la différence se situe dans le contexte politique et social. L’emplacement géographique et social de Stonewall a été décisif. La communauté présente et active de Greenwich Village a permis de consolider et faire grandir le mouvement de libération gay.
C’est une leçon qui concerne à la fois les libéraux et les radicaux. D’importants progrès peuvent être réalisés en combinant action et organisation. Nous avons déjà vu que les libéraux ne comprennent pas le rôle clé des militants radicaux dans un mouvement de résistance. Ok. Mais de leur côté, trop souvent les militants radicaux ne comprennent pas le rôle important que des organisations modérées peuvent jouer dans un changement radical.
Certes, l’activisme militant est essentiel, indispensable pour une résistance victorieuse. Mais pour gagner du territoire, les gains obtenus par le militantisme le plus offensif doivent être incorporés dans des organisations durables et dans la vie de tous les jours. La critique est valabe pour les militants comme pour les modérés les deux doivent sérieusement apprendre à s’écouter et comprendre le rôle clé de chacun dans cet effet de cliquet : les petites organisations militantes offensives poussent la résistance en avant, et les grands groupes modérés défendent et consolident les gains ainsi obtenus.
Attention donc au seul spectacle de l’émeute, à cette obsession militante qui peut nous faire négliger la valeur du travail de base d’organisation. Le pouvoir étant de plus en plus concentré, centralisé, et les technologies de contrôle de plus en plus développées, le besoin d’une résistance organisée n’a jamais été aussi grand.
La tyrannie de l’absence de structure
Tout d’abprd quelques définitions :
Un groupe est un ensemble d’activistes qui s’organisent et travaillent ensemble, généralement ils et elles se connaissent personnellement.
Une organisation est plus large, plus structurée et consiste souvent en plusieurs groupes travaillant ensemble. La structure détermine comment les groupes communiquent, prennent des décisions, recrutent, s’entrainent, etc.
Un mouvement englobe plusieurs organisations, groupes et individus qui travaillent à peu près dans la même direction, ont un objectif politique, social, économique en commun. Les mouvements puissants sont diversifiés et capables de mener des actions collectives.
La tension entre organisation et spontanéité informelle n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 70, la féministe Jo Freeman mettait en cause l’absence de structure dans les cercles de discussion, qui devient un moyen de masquer le pouvoir, et les privilèges des personnes qui ont l’habitude de prendre la parole. Un groupe de discussion informel peut être excellent pour élever le niveau de conscience de ses participants. Mais si le groupe veut aller plus loin et s’engager dans des actions plus spécifiques, il doit adopter une structure : « Les règles de prises de décision doivent être ouvertes et accessibles à tout le monde, et ceci ne peut avoir lieu que si elles sont formalisées ».
Éliminer les structures hiérarchiques et autoritaires est très important pour qu’un groupe se démocratise, mais il ne doit pas pour autant rejeter toute structure. Des personnes comme Barbara Epstein ou l’auteur Aric McBay, ayant participé à des rassemblements pendant le mouvement antimondialisation ont exprimé leurs inquiétude sur l’absence de structure. D’autant que si la police a amélioré ses méthodes de contrôle et de répression, nous n’avons pas de notre côté amélioré nos modes d’organisation.
C’est un sujet sensible et c’est une personne qui se méfie terriblement de l’autorité qui vous parle : l’absolutisme moral de la pensée anarchiste est difficile à maintenir dans un contexte de mouvement social. Les mouvements ont besoin de leaders (de personnes qui entraîne les autres). Nier cet aspect ne nous débarrasse pas des leaders mais nous conduit au déni que nous avons des leaders parmi nous, à leur absence de remise en cause démocratique, et à la difficulté de les remplacer le moment venu. Bien sûr, certains anarchistes dans l’histoire ont bien compris cette tension et le besoin de s’organiser, comme ce fut notamment le cas des anarchistes espagnols pendant la guerre civile contre l’armée fasciste de Franco. Ils et elles ont formé des milices de combat, avec leurs propres officiers élus pour mener certaines batailles de terrain, en posant des limites à leurs privilèges.
On a compris que le rejet d’une structure est une impasse, et que l’organisation et la structure d’un mouvement déterminent quel genre de tactiques il va pouvoir utiliser. Si les grands mouvements libéraux de masse ne sont pas propices au secret, les cellules clandestines sont nulles pour mobiliser les masses. Le problème est que beaucoup de groupes s’organisent d’une certaine façon en fonction de leur valeurs personnelles, idéologiques, et ensuite essayent de décider ce qu’ils vont faire. Il faut réfléchir dans l’autre sens. Nous avons besoin d’organisation, la seule question est : quel type d’organisation ?
Tensions organisationnelles
S’organiser efficacement dépend de nombreux facteurs : objectifs et stratégies, culture et expérience des résistant·es, répression de l’État, et capacité de communication et de logistique.
Voilà pourquoi il n’y a pas une bonne façon, universelle, intemporelle, dogmatique, d’organiser un mouvement ou un groupe de résistance, mais il y a des tensions fondamentales que les groupes résistants doivent considérer avec attention.
Par exemple, est-ce meilleur pour un groupe d’être petit et de confiance ou bien large et tentaculaire ? Est-ce préférable d’avoir une planification centralisée ou bien totalement participative où tout le monde prend part à chaque décisions ? Faut-il faire appel à un grand nombre de volontaires ayant le même statut, ou bien faut-il un noyau d’organisateurs entraînés ? La réponse à ces questions dépend des objectifs et de la culture du mouvement. Un groupe qui veut faire de l’éducation populaire et de la propagande a des besoins organisationnels très différents d’un groupe qui s’engage dans un conflit direct.
William Gamson a compilé des recherches sur une cinquantaines de mouvements sociaux américains pour évaluer leur succès en fonction de leur organisation. Mais avant tout il faut bien comprendre ce qui représente un succès pour un mouvement de résistance. Lapréemption est une chose, la cooptation en est une autre.
Qu’est-ce que la préemption ? Être préempté, c’est réussir à imposer un changement, de conquérir des nouveaux avantages politiques, sans nécessairement être accepté politiquement. C’est ce que recherche un mouvement de résistance, obtenir des changements concrets sans faire partie des structures de pouvoir dominantes car ces dernières ne sont pas légitimes ou juste.
Qu’est-ce que la cooptation ? En revanche être coopté, c’est être intégré au pouvoir sans créer de changement. C’est vraiment la pire chose qui puisse arriver aux résistant·es, pire encore que l’échec total. Non seulement l’objectif n’est pas atteint, mais les personnes et les ressources du mouvement sont englouties dans une voie sans issue.
Au regard de la préemption, cooptation ou échec, nous allons étudier en détail 7 tensions organisationnelles différentes :
Petit ou Grand
Centralisé ou Décentralisé
Formel ou Informel
Consensus ou Hiérarchie
Clandestin ou Ouvert
Modéré ou Militant
Tout est permis ou Code de conduite
Une grande organisation peut rassembler plus de ressources, mobiliser plus de personnes, et exercer une plus grande force économique, physique et sociale. Elle peut avoir une plus grande influence sur les élections (c’est d’ailleurs souvent son objectif à court terme…) Cependant, contrairement aux idées reçues, la taille d’un groupe a peu d’impact sur ses chances de succès. Les groupes réunissant des dizaines de milliers de personnes ne réussissent en général pas plus que des groupes de quelques dizaines ou centaines de personnes. Pour massifier, il faut recruter beaucoup de membres, le plus vite possible, parfois avec moins d’engagement politique, il faut édulcorer les positions politiques, aligner les tactiques sur le plus petit dénominateur commun… L’erreur classique est d’abandonner la confrontation et les revendications radicales au profit de la respectabilité et du discours de « changement personnel », ce qui est une impasse pour tout mouvement de résistance. Aucune chance d’accepter une émeute ou un débordement, les grands groupes ont ainsi plus de risques d’êtreacceptés par leur adversaire, et en conséquence d’être cooptés.
En général s’il faut choisir, il est donc préférable d’avoir un petit groupe qui peut entreprendre des actions militantes plutôt qu’un grand groupe qui les rejettent. De plus, les grands groupes posent des problèmes pour les prises de décisions et les questions de sécurité. Néanmoins il est bon pour un groupe de résistance de grandir pour ne pas rester isolé, facile à écraser et à détruire. Alors pour grandir et créer des alliances sans perdre les avantages d’une petite taille, un groupe devrait :
choisir ses nouveaux membres avec précaution
entraîner les nouveaux membres au même niveau que le reste du groupe
être clair avec les nouvelles recrues sur les objectifs du groupe
ne pas grandir trop vite
maintenir des sous-groupes affinitaires, des cellules compartimentées de confiance
ne pas partager les informations sensibles quand ce n’est pas nécessaire
garder un noyau du groupe, comme un comité exécutif pour la prise de certaines décisions
Une organisation de résistance est-elle plus efficace quand elle est centralisée ou quand elle est composée de petits groupes décentralisés ? Encore une fois, la réponse dépend desobjectifs. S’il s’agit de faire de la propagande ou distribuer des brochures, une masse décentralisée fonctionne souvent mieux. Mais s’il s’agit d’une organisation de résistance engagée dans un conflit risqué et prolongé avec ceux au pouvoir, une organisation aura des difficultés sans coordination centralisée. Un mouvement de résistance doit pouvoir faire face rapidement à la répression et être capable de prendre des décisions au moment opportun.
Les groupes unifiés peuvent mettre en commun leurs ressources, améliorer leur entraînement, et s’attaquer à des cibles plus ambitieuses par des actions simultanées, très efficaces dans le cadre d’un conflit asymétrique. Mais de puissants mécanismes démocratiques sont indispensables à un mouvement de base pour éviter qu’il ne soit capturé par des élites. Trouver le bon équilibre entre centralisation et décentralisation est une tâche difficile, de nombreux mouvements ont tenté de le faire grâce à des formes intermédiaires comme les fédérations et grâce à des mandats.
Le factionalisme, c’est à dire le morcellement en fragments divisés et en compétition, est une des choses les plus dangereuses qui puissent arriver à un mouvement. Le succès devient presque impossible. Conseils pour éviter le factionalisme :
Culture partagée : Nous ne parlons pas ici simplement d’une culture qui passe par la théorie, les films ou les livres, mais qui se construit par l’action collective et les sacrifices.
Discussion et processus de décision inclusif
Partage des ressources et de la logistique.
Résolution de conflit : Si nous avons des différents, nous devrions laisser de côté notre égo pour ne pas afficher de division en public, régler nos affaires entre nous, et combattre publiquement et avec unité notre ennemi commun.
La centralisation, quand c’est approprié, peut être un outil efficace pour surmonter les divisions internes, surtout quand la vie des personnes engagées est en jeu et que l’unité est nécessaire pour des raisons stratégiques et tactiques.
Ni trop, ni trop peu centralisé, le bon équilibre peut aussi dépendre des différents niveaux d’opération. La guerre asymétrique (type guerilla) est caractérisée par une planification centralisée des stratégies et une exécution décentralisée des actions tactiques. Les unités de résistance peuvent être séparées, sans possibilité de communiquer, surtout dans le cas de cellules clandestines. Elles doivent pouvoir être agiles, flexibles en toutes circonstances de terrain tout en prenant part à une stratégie plus grande.
Est-ce que le groupe est formel (chaque personne a un rôle clair et identifié) ? Ou bien informel (les personnes improvisent constamment et s’occupent des différentes tâches un peu comme bon leur semble) ? On parle de groupe formel quand ces trois conditions sont réunies :
Il y a un document écrit, concis ou détaillé, qui définit l’objectif et les stratégies de l’organisation.
Il y a une liste formelle des membres
Il y a au moins trois niveau d’organisation (comme par exemple un comité d’organisation, des membres actifs, et une masse de sympathisants)
L’organisation formelle, même si elle n’est pas forcément hiérarchique, augmente énormément les chances de succès d’un groupe, surtout quand elle est associé à une centralisation. Les groupes formels et centralisés ont les meilleur résultats. En revanche les groupes informels et décentralisés échouent presque toujours.
Quand des rôles sont clairement attribués, le niveau de préparation et d’engagement des membres augmentent, et les tâches nécessaires sont mieux assurées. On distingue en général 5 rôles différents, qui parfois se chevauchent
Les leaders inspirent et organisent le mouvement, prennent ou aident à prendre des décisions
Les cadres sont des activistes à plein temps, s’occupent des tâches quotidiennes, participent aux décisions, mobilisent les personnes etc
La ligne de front sont les militant·es directement en conflit avec le pouvoir, prennent le plus de risques
Les auxiliaires sont les sympathisant·es qui fournissent parfois de l’aide
Labase de masse, une communauté étendue de sympathisant·es qui soutiennent le mouvement mais n’ont pas de rôle particulier.
Jusque là, nous avons vu les tensions qui existent dans un mouvement qu’il soit petit ou grand, centralisé ou décentralisé, formel ou informel. Nous avons vu l’importance de trouver l’équilibre en vue d’accomplir des objectifs particuliers. Les groupes doivent aussi faire attention à ne pas considérer leur forme d’organisation particulière comme supérieure aux objectifs du mouvement. L’organisation et les stratégies employées dépendent de l’objectif à atteindre.
Exemple du Special Operations Executive (SOE)
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la mission du SOE britannique est d’aider les groupes anti-fascistes en Europe occupée. Ce qu’ils savent, ils l’ont appris en observant l’IRA en Irlande. Le SOE entraine des réfugiés et de immigrées pour retourner en Europe comme agents de résistance infiltrés. Le SOE met ainsi au point des réseau de résistance appelés « circuit ».
En arrivant sur place clandestinement, muni de faux papiers, l’agent du SOE recrute le noyau du circuit de résistance, une petite cellule de cadres. Les officiers sont choisis avec précaution pour que la sécurité soit intacte, en général de 5 à 7 personnes. Les membres du noyau créent ensuite de nouvelles sections ou cellules, spécialisées dans certains activités de résistance :
Sections opérationnelles : propagande, résistance passive, sabotage mineur (comme les accidents du travail ou les dysfonctionnements de matériel), sabotage majeur (groupe mieux équipé et entraîné), et activités paramilitaires.
Sections de soutien : communication interne, sécurité, réception, accueil, stockage et distribution, transport, comptabilité, recrutement, soins médicaux, et mesures d’urgence (cachettes et refuges).
Le recrutement se fait uniquement sur base des besoins, les personnes sont recrutées pour une mission et non l’inverse. Pour se coordonner avec la stratégie des alliés, chaque circuit, chaque cellule spécialisée est connectée avec le quartier général du SOE en limitant les communications.
Un mouvement composé de groupes diversifié est plus efficace. De même les organisations sont plus efficaces quand elles encouragent les membres à se spécialiser et à développer des compétences particulières. Le SOE a spécialisé ses officiers, son staff dans 9 domaines différents :
Personnel et administration
Renseignements et sécurité
Opérations
Logistique
Plans
Communication / Transmission
Entraînement
Gestion des ressources
Liaison civile
Suivant le contexte, le staff peut varier. Par exemple l’armée britannique a accentué la partie logistique, tandis que l’IRA irlandaise a plus développé ses compétences de renseignements.
Aïe sujet difficile pour les anarchistes. Est-ce qu’un mouvement de résistance est plus efficace lorsqu’il fonctionne par pur consensus ou quand il y a une hiérarchie claire ? Quels sont les avantages et inconvénients des différentes approches ? Les choix possibles s’étalent sur un spectre qui va de l’autorité rigide d’une armée para-militaire jusqu’à la souplesse du processus de consensus. Et encore une fois, ça va vous surprendre, mais la réponse dépend de l’objectif que veut atteindre le groupe. Le spectre des prises de décision en groupe peut s’illustrer ainsi :
Ordonner « Voilà le problème et ce que nous allons faire. Allez le faire »
Vendre « Voilà le problème , et ce que nous allons faire, et pourquoi j’ai pris cette décision. Allez le faire »
Tester « Voilà le problème et ma solution, qu’est-ce que vous en pensez ? » et le plan peut changer
Consulter « Voilà le problème, qu’est-ce vous pensez qu’on devrait faire ? » écouter les idées et choisir la ou les meilleures
Co-créer « Voilà le problème, imaginons une solution ensemble »
Chaque partie du spectre a ses avantages et inconvénients. Plus nous sommes directifs et plus les décisions peuvent être prises, réalisées et évaluées rapidement. Et plus nous sommes participatifs plus les stratégies et organisations créées seront fortes car riches de perspectives différentes. En revanche le consensus peut prendre beaucoup de temps, ce qui devient compliqué en situation d’urgence. Et sans direction claire, un groupe peut perdre son moral et son engagement.
Voici 4 types élémentaires de prises de décisions utilisés par les mouvements de résistance.
Classement par rang
La structure de rang permanent avec une chaine de commande précise est utilisée par les organisations militaires et para-militaires type guérilla. Mais aussi par d’autres organisations en situation d’urgence, comme le service d’urgence d’un hôpital ou les pompiers.
Sur le terrain de bataille, dans toutes situation où il y a un risque de vie ou de mort, les décisions doivent être prises si vite que la discussion n’est pas possible. Des discussions prolongées dans un bâtiment en feu peuvent être très dangereuses. Le classement par rang permet aux personnes de se spécialiser dans un rôle pour être performantes en situation de stress intense. L’objectif et l’organisation claires maintiennent l’unité et la discipline. Et si une personne est blessée, emprisonnée ou tuée, on sait immédiatement qui doit la remplacer pour que le combat continue. La hiérarchie est souvent utilisée dans les groupes clandestins afin que toutes les informations nécessaires ne soient accessibles que par un nombre très limité de personnes.
Mais les hiérarchies, comme les anarchistes le savent très bien, ont de grands défauts, surtout lorsque la situation n’est pas appropriée. Elles peuvent renforcer certaines hiérarchies sociales (comme le patriarcat ou la suprématie blanche), elles peuvent priver le groupe d’informations et de point de vue de valeur, faire taire des contestations pourtant légitimes, etc etc.
Pour compenser, les groupes résistants qui utilisent le classement par rang essayent de nommer avec le plus de précautions possibles, de consulter au maximum, de s’expliquer. Comme les zapatistes, ils peuvent mettre en place un corps démocratique qui dirige la politique militaire.
Un autre point faible est le risque que le groupe se fasse décapiter et soit donc incapable de fonctionner. Mais exactement comme une armée, un groupe résistant peut s’y préparer en sachant tout le temps qui doit prendre la place en cas de mort d’un officier, et être entraîné pour ça.
Hiérarchie dynamique ou de situations
Un groupe démocratique confie à certaines personnes une autorité spéciale dans des circonstances spécifiques. Ainsi le groupe peut prendre les décisions de façon participative tout en laissant la possibilité de réagir rapidement en cas d’action ou d’urgence. C’est une approche courante pour les groupes qui privilégient l’action directe comme par exemple la Coalition contre la pauvreté d’Ontario, les Deacons for Defense, les Anarchistes de la CNT espagnole, les combattantes kurdes, ou même certains pirates. Les grandes décisions et évènements sont organisés de façon démocratique, tout en déléguant une autorité spéciale et temporaire le temps d’une action, à un ou une capitaine de bataille.
Règle de la majorité
C’est le vote classique tel qu’on le connaît. Cette méthode simple, rapide, présente l’avantage d’être connue, et souvent considérée comme un moyen juste et légitime de prendre des décisions à des échelles diverses. La règle de la majorité peut aider à créer un consensus quand les personnes acceptent de se plier à la décision commune. Attention, si le vote est précipité, elle peut par contre exacerber les dissensions internes et provoquer une fracture du groupe. Pour donner plus de place au consensus, on peut décréter la majorité à 2/3 ou ¾ du groupe.
Consensus
Le groupe discute du problème jusqu’à ce que tout le monde (ou presque tout le monde) soit d’accord sur la solution. Il y a de nombreux modèles différents, plus ou moins formels ou structurés. Quand il fonctionne bien, le consensus est un processus puissant pour construire la solidarité au sein d’un groupe et trouver les solutions optimales. Dans le pire des cas, il peut devenir une énorme perte de temps qui paralyse le groupe entier sur des désaccords mineurs. Pour que le consensus fonctionne bien il faut :
Que le groupe ne soit pas trop grand pour que chacun puisse s’exprimer.
Que les membres partagent des objectifs et opinions similaires.
Que tous les membres soient sincèrement intéressé·es par la discussion, car ce mode de décision peut être saboté facilement.
Que les membres aient l’habitude de ce modèle
Et enfin il faut du temps disponible
Le consensus peut dans certains contextes être utilisé à des très grandes échelles, comme par exemple le mouvement des sans-terre au Brésil, qui utilise le consensus par petits groupes décentralisés réunissant au total 1,5 millions de membres. Le consensus est un merveilleux outil qui peut néanmoins être mal utilisé, au mauvais moment. Comme par exemple entre des gens qui ne se connaissent pas, dans une situation risquée. De plus, comme le consensus nécessite beaucoup de temps disponible, il peut exclure de la participation ou décourager les personnes qui n’ont justement pas tout ce temps devant elles.
Pour résumer la tension entre consensus et autorité : il ne faut pas être dogmatique, il n’y a pas qu’un seul mode de décision possible et acceptable. Il y en a plusieurs, qui dépendent des situations particulières.
Du plus ouvert au plus fermé, le spectre des possibilités s’étend comme suit ;
groupe totalement ouvert
possibilité de refuser ou expulser des membres
filtrage des membres
membres sur invitation seulement
clandestinité totale
Une organisation radicale qui est totalement ouverte ne reste en général pas radicale très longtemps après avoir connu un certain succès et l’arrivée de nouveaux membres. C’est le problème constant du plus petit dénominateur commun. D’un autre côté, une organisation résistante qui exclue trop risque de rester petite et isolée. Le plus important est de choisir le juste milieu en fonction des tactiques du groupe, de sa philosophie et du contexte politique.
Les cellules clandestines sont des groupes émotionnellement très éprouvants pour les membres, entre anxiété, solitude et ennui. Pourtant voici pourquoi l’action clandestine peut être nécessaire pour un mouvement de résistance :
Offrir un refuge, une évasion aux personnes persécutées
Se protéger soi-même de la persécution politique, religieuse ou sociale
Obtenir des informations confidentielles, des renseignements sur l’ennemi
Pour partager ces informations, faire de la propagande, créer de l’agitation
Pour organiser une libération non-violente quand le groupe est considéré illégal
Et évidemment pour employer l’action directe, les sabotages, etc
Bien sûr, la majorité d’entre nous ne s’impliquera dans un groupe clandestin, mais pourquoi est-ce important que tout le monde en entende parler ? Parce que tout le monde au sein d’un large mouvement de résistance doit comprendre que les mouvements bénéficient d’une diversité d’approches différentes, et que ces mouvements peuvent être renforcés grâce à l’existence de cellules clandestines. L’histoire de la résistance clandestine est pertinente et intéressante, elle peut nous inspirer et nous apprendre.
Au vu de l’accélération de la surveillance et de la répression, il se pourrait que cette question nous concerne de plus en plus personnellement. Pour des raisons de sécurité, les groupes clandestins prennent du temps à se constituer. Ces réseaux doivent être construits bien avant qu’une urgence se présente pour le mouvement. Dans le chapitre suivant, nous verrons la complexité entre organisation clandestine et à visage découvert.
Est-ce que les groupes sont plus efficaces quand ils jouent le jeu des dominants pour avoir l’air respectable, ou bien quand ils font tout leur possible pour perturber le système de pouvoir ? William Gamson confirme la supériorité des groupes qui choisissent la deuxième option : la résistance. Utiliser des tactiques indisciplinées pour perturber, discréditer, embarrasser les opposants augmente les chances de succès.
Bien sûr, il est difficile d’atteindre un objectif quand il est révolutionnaire. Mais dans tous les cas, une approche militante avec un but ambitieux offre un plus grand pouvoir de négociation, de provoquer des concessions. Gamson conclue qu’un groupe efficace idéal serait militant, prêt au combat, bien organisé, avec des objectifs clairs. La finalité devrait être radicale, avec un objectif à court-terme à la fois dans lequel s’investir, en rejetant les limites institutionnelles de la révolte « respectable ».
Que plusieurs groupes soient « en compétition » pour le même objectif n’apporte pas vraiment de différence. En revanche quand ces groupes ont des niveaux différents de militantisme, les modérés ont tendance à avoir plus de succès au dépend des militants. Les groupes qui ont recours à des destructions matérielles ont un taux de succès beaucoup plus élevé, et ceux qui refuse d’utiliser l’auto-défense quand ils se font attaquer ont un succès négligeable dans cette étude.
Une opinion souvent répandue à gauche comme quoi la « violence » serait le dernier recours d’un groupe inefficace qui accélère son échec en augmentant la répression et l’hostilité à son égard. Les conclusions de l’étude vont à l’inverse de cette croyance : L’usage de la « violence » naît au contraire d’une impatience créée par la confiance en soi-même et par une efficacité croissante. L’usage de la violence par un groupe n’est donc pas un signe de faiblesse du groupe mais un signe de faiblesse de l’ennemi. La violence ne garantit pas la victoire, mais ne l’empêche presque jamais.
Les groupes efficaces rejettent souvent les normes de ce qui est considéré comme une manifestation acceptable. Mais cela ne veut pas dire qu’ils rejettent toute forme de code de conduite, qu’ils ont pour seul but de transgresser tous les interdits. D’ailleurs les groupes de résistance ont souvent respecté des codes moraux stricts. Ces codes peuvent concerner la définition d’une bonne conduite, l’éducation politique, la sécurité, la loyauté, l’organisation etc.
D’autres facteurs organisationnels
Les groupes qui viennent de milieux aisés ou influents ont un taux de succès légèrement plus élevé que les plus pauvres mais ont aussi plus de risques d’être cooptés. Les groupes qui ont mené leur lutte pendant des périodes de guerre ou de crise économique ont considérablement augmenté leur chance de succès, à condition de s’être établis et préparés avant la crise pour pouvoir profiter de celle-ci et déstabiliser le pouvoir en place. La crise peut aider à mobiliser temporairement les personnes, mais pas à organiser. Rien ne peut remplacer le travail de construction de groupes, d’analyses radicales et d’entraînement, les périodes de crise peuvent être très dangereuses pour les mouvement peu ou pas organisés.
Organisations complémentaires au sein d’un mouvement
Pour conclure cette partie, on peut voir qu’il existe de nombreux modèles organisationnels différents. Ils peuvent tous être des outils efficaces et puissants pour un changement radical s’ils sont utilisés de façon appropriée.
Une grande organisation de masse modérée, alliée à des petits groupes militants, peut à la fois mobiliser de nombreuses personnes et couvrir une large gamme de tactiques. Une organisation non structurée et décentralisée (comme Occupy) aura du mal à projeter des actions militantes, mais elle peut politiser les personnes qui viendront rejoindre les rangs d’organisations plus structurées (comme les Deacons for Defense). Et les petites organisations décentralisées et ouvertes sont parfaites pour le travail de propagande, afin d’éveiller les consciences des personnes qui intégreront des communautés militantes.
Parfois, certains groupes comme Act Up couvrent une large gamme de tactiques combinées (action directe, désobéissance, influence sur les grands médias, images chocs etc.). Ils arrivent à être suffisamment organisés sans être rigides pour servir de refuge, d’incubateur à militantisme. Depuis cette base, des groupes affinitaires se forment, se détachent, projettent des actions, puis réintègrent le groupe. Pas forcément besoin de choisir un modèle standard, une organisation définitive et dogmatique, les mouvements les plus forts sont constitués de plusieurs groupes qui se complètent les uns les autres, pour couvrir l’ensemble du spectre de résistance.
Chapitre VI. Sécurité
Les mouvements de résistance menacent le pouvoir et le fonctionnement d’un système d’exploitation établi. Les puissants essayeront toujours de les infiltrer, de les attaquer et de les détruire. Voici de précieux outils pour se protéger.
Pare-feu
Les mouvements de résistance se protègent grâce à un pare-feu entre organisation à visage découvert et organisation clandestine. Les groupes à visage découvert peuvent communiquer et mobiliser un grand nombre de personnes, et se protègent en agrandissant leur soutien dans la population.
Les groupes clandestins ont d’autres objectifs, comme fuir la persécution, publier certains contenus, l’action directe etc. Ils ont besoin d’une organisation différente, basée sur le secret et des pratiques sécuritaires, le mélange des deux peut être dangereux et contre-productif. Pour éviter l’infiltration, les membres d’un groupe de résistance à visage découvert ne peuvent pas être simultanément membre d’une organisation clandestine.
Culture de sécurité
La culture de sécurité est un ensemble de bonnes pratiques pour augmenter la sécurité des groupes politiques à visage découvert face à la répression, tout en évitant la paranoïa excessive qui peut paralyser. La règle de base consiste à ne pas demander ou fournir d’informations autrement que sur le strict minimum nécessaire.
En public ou en privé :
Ne parlez pas de votre implication ou d’une autre personne dans un groupe clandestin
Ne parlez pas de votre désir ou celui d’autrui de rejoindre un groupe clandestin
Ne demandez pas aux autres s’ils ou elles sont membres d’un tel groupe
Ne parlez pas de votre participation ou celle d’autrui à des actions illégales
Ne parlez pas de plans d’une future action dont vous avez connaissance
Ne mentionnez pas d’horaires, lieux ou personnes spécifiques
Ne parlez surtout pas aux agents de la police ou du gouvernement
Ne laissez pas la police entrer chez vous sans mandat
En cas d’arrestation, ne dites rien à part votre nom, prénom, adresse et date de naissance.
Trois exceptions où parler d’actions illégales peut être acceptable :
Pour planifier des action avec un groupe affinitaire de façon sécurisée
Après arrestation et condamnation en faisant attention à ne pas incriminer d’autres personnes
Dans des communiqués prudemment anonymisés
Vous pouvez
Faire la promotion active de la résistance militante radicale de façon générale
Vous renseigner sur les méthodes de la police, ses pressions, ses interrogatoires, etc
Combattre les comportements à risques (les potins, les rumeurs, les questions inappropriées, les mensonges pour se vanter, l’usage de drogues etc)
N’oubliez pas que l’État de droit est une farce, que la loi est un outil de domination et que les agents de police sont autorisés à bluffer, à vous menacer etc. Les flics n’ont pas à s’identifier, ils sont même obligés de vous mentir pour faire leur travail, ils sont entraînés à vous faire craquer. Les informations dont ils disposent proviennent souvent de témoignages, alors ne parlez pas.
La paranoïa à l’intérieur du mouvement et les accusations non fondées peuvent parfois être plus douloureuses et dommageables que la répression elle-même. Les fausses accusations peuvent mener à la mort de certaines personnes. La sécurité est plus une question de comportement que de personne, il vaut mieux s’en prendre au comportement plutôt que d’accuser sans preuve.
Une bonne pratique protège les informations dangereuses même en présence d’agents infiltrés. Se méfier du sexisme, du racisme, et de tous les comportements abusifs qui sont utilisés par les indic pour détruire les groupes. Si quelqu’un compromet la culture de sécurité, parlez-en en privé avec tact, partagez des informations. Ne laissez pas ces comportements devenir des habitudes, exclure si nécessaire.
La Culture de sécurité augmente notre sécurité mais ne l’assure pas totalement. N’importe quelle action contre le pouvoir en place peut nous mettre en danger. Le but de la résistance n’est pas d’être le plus prudent possible mais le plus efficace possible. Les plus prudent·es sont celles et ceux qui ont le plus de chance de survivre mais généralement, c’est la seule chose qu’ils et elles ont achevé.
Faire profil bas
Les personnes qui font la promotion de l’action clandestine veulent maximiser leur visibilité, par contre celle qui veulent s’engager dans des actions clandestines risquées essayent de faire profil bas. Elles évitent d’attirer l’attention en se cachant sous une couverture personnelle inoffensive. Elles gardent une apparence discrète, ordinaire, en règle, bien rangée. Si ces personnes font la promotion de la résistance sur internet, elles utilisent des noms alternatifs, cachent leur IP, leur identité.
Les réseaux sociaux comme Facebook sont souvent évités par la résistance clandestine car ils fournissent à la police des données sur les connexions entre militant·es. D’une manière générale, attention aux informations sensibles et personnelles en ligne car les activistes sont souvent harcelé·es. Ceci dit, tout le monde ne doit pas faire profil bas, il est d’ailleurs important que beaucoup de personnes fassent la promotion de la résistance sous toutes ses formes.
Communication prudente
Pour les groupes à visage découvert, partir du principe que chaque communication est potentiellement surveillée, ou qu’un indic est présent dans les grands rassemblements. Les informations sensibles peuvent néanmoins être cachées pour garder la surprise lors d’une action.
Les groupes clandestins utilisent un niveau bien plus élevé de sécurisation des communications, par exemple en réduisant au minimum et cryptant les communications, en utilisant des codes. D’une façon générale, en dire le moins possible, ne pas écrire, ou alors de façon codée ou banalisée, un prénom vaut mieux qu’un nom, et une lettre vaut mieux qu’un prénom.
Sélection
Des procédures de sélection peuvent être mises en place lors du recrutement pour tenir à l’écart ou exclure les membres qui ont des comportements destructeurs, les agents infiltrés, ou les personnes qui n’inspirent pas confiance.
Compartimentage
Dans un groupe à visage découvert, tout le monde est susceptible de se connaître, et c’est un avantage pour se soutenir, s’encourager, et partager des informations. La protection des informations sensibles se fait grâce à une bonne culture de sécurité (comme sur le graphique 6-1).
En revanche une organisation clandestine a besoin d’une protection adaptée aux risques plus élevés de répression. Pour éviter que toute l’organisation tombe comme un jeu de dominos quand une personne est compromise, le réseau est compartimenté en petites cellules de 2 à 10 personnes maximum. Si une cellule se fait infiltrer par la police, l’organisation n’est pas en danger car l’identité des autres cellules est préservée. Les cellules font très attention à la manière dont elles communiquent avec d’autres cellules et avec les groupes à visage découvert (plus de détails dans le chapitre 7)
Sécurité opérationnelle
Pendant les actions, les groupes à visage découvert peuvent se protéger grâce à des observateurs qui filment la scène, en gardant secret le plan d’une marche jusqu’au dernier moment, en écoutant les communications radio de la police. Les groupes clandestins ont d’autres mesures de sécurité comme le nettoyage des empreintes, les postes de guet, ou les plans de secours.
Contre-intelligence
Les activistes doivent aussi activement réfléchir à la défense de leur groupe en étudiant l’histoire et l’actualité pour comprendre comment les mouvements sont neutralisés par le pouvoir. Certains schémas se répètent et peuvent inspirer une réponse appropriée. (plus de détails au chapitre 9)
Sécurité grâce au nombre
Les groupes qui assurent leur sécurité seulement grâce à une sélection drastique des membres risquent d’être isolés, et donc des proies faciles. Une des clés pour la sécurité du groupe est de fortifier le mouvement, de s’assurer le soutien de personnes très variées, plus difficile à contenir et réprimer. Les groupes à visage découvert augmentent leur sécurité grâce à de fortes connections, grâce à la solidarité, et pas grâce à l’isolation.
Soin pour les autres
Être attentif aux autres, prendre soin de nos camarades est souvent l’outil de sécurité le plus important sur lequel on doit mettre l’accent. Ce souci pour autrui manque malheureusement trop souvent dans les milieux militants, pourtant agir avec soin et amour pour nos camarades et camarades potentiels constitue un impératif révolutionnaire absolu.
Quatre histoires différentes
Tous ces conseils, toute cette partie sur les outils de sécurité peuvent paraître un peu abstrait. Aric McBay dans la suite du livre passe en revu 4 histoires différentes, 4 mouvements de résistance, au regard de leur utilisation, bonne ou mauvaise, des outils de sécurité. C’est extrêmement édifiant mais pour faire court je ne peux pas développer dans ce podcast et je vous encourage vraiment à lire le livre si vous pouvez. Les quatre mouvements étudiés sont
Le congrès national africain en Afrique du Sud
Le Black Panther Party américain
Le Weather Underground, collectif antiraciste et anti-impérialiste
Le Green Scare, ou Peur Verte, qui rassemble des groupes proches de ALF, ELF, Earth First etc.
On y comprend à quel point il est absolument vital de bien séparer activisme clandestin et à visage découvert, de faire profil bas pour les activistes clandestins. Utiliser les plus grandes précautions pendant les opérations est inutile si les cellules ne sont pas correctement compartimentées. Le niveau de sécurité est égal au maillon le plus faible, et c’est la collaboration avec le gouvernement qui incrimine le plus souvent les membres d’un groupe (c’est à dire quand un membre balance ses camarades pour éviter la répression).
La police ment, les résistants ne devraient jamais coopérer. Il ne faut pas non plus parler d’actions illégales passées avec d’anciens camarades qui ressurgissent plusieurs mois ou années plus tard, ils sont peut-être devenus des informateurs. De cette étude l’auteur dégage 3 leçons essentielles :
C’est incroyable comme les règles de bases de sécurité sont très souvent ignorées par les jeunes mouvements alors qu’elles sont quasiment applicables à tout mouvement de résistance. C’est comme s’il fallait systématiquement passer par un désastre au niveau sécurité avant de se mettre à y réfléchir sérieusement.
Ces outils, quand ils sont utilisés de travers, peuvent être très dommageables pour les activistes. Des règles de sécurité excessives ou mal employées isolent les groupes, empêchent les alliances possibles, et provoquent des comportements abusifs à l’intérieur du groupe. De nombreux groupes à visage découvert s’essoufflent et disparaissent car leur paranoïa empêche d’accueillir les nouveaux membres et dégoutent les membres existant·es. Une paranoïa excessive est un vrai obstacle qui entrave la résistance et qui peut être exacerbée par le gouvernement.
Chaque mouvement contient une forme de comportement abusif ou simplement de la méchanceté entre les membres. Et ce comportement est souvent légitimé par une mauvaise conception de la Culture de Sécurité. C’est tragique car les mouvements ont à la fois besoin d’une sécurité stricte, mais aussi de soin les uns envers les autres.
Les personnalités difficiles
Comme déjà évoqué, quand des personnes censées être des alliées sont hostiles, destructives, ou carrément abusives, cela présente un plus grand danger pour le groupe que la répression extérieure. Pour que nos mouvements gagnent, nous devons assurer la sécurité physique et psychologique de nos camarades.
C’est un schéma trop récurrent pour être ignoré : Les personnes destructrices sont parfois impossible à distinguer de policiers infiltrés (à part que les flics sont payés pour faire ça). Elles peuvent être des organisateurs agressifs, dominateurs, misogynes, qui incitent au conflit et quelquefois des agresseurs sexuels. Mais les autres ferment les yeux sur ces comportements car ces personnes ont l’air impliquées, dévouées pour la cause.
Qu’ils fassent fuir les femmes, les personnes LGBT, qu’ils forcent les activistes à parler des agressions plutôt que des actions pendant les réunions, ou qu’ils créent des disputes au sein des groupes… rien ne ralentit plus la construction d’un mouvement qu’un misogyne. Pas seulement les insultes, les viols ou les coups, mais même les comportements dominants plus subtils comme l’arrogance, ou le refus de laver sa vaisselle renforcent les inégalités. Les comportements abusifs ne doivent pas être tolérés mais combattus.
Mais ce qui est compliqué c’est que toutes les personnes difficiles ne sont pas forcément abusives. Et certaines de leur qualités en tant que résistantes peuvent être dommageable pour le groupe si elles ne sont pas contenues. Ce sont souvent les femmes et/ou personnes racisées qui connaissent mieux ces situations, mais c’est le rôle de tout le monde de s’en occuper. Voici quelques conseils pour jeter les bonnes bases.
Fermement établir des normes communes. Faites clairement savoir que les membres doivent se traiter avec respect et que les comportements oppressifs ne sont pas tolérés, par exemple dans une charte, dans un règlement interne. Si un problème surgit, intervenez rapidement avant qu’il ne devienne une habitude.
Ateliers anti-oppression. Proposez à un maximum de membres des ateliers pour prévenir ce genre de comportement, et intégrer ces acquis dans les pratiques de groupe. Parlez-en dans des groupes non-mixtes pour faire ensuite progresser tout le groupe.
Introspection. Parfois la personne difficile, c’est vous. Eh oui, même si c’est difficile à accepter. Réfléchissez à la fréquence à laquelle vous prenez la parole, la place que vous prenez, et aux privilèges qui font que vous avez tendance à commander (privilège blanc, hétéro, homme, de classe etc) . Demandez à des amis proches ce qu’ils en pensent, et pas juste pour vous faire plaisir. Certains groupes proposent de recevoir des commentaires anonymes sur votre attitude.
Facilitation. La majorité des gens est bien intentionnée et prête à prendre des décisions par consensus. Mais il y a toujours les quelques éternels individus difficiles, narcissiques, chicaniers, qui rendent ce processus compliqué. La monopolisation de la parole, les blocages, le passif-aggressifs sont des comportements qui peuvent être réglés en utilisant des outils de facilitation, de médiation, de résolution de conflit.
Quand le comportement persiste
Parfois le problème est trop profond pour être réglé rapidement au cours d’une réunion, il peut découler d’un traumatisme, d’addictions, ou de troubles mentaux. Parfois ces personnes difficiles sont réellement de bonnes personnes. Mais elles tirent vers le bas l’ensemble des membres, et c’est au-delà des compétences et des objectifs du groupe. Les bonnes personnes, épuisées, vont se mettre à quitter le groupe, et la personne corrosive va prendre de plus en plus d’importance. Il faut briser le cercle vicieux avant que le groupe tourne à l’eau de boudin .
Nous devons agir avec empathie et soutien émotionnel, apporter de l’aide, tout en gardant à l’esprit que les graves problèmes de santé mentale ne seront pas résolus au cours d’une réunion d’un groupe de résistance. Un groupe de résistance n’est pas le lieu idéal pour les thérapies, pas plus que pour les opérations chirurgicales à cœur ouvert.
Certaines personnes sont sociopathes, souvent des hommes, et ils sont très attirés par les groupes militants. Ils agissent de façon impulsive sans se soucier des conséquences pour les autres ou pour eux-mêmes. Ils peuvent mentir, voler, se battre, mettre en danger tout le monde. Les activistes doivent savoir que certaines personnes de ce type changeront extrêmement difficilement de comportement. C’est difficile à admettre quand on rêve d’une société idéale où tout le monde participe joyeusement aux décisions, sauf que ces personnes n’éprouvent aucun remords à transgresser les consensus, à trahir.
Si vous pensez vraiment qu’une personne est un policier ou un informateur, nous verrons que faire dans le chapitre 9. S’il s’agit d’une aggression ou d’une menace nous verrons ça dans les Ressources supplémentaires. Dans les autres cas, voici quelques conseils
Escalade de la réponse
D’abord répondre par un bon comportement personnel. Puis par un argument raisonné. Et enfin si le raisonnement n’a pas marché les deux premières fois, répondre par un comportement aussi pénible que celui de la personne, sans colère ni haine ni culpabilité.
Soyez direct et donnez le bon exemple
Essayez de vous approcher de la personne qui pose problème, peut-être avec l’aider d’un ou d’une médiatrice. Parlez-lui directement du problème de façon franche, sans violence et ce que vous espereriez voir changer. Utilisez des phrases comme ‘Je sens que’, sans être dramatique, en restant calme. Restez favorable et bieveillante avec la personne pour que la situation du groupe s’améliore.
Sélection
Plutôt que d’avoir un groupe totalement ouvert, essayez de choisir des personnes qui pourront bien travailler ensemble en laissant de côté les personnes corrosives. Grâce à une méthode d’invitation ou d’évalaution ou de sélection. Si ce n’est pas possible, structurez le groupe de façon à ce que les personnalités difficiles ne puissent pas empêcher les autres de travailler.
Fixez des barrières claires avec des conséquences.
Si malgré ces difficultés, vous trouvez que ça vaut la peine de travailler avec une personne difficile car elle a beaucoup de qualités, fixez des règles claires. Dites lui que bien que vous appréciez ce qu’elle apporte, ce n’est pas acceptable qu’elle soit méchante avec les autres, domine la discussion etc. Avertissez avec tact, respect, mais fermement qu’en cas de transgression, elle devra quitter la réunion ou le groupe.
Exclusion
Si vous avez suivi les conseils du chapitre Recrutement, votre groupe dispose d’un processus d’exclusion, il suffit de le suivre. Sinon, parlez aux autres membres du groupe et obtenez un « mandat » pour faire partir la personne. Ce n’est pas un truc marrant à faire, surtout quand on veut être le plus inclusif possible. Bien sûr être inclusif c’est accueillir les personnes d’horizons différentes, racisées, de différentes religions, sexe, orientation sexuelle, façon de penser etc. Mais être inclusif ce n’est pas accueillir les personnes qui empêchent le groupe de fonctionner correctement.
C’est difficile à admettre mais dans tout mouvement, certaines personnes sont des atouts, d’autres sont des charges et il arrive qu’une seule personne soit suffisamment toxique pour détruire le groupe entier. Cela peut même devenir un sérieux problème pour tout le mouvement : si un ou une activiste se fait insulter, humilier, attaquer, trahir, son expérience dans les milieux militants peut la décourager pour des années ou pour toute sa vie. Au contraire si nous maintenant notre organisation accueillante et sûre, nous serons récompensés par la venue de nouveaux membres passionnés. Il s’agit de l’outil de sécurité le plus puissant dont nous disposons.
Voilà la fin de ce deuxième épisode consacré à l’ouvrage Full Spectrum Resistance d’Aric McBay. Nous avons vu jusqu’ici pourquoi la résistance est nécessaire, les facteurs clé pour rendre un mouvement efficace, comment recruter, s’organiser et rester en sécurité.
Merci d’avoir écouté et merci à l’auteur pour l’autorisation de mettre en ligne ce podcast. Cette deuxième partie était un peu plus longue, mais pas exhaustive car le livre est riche d’exemples. Dans le prochain épisode, nous verrons comment communiquer, prendre d’assaut les grands médias, comment collecter des informations sur nos ennemis, et comment se protéger de la surveillance et des infiltrations.
N’hésitez pas à partager ce podcast ou article si vous l’avez trouvé intéressant. Vous pouvez retrouver l’intégralité de l’ouvrage Full Spectrum Resistance sur www.fullspectrumresistance.org. Et j’ai une bonne nouvelle, les deux tomes seront traduits en français et publiés aux Éditions Libre en 2020.